DES INFIRMIÈRES EXPERTES ENTRE LA VILLE ET L’HÔPITAL - Ma revue n° 014 du 01/11/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 014 du 01/11/2021

 

CENTRE DE SANTÉ INFIRMIER

J’EXPLORE

COORDINATION

Marie-Capucine Diss  

À Bordeaux, l’équipe soignante d’ADN Santé propose un suivi des patients à leur sortie d’hospitalisation, notamment après une chirurgie digestive. Des soins spécialisés, intégrés dans le lien ville-hôpital, qui permettent de sécuriser les personnes et de les accompagner vers l’autonomie.

Madame N. quitte les locaux d’ADN Santé, le sourire aux lèvres. Elle pensait devoir se rendre au centre de soins infirmiers (CSI) pour récupérer une ordonnance de matériel au lendemain de sa sortie de l’hôpital. Elle a en fait bénéficié d’une consultation avec une infirmière stomathérapeute, suite à une chirurgie digestive, et a pu discuter avec une diététicienne pour adapter son régime alimentaire. La structure, facile d’accès, est située dans une zone artisanale et commerciale d’un nouveau quartier de la rive droite de la Garonne, à Bordeaux. Elle appartient à un réseau national associatif de CSI, né il y a un an à l’initiative de deux personnes issues du domaine de la prestation en stomathérapie, ayant l’intuition d’un manque à combler en termes de soins spécialisés pour des patients sortant précocement de l’hôpital. À Bordeaux, c’est Gwenaëlle Collet, en charge jusque-là d’une consultation de stomathérapie au CHU, qui se lance dans l’aventure. Elle rédige un projet de santé pour le CSI décliné en plusieurs axes : accès aux soins, lien ville-hôpital, concertation pluridisciplinaire et prévention. Il est avalisé par l’ARS. Pour faire tourner le centre, elle recrute des infirmières aux profils complémentaires et dotées d’une expérience conséquente en institution : une autre stomathérapeute, une infirmière disposant d’une solide expérience en urologie, une diététicienne (lire l’encadré page ci-contre), ainsi que deux infirmières titulaires d’un diplôme universitaire plaies et cicatrisation.

Toutes partagent l’envie d’effectuer un retour aux sources en gagnant le domicile et en se recentrant sur le patient. Pour Marion Galiazzo, infirmière référente en urologie pour le CSI, le moment était venu de faire évoluer sa pratique : « J’avais envie de faire plus d’éducation. C’est aussi l’occasion d’être plus disponible pour le patient et plus à son écoute. » Maia Maisonnave, l’autre stomathérapeute du centre, était également motivée par l’opportunité de suivre des patients qui, sans cela, seraient sortis du parcours de soins : « Certains d’entre eux, notamment les personnes âgées, ont des difficultés à revenir en consultation là où ils ont été opérés. C’est une manière d’aller vers les patients qui ne viennent pas à nous. »

INTERVENTIONS TRANSVERSES

Pour assurer l’une de ses missions, l’accès aux soins, le CSI organise un suivi de nuit, effectué par deux infirmières travaillant en alternance. Elles se rendent à domicile dans le cadre de la continuité des soins et assurent une permanence pour les urgences. La journée, le centre accueille des consultations et une plage horaire réservée permet de venir sans rendez-vous. Cinq infirmières se partagent les tournées qui couvrent deux zones géographiques de l’agglomération. Les soignantes spécialisées interviennent de façon transverse, pour des consultations ponctuelles en stomathérapie, urologie ou plaies et cicatrisation, pour tous les patients qui le souhaitent, sur prescription médicale. Ils peuvent être adressés par le spécialiste hospitalier ou le médecin traitant. Ces infirmières référentes peuvent également être sollicitées par des consœurs libérales ou des prestataires de santé en difficulté face à certains problèmes rencontrés par les patients.

Pour faciliter ce travail en réseau, l’équipe du centre a fréquemment recours à Paaco-Globule, une application portée par l’ARS de Nouvelle-Aquitaine et utilisée sur toute la région. Celle-ci permet l’échange d’informations sécurisées, comprenant le dossier des patients, à destination des professionnels des secteurs médicaux, sociaux et médico-sociaux. L’ensemble des infirmières et des médecins libéraux de l’agglomération bordelaise utilisent cet outil numérique et les hospitaliers sont en train de s’y intégrer. « Cela nous fait gagner du temps, commente Maia Maisonnave. Cela réduit les intermédiaires, les messages sont brefs et privilégient les informations précises. Quand nous avons une question à poser au médecin traitant, nous obtenons une réponse rapide. » Par ailleurs, des réunions pluridisciplinaires peuvent se tenir pour les parcours de soins les plus complexes, avec les professionnels de ville et les réseaux de santé. Les infirmières référentes du centre sont en contact régulier avec les Idels, lesquelles peuvent les contacter pour leur demander des informations plus précises ou de venir en appui chez le patient. Une coordination qui améliore la prise en charge à domicile.

De manière générale, le lien avec les établissements hospitaliers est constant. Les infirmières spécialisées assurent la prévention des complications à court ou long terme, comme le prolapsus ou l’éventration péristomiale. Par leur surveillance à domicile, elles peuvent réorienter les patients vers les structures hospitalières, si nécessaire. Et quand les patients ont rendez-vous avec leur médecin spécialiste, elles rédigent un courrier de liaison. « Cela permet d’apporter “l’image du jour” de la personne, précise Gwenaëlle Collet. Le patient vient seul à la consultation. Il raconte avec ses mots, il y a des éléments importants qu’il peut oublier de signaler. Quand j’assurais une consultation de stomathérapie au CHU, et que les patients arrivaient sans courrier, cela manquait. C’est important d’avoir le regard du soignant qui se rend à domicile pour transmettre des problèmes que le patient peut taire ou oublier. »

ACCOMPAGNEMENT EN PRÉ ET POSTOPÉRATOIRE

En stomathérapie, les consultations infirmières spécialisées peuvent avoir lieu en préopératoire. « Certains chirurgiens sont sensibilisés à l’intérêt d’une intervention infirmière pour mieux préparer la chirurgie et nous adressent leurs patients, précise Maia Maisonnave. Il s’agit pour moi de reprendre avec le patient les informations données par le chirurgien, le type de stomie qu’il va avoir. Je lui montre des appareillages, et lui explique en quoi consisteront les soins futurs. Je procède également au marquage du futur site de la stomie. Cela permet de trouver le meilleur emplacement en fonction de son anatomie, de sorte que l’appareillage soit le plus accessible possible, sans modifier les habitudes vestimentaires. » Deux visites peuvent être nécessaires, la projection dans une vie avec une stomie suscitant une grande appréhension. En postopératoire, les infirmières d’ADN Santé viennent à domicile pour les soins quotidiens. Lors de cette phase aiguë, elles sont susceptibles d’intervenir plusieurs fois par jour, nuit comprise. Elles sont également sollicitées pour adapter un appareillage. L’idée est de travailler en collaboration avec les Idels afin de leur transmettre leurs connaissances, puis, peu à peu, de leur passer le relais. « J’essaie de me caler sur leurs horaires de passage, explique la stomathérapeute. C’est toujours mieux d’apprendre en voyant et c’est plus aisé pour le patient. »

CAP SUR L’AUTONOMIE DU PATIENT

Les consultations visent à accompagner les patients vers l’autonomie pour gagner en qualité de vie. Car un patient capable de changer seul son appareillage et d’appréhender les situations d’urgence, comme les fuites, peut recommencer à sortir de chez lui avec moins d’appréhension, et reprendre une activité sociale et professionnelle.

Même approche dans le domaine de l’urologie, les patients sont éduqués à l’autosondage avec pour objectif, là encore, d’améliorer leur santé et leur confort de vie. Pour les hommes, il s’agit d’apprendre à vider sa vessie et éviter la rétention d’urine. Pour les femmes, l’autosondage présente également l’avantage de diminuer les risques d’infections urinaires, occasionnant douleurs, prises d’antibiotiques et analyses biologiques récurrents. Ces patients sont adressés à Marion Galiazzo par les urologues des établissements hospitaliers, après une visite de suivi : « Nous pouvons être un relais pour l’hôpital ou les cliniques qui ne disposent pas toujours d’infirmières spécialisées en urologie, précise la spécialiste. De plus, nous travaillons avec l’ensemble des laboratoires et proposons une gamme plus large d’appareillages. Les patients peuvent les tester et choisir la sonde qui leur convient le mieux. » Un suivi à plus long terme des infirmières spécialisées du CSI vise d’ailleurs à ajuster les appareillages, en fonction des améliorations techniques apportées.

DE L’ETP À LA PRÉVENTION

L’autonomisation des patients étant un axe fort de l’activité du centre de soins, les soignantes s’orientent vers l’éducation thérapeutique. Sur la demande d’un établissement bordelais, Maia Maisonnave et Pauline Luere, formées en ETP, ont participé à l’élaboration d’un programme pour les patients porteurs de stomie. L’équipe d’un organisme de formation bordelais, le CETB, a accompagné la stomathérapeute et la diététicienne pour la mise en forme de leurs ateliers. Le programme, financé par l’ARS, a débuté cet automne. Pour Maia Maisonnave, « il s’agit de faire monter le patient en compétences dans les approches de sa maladie, lesquelles peuvent être alimentaires, sociales, techniques ou liées aux soins, son vécu, dans sa vie de tous les jours. L’aider à aller mieux ».

Enfin, dans le cadre des missions de santé publique du centre de santé, des actions de prévention sont menées. Le principe ? Sensibiliser la population aux risques d’obésité chez les adolescents et de dénutrition chez les personnes âgées, en intervenant notamment dans des établissements socioculturels ou en Ehpad. L’exercice infirmier dans toutes ses dimensions, en somme.

UN ACCOMPAGNEMENT DIÉTÉTIQUE

Le régime alimentaire étant peu voire pas évoqué pendant et après l’hospitalisation, le centre de soins propose une prise en charge complémentaire assurée par la diététicienne Pauline Luere. Les patients, qui manquent de repères, s’en tiennent au régime sans résidus qui leur a été prescrit avant l’intervention alors qu’ils ne sont plus obligés de le suivre : « Si la personne n’a pas été bien guidée sur l’élargissement progressif de cette alimentation, elle se nourrit de façon très restrictive, commente la diététicienne. L’idée est donc de l’accompagner pour qu’elle enrichisse ses repas, qu’on adapte en fonction de sa tolérance, de son transit. Je peux également avoir à gérer des dénutritions. Nous suivons des patients en oncologie qui ont perdu beaucoup de poids. C’est intéressant de venir au domicile, d’être dans leur cuisine. » Il est alors possible de passer en revue le contenu des placards, du réfrigérateur et du congélateur, détailler ce qui peut être consommé et ce qui ne doit pas l’être. La première intervention de Pauline Luere se fait chez le patient puis, ensuite, par téléphone. Il lui arrive d’ailleurs d’accompagner une infirmière lors de sa visite à domicile.

Les repas peuvent redevenir des moments agréables et non des corvées, des défis impossibles à relever. Que manger quand tout semble interdit ? Là encore, le patient s’autonomise et voit sa qualité de vie s’améliorer. Pour Gwenaëlle Collet, « quand les patients rentrent chez eux après une opération, ils reprennent leurs marques, ils ne pensent pas à leur alimentation. Les questions et les problématiques se posent ensuite. C’est dans le lien entre l’hôpital et la vie de tous les jours que nous nous positionnons. L’hôpital n’a pas toujours les ressources nécessaires pour assurer un suivi un mois après la sortie. Tout le monde n’a pas accès à une consultation de diététique, sans compter qu’en ville, ce n’est pas remboursé ». Un avantage supplémentaire apporté par la structuration en centre de santé.

Info +

Les soins spécialisés, comme la consultation en stomathérapie en pré ou en postopératoire, ne sont pas reconnus en ville. Ainsi, une consultation globale, d’une durée d’une heure, est cotée AMI 3 (9,45 euros). Ces soins relationnels et éducatifs peuvent être assurés par les soignantes du centre grâce à leur statut de salarié, ainsi que le rééquilibrage général avec les soins généraux.

Les centres de santé

Les centres de santé sont les héritiers des dispensaires du XIXe siècle, développés pour améliorer l’accès aux soins, selon des principes de charité ou de solidarité. Ces structures sanitaires de proximité répondent toujours à une exigence d’exercice non lucratif. Un arrêté et un décret datant du 27 février 2018 régissent leur fonctionnement. Les professionnels qui y assurent les soins sont salariés. Ces centres disposent d’un projet de santé incluant des dispositions favorisant l’accès et la coordination des soins, et le développement d’actions de santé publique. Ils concluent avec l’ARS un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). On en dénombre actuellement 2 040, dont 428 sont pluriprofessionnels (des médecins y travaillent aux côtés de paramédicaux). Près de la moitié des gestionnaires des centres de santé sont des associations, et près d’un tiers sont gérés par une mutuelle. Les autres relèvent de collectivités territoriales ou d’organismes de sécurité sociale.