ENGAGÉE POUR DES SOINS ALTERNATIFS EN PREMIÈRE LIGNE - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

JE DIALOGUE

Hélène Colau  

Infirmière de formation, Béatrice Dussaud s’est intéressée très tôt aux thérapies non médicamenteuses. Fondatrice du mouvement SlowCare, qui prône des soins plus humains, elle propose des formations destinées aux soignants et accompagnants.

Comment avez-vous découvert les interventions non médicamenteuses (INM) ?

Béatrice Dussaud : Après mon bac, j’ai choisi de me former au métier d’infirmière car j’étais conquise par la relation d’aide. Mais j’ai très vite été déçue par ce milieu où j’avais l’impression de ne pas pouvoir exprimer ma façon de prendre soin, que j’envisageais de façon très humaine. C’est pourquoi, immédiatement après mes études je suis partie au Canada, qui était réputé précurseur dans le domaine du relationnel. Malheureusement, il fallait une équivalence pour exercer là-bas… J’ai donc pris le chemin de la République dominicaine où j’ai travaillé dans la photo. Pendant les vingt années que j’y ai passées, j’ai fait de nombreuses rencontres très enrichissantes. J’ai notamment découvert le mouvement Slow, qui invite à ralentir pour vivre dans une sobriété heureuse. Cela correspond complètement à ma conception du soin ! J’ai eu l’occasion de me former à plusieurs thérapies alternatives, comme la réflexologie, la sylvothérapie… Mais j’ai aussi pris conscience de certaines défaillances qui pouvaient aller jusqu’à la fraude. Un thérapeute a ainsi voulu m’enseigner comment mettre en place une contraception naturelle en touchant mes glaires vaginales… Je me suis enfuie en courant ! Beaucoup de thérapies gagneraient à être connues, mais il faudrait qu’elles soient mieux encadrées médicalement.

Comment cela serait-il possible ?

B. D. : Une initiative est en train de voir le jour suite à l’appel de Montpellier, lancé en 2019, pour une meilleure intégration des INM dans le système de santé. Six organismes français et le Pr Grégory Ninot, en charge de la Plateforme Ceps, une organisation universitaire de réflexion collaborative sur les méthodes d’évaluation des INM, ont uni leurs efforts pour créer une société savante, qui aura un site Internet où trouver des avis d’experts. Cela permettra de faire la part des choses entre les thérapies “sérieuses” et les autres, et d’intégrer des techniques comme l’hypnose ou l’aromathérapie en tant que soins. Ça va faire bouger la médecine ! Car l’appellation « complémentaire » ne valorise pas le rôle de ces thérapies. En outre, un meilleur encadrement médical permettrait d’obtenir des remboursements par la Sécurité sociale et ainsi les rendre accessibles à tous.

Y a-t-il des publics pour lesquels ces thérapies sont particulièrement intéressantes ?

B. D. : Elles sont reconnues dans le domaine du grand âge, en particulier. La Haute Autorité de santé préconise même des thérapies non médicamenteuses en première intention contre les troubles du comportement. Ce n’est que lorsqu’elles ne suffisent pas que les médicaments viennent en complémentarité. C’est un changement de paradigme ! Je me suis passionnée pour les personnes âgées quand j’ai dû revenir en France. J’ai travaillé dans un Ehpad, dans une unité Alzheimer où j’ai été témoin de maltraitances institutionnelles. Mais c’est aussi là que j’ai découvert des INM qui correspondent à ma vision du soin, notamment la Doll Therapy, venue des États-Unis, qui permet d’apaiser des personnes souffrant de maladies neurodégénératives à l’aide d’une poupée ressemblant à un nourrisson. Lors de ma première expérience, un résident réputé agressif a pris le poupon dans ses bras et s’est immédiatement adouci : il l’a bercé, lui a chanté une chanson… Une transformation radicale ! Le changement de regard des soignants sur lui, à ce moment-là, était très intéressant. Mais ma hiérarchie a vite mis le holà car cette pratique n’était pas encadrée. J’ai démissionné, et j’ai consacré six mois à faire des recherches sur le sujet.

En quoi l’encadrement de ces thérapies est-il important ?

B. D. : Donner une poupée à des personnes atteintes de maladies neurodégénératives n’est pas anodin. Il y a un enjeu psychologique fort, car la moitié d’entre elles la voient comme un vrai bébé, et cela peut entraîner des effets indésirables. Par exemple, si on révèle brutalement à la personne âgée que ce n’est qu’une poupée, elle peut se sentir rabaissée et voir son anxiété augmenter. Elle peut également manifester trop d’attachement pour le poupon, ne plus penser qu’à ça et oublier de manger. Par manque de formation, un soignant peut alors être tenté de lui retirer la poupée. Mais en réalité, il est plus efficace de dire qu’on va mettre le “bébé” à la sieste pour la “libérer” et lui permettre de reprendre sereinement ses activités. L’enjeu est aussi éthique : il ne faut pas mentir à la personne en lui faisant croire que la poupée est un vrai enfant. Je me suis inspirée des travaux de Gary Mitchell, un infirmier titulaire d’un doctorat d’éthique, pour élaborer les principes de la Pouponthérapie(1). Celle-ci repose sur un protocole d’approche graduel et neutre, suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé : c’est la personne qui décide d’interagir avec le poupon. Pour ne pas la brusquer, le soignant doit préalablement être formé à la communication par validation (basée sur l’empathie, cette technique vise à établir un lien de confiance avec la personne, valorisée en tant qu’individu à part entière, NDLR). Enfin, certaines personnes ne sont pas intéressées par la poupée. Dans ce cas, il ne faut pas insister et proposer autre chose.

Comment peut-on se former ?

B. D. : Toutes les INM sont complémentaires. Il est donc intéressant que les soignants et accompagnants soient formés au plus grand panel possible pour disposer d’un maximum d’outils thérapeutiques selon les situations. Mais il n’est pas forcément nécessaire d’avoir une formation complète avant de se lancer : pas besoin d’être art-thérapeute pour proposer des ateliers de médiation par le dessin. Je pars du principe que les soignants ont déjà un savoir-être qu’ils savent communiquer aux personnes âgées. C’est pourquoi je propose, sur mon site(2), un atelier en ligne de six heures pour ceux qui souhaitent aborder la Pouponthérapie. Pour ceux qui désirent aller plus loin, j’ai mis au point une formation certifiée Qualiopi qui peut aller de trois semaines à six mois. Enfin, j’interviens dans les structures avec des ateliers à destination de tout le personnel, soignant ou non. Sur mon site, je propose en outre une introduction au SlowCare, qui repose sur sept piliers : tranquillité de présence, pleine connaissance de la personne, se remettre en question, pratiquer l’humilité, faire de son mieux, interagir en réseau et prendre soin de soi. Des principes qui guident les professionnels vers une prise en soins éthique, chaleureuse et digne.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

B. D. : Je travaille à de nouveaux modules de formation sur les soins centrés sur la personne, dans l’esprit du SlowCare. Le concept : perdre un peu de temps permet d’en gagner ! Par exemple, quand on entre dans la chambre d’un patient, se mettre à son niveau visuel facilite la coopération et permet d’éviter le refus de soins. Lorsqu’une infirmière doit réaliser un pansement, il est traumatisant pour tout le monde de procéder à des soins forcés… Les quelques minutes passées à préparer le terrain sont alors extrêmement bien employées !

1. https://lapoupontherapie.com

2. https://edu.slowcare.fr

POURQUOI ELLE

Curieuse de toutes les formes de soins centrés sur l’humain, Béatrice Dussaud milite pour la reconnaissance des interventions non médicamenteuses comme des thérapies à part entière. Selon elle, cela passe par un encadrement médical renforcé et une formation plus poussée des soignants. C’est pour cela qu’elle a fondé la plateforme Slowcare.fr, qui invite à « Prendre le temps de prendre soin », et Lapoupontherapie.com, qui propose des formations à la Doll Therapy, une approche permettant de calmer l’anxiété des personnes souffrant d’Alzheimer et autres maladies apparentées. Elle a aussi écrit un livre sur le sujet Un poupon pour nos aînés.

BIO EXPRESS

1989 Diplôme d’État infirmier à Lille (Nord). Part au Canada puis en République dominicaine.

2005 Monte une entreprise artisanale respectant l’éthique de la Slow Fashion, à Majorque (Espagne).

2016 Retour en France. Travaille comme aide-soignante dans un Ehpad du Var.

2017 Découvre la Doll Therapy.

2019 Élabore des modules de formation et forme des référents Pouponthérapie au sein de structures médico-sociales.