LA CHEVALIÈRE BLANCHE DE LA RECHERCHE INFIRMIÈRE - Ma revue n° 007 du 01/04/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 007 du 01/04/2021

 

JE RECHERCHE

PARCOURS

Marie-Capucine Diss  

Très engagée dans la vie scientifique de la SFMU, Delphine Hugenschmitt, infirmière au Samu-Smur des Hospices civils de Lyon, dirige actuellement un PHRIP visant à lutter contre l’hypothermie des patients traumatisés.

Delphine Hugenschmitt ne quitte pas ses chaussures de montagne pendant ses heures de garde, prête à partir en intervention avec le Samu ou la Protection civile en milieu périlleux. Elle participe également aux transferts de patients ainsi qu’à la régulation des appels. Il lui arrive souvent, à l’issue de ses douze heures de garde, de se plonger dans les données sur lesquelles elle travaille. Car l’infirmière urgentiste, qui aime lier la réflexion à l’action et qui est portée par le souci d’améliorer la pratique soignante, a toujours un ou deux projets en cours. Une habitude prise depuis qu’un médecin lui a suggéré de présenter une de ses études devant la Société française de médecine d’urgence (SFMU). Dès sa première inter vention, en 2012, elle est distinguée par un U d’argent pour son travail sur l’accouchement inopiné. Depuis, elle réalise environ deux présentations pour chaque congrès. Et les sujets ne manquent pas : du bûcheronnage à l’enfant brûlé, en passant par la tuerie de masse. La soignante s’est investie dans la vie de la société savante, dont elle a présidé la Commission soins et urgences. Participant à différents groupes de travail, elle est la première infirmière à avoir intégré, en 2020, le conseil d’administration de la SFMU.

« JUST DO IT »

Delphine aborde la recherche comme elle semble le faire pour la vie, avec simplicité et détermination. Elle commence à fréquenter les centres hospitaliers universitaires (CHU) dans les années 1990 comme agent hospitalier, puis, rapidement, elle fait fonction d’aide-soignante dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). À cette période, elle récupère le programme du baccalauréat littéraire, qu’elle décroche après une préparation de quinze jours pendant ses heures de travail. Toujours en travaillant, elle prépare le concours d’entrée en école d’infirmière par correspondance. Ses débuts dans la recherche se font naturellement : « Au début, je réalise une étude bibliographique, je regarde ce qui en ressort, et j’élabore ensuite un questionnaire dont j’extrais des données. » En 2013, l’infirmière s’attaque à un sujet de poids : les soignants du Smur face au décès des patients L’étude qu’elle réalise au sein de son service lui permet de mettre au jour un malaise face à la mort et une impréparation à l’échec : « Quand on est au Smur, on a une image d’Épinal qui nous colle à la peau, explique l’infirmière. Nous sommes considérés par la population comme des chevaliers blancs. Nous allons soigner tout le monde. Les personnels du Smur ont du mal à se dire “on a tout tenté, mais on n’a pas réussi. » Durant sa recherche bibliographique, Delphine Hugenschmitt retrouve une vieille connaissance, Walter Hesbeen, un auteur dont la lecture était obligatoire durant ses études mais qu’elle avait esquivée. Son ouvrage, Prendre soin à l’hôpital, devient un de ses livres de chevet. Pour répondre au besoin qu’elle a détecté, l’infirmière réalise un livret, avec des collègues, diffusé en interne, pour apporter des réponses à l’aide de témoignages d’expériences et d’apports théoriques.

LA SPIRITUALITÉ EN SMUR

Quelques années plus tard, le livret donne naissance à un livre(1), dont Delphine Hugenschmitt coordonne la rédaction, et à laquelle participent une psychologue, une assistante sociale, des ambulanciers, des infirmiers des urgences et des agents de régulation médicale. Elle-même rédige les parties sur l’anthropologie, la communication et la spiritualité. Pour cela, elle rencontre les représentants des grandes communautés religieuses françaises et se plonge dans l’évolution de la relation à la mort au fil des âges. Car la mort n’a pas toujours été cachée et les traditions religieuses maintiennent un cérémonial lorsqu’elle survient. En cas de décès du patient à domicile, la connaissance de ces rituels ou de ces habitudes permet de ne pas être surpris ou de ne pas se sentir menacé par certaines manifestations. C’est aussi une façon de prendre en compte la personne et ses proches globalement. « Quand on intervient en Smur, développe l’infirmière, c’est l’hôpital qui entre dans la vie des personnes. Or, dans l’inconscient, la maison est le lieu de sécurité par ex cellence, on ne peut pas y mourir. Si l’on porte attention à des indices de pratique religieuse ou si l’on pose certaines questions, on travaille le lien relationnel avec la famille. Quand on part, les gens sont dans la peine, dans la stupéfaction, mais ils nous remercient. »

PROCÉDÉ NOVATEUR

Au moment où l’ouvrage paraît, Delphine Hugenschmitt s’est déjà attelée à un autre projet d’ampleur : l’hypothermie des patients traumatisés. Elle lui a d’ailleurs consacré une étude observationnelle en 2016-2017 (lire l’encadré page 68). L’infirmière urgentiste est partie d’une constatation de terrain, liée à une contradiction. En intervention en Smur, la surveillance de la température n’est pas une priorité, alors que l’hypothermie fait partie de la triade létale avec la coagulopathie et l’acidose. D’autres paramètres, comme la glycémie ou le taux d’hémoglobine dans le sang, sont systématiquement contrôlés, alors que leur incidence sur le pronostic vital est moindre. Pourtant, les recommandations préconisent une gestion de la température dès le début de la prise en charge préhospitalière. Cette surveillance et ce maintien d’une normothermie relèvent du rôle propre infirmier, en lien avec le médecin. Et Delphine Hugenschmitt a trouvé une solution pour réchauffer les traumatisés lors de leur transport en salle de déchoquage : l’utilisation de poches de chaud, facilement transportables et peu chères (lire l’encadré page 68). L’étude de l’efficacité de ce dispositif est l’occasion de s’engager dans un programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP). Pour passer ce nou veau cap, la soignante ne manque pas d’atouts. Un diplô me interuniversitaire (DIU) lui offre les compétences d’assistante de recherche clinique. L’année suivante, elle suit un diplôme universitaire (DU) de lecture critique et d’interprétation des essais thérapeutiques, qui lui fournit les connaissances nécessaires en statistiques pour avancer plus rapi dement sans aide. La rédaction de sa lettre d’intention se passe sereinement. Elle dispose d’une bibliographie solide et d’une expérience sur le sujet. Pour finaliser sa candidature, elle est aidée par Anne Termoz, la cheffe de projet du pôle de santé publique des Hospices civils de Lyon (HCL).

EN TOUTE COLLÉGIALITÉ

Cette recherche pionnière est sélectionnée dès sa première présentation au PHRIP, en 2018, et démarre en septembre 2019. Pour donner à cette étude l’ampleur qu’elle mérite, la soignante a fixé à quatorze le nombre d’établissements y participant. Son carnet d’adresses lui permet de contacter directement des chefs de service ou infirmiers. Une fin de nuit de garde, elle tourne une vidéo avec des collègues, pour que les investigateurs comprennent mieux ce qu’ils auront à faire. Anne Termoz et son assistante Audrey Maurin lui apportent un soutien capital en stockant les poches de chaud et en composant les kits distribués dans les Smur partenaires. L’infirmière est disponible à toute heure du jour et de la nuit pour venir en aide à ses collègues « Je peux faire une heure de route pour venir les aider à remplir une feuille de recueil des données. Ils m’appellent quand ils ont une hésitation. Qu’il s’agisse du calendrier ou de la manipulation du thermomètre, je suis toujours là pour eux. Ils sont en panique parce qu’ils veulent bien faire, ça ne serait pas confraternel de ne pas les aider. » Suspendue pendant trois mois, la recherche a pu reprendre. Mais le retard pris pourrait réduire le nombre de patients inclus. Un instant, l’infirmière, qui déclare ne pas être sujette à la peur « qui fait partie du courage et de la volonté », émet une pointe de doute. Mais elle sait où son parcours et l’amour de son métier veulent la conduire. Elle reste optimiste. Au vu de la nouveauté de son sujet, elle envisage d’ailleurs d’en publier les résultats dans des revues anglophones prestigieuses et réputées inaccessibles. Une manière de faire reconnaître l’intérêt du procédé qu’elle teste et d’améliorer la prise en charge soignante.

RÉFÉRENCES

Note

1. Commission soins et urgences de la SFMU, Avis d’experts et de bonnes pratiques face à un décès, éditions Foucher, 2018

Bibliographie

• Hugenschmitt D., Cesareo É., Gueugniaud P.-Y., « Évaluation de la température chez le polytraumatisé : l’infirmier Smur doit être acteur de l’amélioration des pratiques », 2015. Abstract en ligne sur : bit.ly/3bFRFN0

• Ariès P., Essais sur l’histoire de la mort en Occident, éd. Seuil, 2014

• Vardon F., Mrozek S., Geeraerts T., Fourcade O., “Accidental hypothermia in severe trauma”, Anaesthesia Critical Care & Pain Medicine, 2016 Oct; 35 (5):355-361. En ligne sur : bit.ly/3dJakKq

• Lundgren P., Henriksson O., Naredi P., Björnstig U., “The effect of active warming in prehospital trauma care during road and air ambulance transportation – a clinical randomized trial”, Scandinavian Journal of Trauma, Resuscitation and Emergency Medicine, 2011 Oct 21;19:59. En ligne sur : bit.ly/2NBELHx

• Ossaint R., Bouillon B., Cerny V. and al., “The European guideline on management of major bleeding and coagulopathy following trauma: fourth edition”, Critical Care, 2016 Apr 12;20:100. En ligne sur : bit.ly/37LGZLA

• Hugenschmitt D., Souquet M.-L., Bagur J., Gueugniaud P.-Y. and al., « L’infirmier urgentiste face à la mort en pré-hospitalier », Revue de l’infirmière, n° 211, mai 2015;64:41-3. En ligne sur : bit.ly/2NWMKit

SON PARCOURS EN CINQ DATES

2004 Diplôme d’État infirmier à Vienne (Isère).

2009 Entrée au Samu-Smur des Hospices civils de Lyon.

2012 U d’argent pour sa présentation sur l’accouchement inopiné au Congrès de la Société française de médecine d’urgence (SFMU).

2013 Étude observationnelle suivie d’un livret à destination des soignants, « Aide-mémoire face à un décès en préhospitalier ».

2016-2020 DIU Formation des assistants de recherche clinique et des techniciens d’études cliniques, université Claude Bernard (Lyon) ; présidence de la Commission soins et urgences de la SFMU ; DU Lecture critique et interprétation des essais thérapeutiques, université Claude Bernard ; direction de l’ouvrage Avis d’expert et bonnes pratiques face à un décès. Sélection au titre du PHRIP de l’étude Thermotrauma.

UNE PREMIÈRE DANS LE MONDE DE LA RECHERCHE

L’étude Thermotrauma permet de déterminer l’efficacité des poches de chaud pour maintenir la température de patients traumatisés, lors de leur transport.

Cette recherche, comparative et interventionnelle, interroge l’efficacité d’un dispositif de classe 2A, certifié Communauté Européenne qui n’a encore été ni utilisé, ni étudié en urgences préhospitalières. L’emploi de poches de chaud peut-il prévenir l’hypothermie des patients traumatisés lors de leur transport par les équipes du Smur ?

« La procédure que nous utilisons actuellement – couverture de survie et chauffage de la cellule sanitaire – n’est pas suffisante pour réchauffer les personnes que nous secourons », explique Delphine Hugenschmitt. L’infirmière a réalisé en 2016-2017, au Samu de Lyon, une étude montrant que 34 % des patients traumatisés arrivaient en hypothermie en salle d’accueil des urgences vitales. La seule alternative actuellement disponible, la couverture à air pulsé, utilisée en bloc opératoire, présente le désavantage d’être chère (environ 1 500 euros) et peu ergonomique pour les équipes d’intervention.

DISPOSITIF EXPÉRIMENTAL

Cette poche, légère et de dimension réduite, diffuse de la chaleur pendant une demi-heure. Une pression exercée sur le dispositif déclenche une réaction chimique entre l’eau et l’anhydre de magnésium qu’elle contient, dégageant une forte chaleur.

Quatre poches seront placées sur les vaisseaux principaux, au niveau de la région sous-clavière et de l’aine. Leur usage sera renouvelé une fois, afin de couvrir la totalité du temps de transport. Dans le cadre de cette étude, elles sont entourées d’un champ molletonné : « Cela réduit leur efficacité, ce que j’ai décidé consciemment afin de privilégier la sécurité des patients », justifie l’infirmière investigatrice. Les poches de chaud vont être utilisées en plus de la procédure standard de manière systématique, une semaine sur deux.

L’autre semaine, les patients traumatisés seront réchauffés avec cette seule procédure. L’efficacité des deux procédés sera ensuite comparée. Quatorze centres investigateurs participent à l’étude*. Un chiffre particulièrement élevé pour une recherche infirmière, signant le volontarisme de sa coordinatrice. L’ordre des semaines off est décidé de manière différenciée et aléatoire dans chaque centre investigateur. Il est prévu que 612 patients soient inclus dans cette recherche. Leur consentement ou celui d’un proche est requis pour l’utilisation des données.

Outre l’amélioration de la pratique soignante et de la prise en charge des patients, le bénéfice attendu de cette étude est d’ordre financier : le coût de huit poches de chaud va de 4 à 8 euros.

* Lyon, Grenoble, Chambéry, Annecy, Aurillac, Clermont-Ferrand, Chalon-sur-Saône, Besançon, Strasbourg, Paris, Amiens, Nantes, Bordeaux et Angers.

TÉMOIGNAGE

“Je joue aussi le rôle de facilitateur”

Jean-Damien Demourgues, cadre de santé du Smur depuis trois ans, soutient le travail de recherche au sein des Hospices civils de Lyon.

« Il y a un décalage entre la reconnaissance nationale dont jouit Delphine Hugenschmitt et le peu de visibilité dont elle dispose au sein de l’institution. Elle suit beaucoup de projets dans le service. Son implication à la SFMU joue un rôle moteur dans nos pratiques, cela nous permet de nous tenir au courant des évolutions et de nous y adapter. Le PHRIP qu’elle a entrepris est à l’avant-garde, elle est la première infirmière de France à réaliser cela, ce qui rejaillit sur notre hôpital. Jusqu’à ce qu’elle obtienne son financement, elle avait effectué un travail important, essentiellement sur son temps personnel. Or, elle le mène aussi pour l’institution. J’ai un peu mis la pression pour qu’elle soit rémunérée. Je joue aussi le rôle de facilitateur, je valorise son temps de recherche en le transformant en heures supplémentaires. J’aménage son planning selon ses besoins, comme lorsqu’elle a dû se déplacer pour ouvrir la recherche dans les différents centres d’investigation de l’étude Thermotrauma. Son rêve, ça serait d’avoir un temps partagé entre la recherche et le Smur. Je fais du forcing auprès du cadre supérieur pour qu’elle obtienne quelques heures dévolues à la recherche et reconnues comme telles. Nous avons la chance d’être une grosse équipe. Cela permet de dégager un peu de temps pour des gens investis dans un projet. Pour les Hospices civils de Lyon, il y a à présent la volonté de promouvoir la recherche infirmière. Nous essayons de nous engouffrer dans ce créneau en disant : “Nous, nous avons quelqu’un.” C’est un travail de longue haleine, mais nous sommes tous têtus et tenaces, nous allons y arriver. »