« UN SOIN, C’EST LA RENCONTRE ENTRE DEUX SACHANTS » - Ma revue n° 013 du 01/10/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 013 du 01/10/2021

 

TÉLÉSOIN

JE DÉCRYPTE

ORGANISATION DES SOINS

Marie-Capucine Diss  

Dès 2020, Lydie Canipel a accompagné des équipes soignantes dans un parcours coordonné alternant télémédecine et télésoin. Mise en perspective des actes à privilégier à distance par une pionnière du parcours alterné.

L’ouverture du télésoin aux paramédicaux n’est, pour le moment, accompagnée d’aucune recommandation précise. Y a-t-il une méthode à observer ?

Le recours au télésoin demande aux personnels soignants, comme aux patients, de faire évoluer leur vision de la prise en charge. La visite d’éligibilité est donc un moment privilégié. On prépare le patient, on lui explique comment se passent des séances de soin à distance. L’information, c’est déjà du soin. On réfléchit ensemble, on choisit tel soin en présentiel et tel autre à distance en fonction des besoins de la personne. Il faut écouter ses souhaits. Ce sont des indicateurs extraordinaires car les patients ressentent le vécu de leur maladie. Il arrive qu’ils demandent plus de soins à distance qu’on ne l’aurait pensé.

Certains soins se prêtent-ils mieux à la relation à distance ?

Tout ce qui est éducation thérapeutique, entretien motivationnel et accompagnement des patients à la compliance aux traitements sont, bien sûr, des indications privilégiées qui peuvent rapidement être mises en place. Il y a également l’accompagnement des patients souffrant de sclérose en plaques, tout ce qui relève du domaine de la psychiatrie, avec l’importance des entretiens motivationnels. Et cela fonctionne vraiment.

Lorsque nous avons débuté, il n’existait pas de cadre réglementaire pour valider les bonnes pratiques. Nous avons réalisé des études cliniques et obtenu des résultats étonnants. Avec des professionnels de santé au départ frileux. Je pense à une étude portant sur des patients âgés en moyenne de 75 à 80 ans, avec au moins deux pathologies chroniques, qui ne suivaient plus leur traitement. Après le premier entretien motivationnel, réalisé à distance, ils le reprenaient.

Et pour des soins plus techniques ?

En postchirurgical, par exemple, on n’a pas toujours besoin de se déplacer à domicile pour voir la plaie. Il y a également le suivi des insuffisances cardiaques : aider le patient à surveiller l’arrivée d’œdèmes, à se peser tous les jours. Tous les soins rattachés au suivi des pathologies chroniques se font très bien à distance. Les infirmières que j’accompagnais ont réalisé des soins qu’elles ne pensaient pas pouvoir effectuer à distance. Dans le cadre de l’article 51(1), elles pouvaient par exemple adapter les doses d’insuline des patients diabétiques et traiter les accidents hyperglycémiques ou hypoglycémiques qui survenaient la nuit. Il y avait pour cela tout un protocole. L’infirmière restait au téléphone avec le patient jusqu’à ce que sa glycémie soit redevenue normale. Elle le rappelait une heure plus tard puis le lendemain matin. Lors de l’évaluation de la cohorte, un seul patient sur 700 avait dû aller aux urgences…

Il faut dépasser ses propres limites, en quelque sorte ?

Ce dont on s’aperçoit avec la pratique, c’est qu’avec le parcours alterné, on rend le patient de plus en plus autonome. Par exemple, on lui dit : « Prenez votre appareil à tension et mesurez votre tension. » On ne le fait pas à sa place. N’avons-nous pas, quelque part, minimisé cette capacité de certains patients à être autonomes ? Ce potentiel auquel nous avons trop peu recours nous permet de nous recentrer sur notre rôle d’expert. Qu’est-ce qu’un soin ? C’est la rencontre entre deux sachants. Il y a le sachant du côté scientifique, le soignant, et le sachant du vécu de l’histoire de sa maladie. C’est la rencontre de ces deux savoirs qui fait qu’on va avoir une qualité du soin.

RÉFÉRENCE

1. La Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 a introduit un dispositif dit « article 51 », permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé.