LES PROBIOTIQUES FONT LEURS PREUVES - Ma revue n° 006 du 01/03/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 006 du 01/03/2021

 

JE ME FORME

PHARMACO

Nathalie Belin  

Largement utilisés comme compléments alimentaires, les probiotiques peinent à prouver cliniquement leur intérêt. Pourtant, des preuves solides de leur efficacité dans certains domaines permettent de les recommander.

L’explosion des différents travaux sur le microbiote intestinal et les probiotiques a permis de démontrer le rôle du premier dans un certain nombre de pathologies (lire l’encadré « Repères » p. 41) et fait émerger autant d’espoir que de déception concernant les seconds. Car s’il est reconnu qu’une dysbiose – déséquilibre du microbiote – intestinale est associée à de nombreuses maladies, les résultats des études cliniques sont souvent trop discordants pour valider l’intérêt de telle ou telle souche probiotique. Et de fait, l’efficacité d’un probiotique dépend de son implantation et de ses interactions avec le microbiote, lequel est différent d’une personne à une autre. D’où de grandes variations individuelles en termes d’efficacité.

Mais malgré ces difficultés, les bénéfices des probiotiques sont reconnus dans certaines pathologies, notamment en gastro-entérologie, en allergologie ou encore dans les infections génito-urinaires. Des sociétés savantes, qui se sont basées sur des essais randomisés contrôlés, leur accordent d’ailleurs une place dans les traitements et les citent dans leurs recommandations.

GASTRO-ENTÉROLOGIE

GASTRO-ENTÉRITE AIGUË

Deux souches probiotiques, qui ont une efficacité démontrée dans la gastro-entérite aiguë de l’enfant, sont préconisées par la Société européenne de gastro-entérologie, d’hépatologie et de nutrition pédiatriques (ESPGHAN)(1) ainsi que par le Groupe francophone d’hépato-gastro-entérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP)(2) pour diminuer l’intensité et la durée de la diarrhée aiguë chez l’enfant et le nourrisson. Il s’agit de la levure Saccharomyces boulardii (plus connue sous le nom Ultra-levure®) et la souche Lactobacillus rhamnosus GG, présente dans certains compléments alimentaires comme Babybiane Imedia® ou encore Probiolog DIA®.

En revanche, si aucune indication des probiotiques dans la gastro-entérite de l’adulte n’a été reconnue à ce jour, pour le Pr Jean-Marc Sabaté, gastroentérologue et chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), « ils pourraient avoir des effets bénéfiques dans ce cas pour prévenir l’apparition d’une dysbiose qui, ellemême, peut favoriser la survenue d’un syndrome de l’intestin irritable post-infectieux ». Et de préciser : « En effet, dans environ 20 % des cas, le syndrome de l’intestin irritable se manifeste quelques mois après une gastro-entérite aiguë. »

Quelle place dans la stratégie ? À l’heure actuelle, seuls trois traitements peuvent être proposés en cas de diarrhée aiguë du nourrisson et de l’enfant, en complément de la réhydratation orale : les probiotiques, le racécadotril et la diosmectite (à noter que cette dernière n’est plus indiquée avant l’âge de 2 ans). Les doses conseillées sont de 250 à 750 mg/jour pour la levure Saccharomyces boulardii, et au moins 10 milliards UFC (unité formant colonie) par jour pour le Lactobacillus rhamnosus, pendant cinq à sept jours(1).

Que dire aux patients ? Certains probiotiques, en complément d’une réhydratation, aident à limiter la diarrhée, à condition d’être pris à doses efficaces. Mais les compléments alimentaires ne permettant pas toujours d’atteindre ces doses, le recours à un médicament est préférable.

DIARRHÉE ASSOCIÉE AUX ANTIBIOTIQUES

Ce trouble du transit est défini par la survenue d’au moins trois selles très molles par jour, pendant au moins 24 heures, chez une personne suivant un traitement antibiotique ou dans les deux mois suivant l’arrêt d’une antibiothérapie. Chez l’enfant de moins de 2 ans, la dysbiose intestinale secondaire à une antibiothérapie pourrait être un facteur de risque d’apparition de certaines pathologies à long terme : syndrome de l’intestin irritable, surpoids, diabète, allergies, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin(3).

Des essais cliniques randomisés montrent l’efficacité de Saccharomyces boulardii (Ultra-levure®) ou Lactobacillus rhamnosus GG en prévention de la diarrhée associée aux antibiotiques chez l’enfant et l’adulte, y compris celle à Clostridium difficile(3, 4).

Quelle place dans la stratégie ? L’utilisation de ces probiotiques peut être recommandée en association à un traitement antibiotique, en respectant les posologies suivantes : 250 mg 2 fois/ jour pour Saccharomyces boulardii et au moins 10 milliards UFC 1 à 2 fois/jour pour Lactobacillus rhamnosus GG(4).

Que dire aux patients ? Dans la majorité des cas, la diarrhée associée aux antibiotiques est bénigne et régresse à l’arrêt du traitement. La prise d’un probiotique limite ce risque et peut être encouragée chez le jeune enfant de moins de 2 ans.

SYNDROME DE L’INTESTIN IRRITABLE

Les probiotiques sont cités dans la prise en charge du syndrome de l’intestin irritable, aux côtés des thérapies médicamenteuses, dans les recommandations de la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE)(5). Plusieurs ont en effet fait l’objet d’études cliniques, lesquelles ont fait ressortir des données d’efficacité jugées solides(6) : citons, par noms commerciaux, Kijimea®, Probiolog Florvis® Smebiocta Confort® et Symbiosys Alflorex ®, entre autres.

Quelle place dans la stratégie ? Selon le degré d’inconfort, les probiotiques peuvent être utilisés seuls ou en association à des traitements symptomatiques (antidiarrhéiques, laxatifs, antispasmodiques notamment).

Que dire aux patients ? L’efficacité étant variable d’un individu à un autre, il est généralement conseillé au patient de tester une formule pendant une période de quatre à six semaines avant d’en changer si aucune amélioration n’est constatée.

En cas d’efficacité, il est logique de poursuivre la prise du probiotique durant plusieurs mois, jusqu’à complète stabilisation des symptômes. Sachant qu’un probiotique ne modifie pas durablement la composition du microbiote intestinal, des cures de deux à trois mois renouvelables sont une option en cas de récidive.

MALADIES INFLAMMATOIRES CHRONIQUES DE L’INTESTIN

Actuellement, les probiotiques n’ont pas démontré leur efficacité dans la maladie de Crohn. En revanche, certains peuvent avoir un intérêt dans la rectocolite hémorragique (RCH)(7), et notamment VSL#3®, qui associe plusieurs souches microbiennes (VSL#3®, Vivomixx 450®…) et Escherichia coli Nissle 1917 (non commercialisée en France). Ce probiotique a la même efficacité qu’une petite dose d’aminosalicylés (traitement anti-inflammatoire conventionnel) pour le maintien en rémission de la maladie. VSL#3® présente aussi un intérêt dans la prévention de la pochite (inflammation du réservoir constitué après colectomie avec anastomose iléo-anale).

Quelle place dans la stratégie ? Les probiotiques ne sont prescrits qu’en complément du traitement conventionnel de la rectocolite hémorragique. Ils sont rarement suffisants seuls.

Que dire aux patients ? Les prises se font selon les recommandations du médecin, si possible de façon continue dans le cas d’une pochite, ou en cure de deux à trois mois renouvelables afin de prévenir et limiter les poussées de rectocolite hémorragique.

ALLERGOLOGIE

Un certain nombre d’études a montré que le microbiote intestinal est globalement moins diversifié chez les personnes qui souffrent de certaines pathologies allergiques, type asthme, rhinite allergique et dermatite atopique. À ce jour, toutefois, les probiotiques n’ont démontré un réel intérêt que dans la prévention de la dermatite atopique chez l’enfant et ce, dès lors qu’ils sont administrés aux femmes enceintes durant le dernier trimestre de grossesse, ou au cours de l’allaitement, ou encore lorsqu’ils sont donnés aux nourrissons dès la naissance(8).

Quelle place dans la stratégie ? L’Organisation mondiale d’allergologie (WAO pour World Allergy Organization) recommande leur utilisation chez les femmes enceintes et allaitantes ainsi que chez les nourrissons lorsqu’un risque élevé pour l’enfant de développer un eczéma existe : antécédents de rhinite allergique, asthme, eczéma ou allergie alimentaire chez le père, la mère, le frère ou la sœur. Plusieurs probiotiques actuellement disponibles sur le marché ciblent cette indication (Physionorm Baby®, Probiolog Derma®…).

Que dire aux patients ? Le Dr Alexis Mosca, pédiatre dans le service de gastro-entérologie et nutrition pédiatrique de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, suggère d’essayer une référence de probiotiques en prévention chez les femmes enceintes ou les nourrissons et enfants à risque, « même une fois l’eczéma diagnostiqué afin d’en améliorer les symptômes, en sachant que dans ce contexte, les bénéfices ne sont pas démontrés ».

En effet, la grande variabilité des souches et des dosages utilisés dans les études ne permet pas à l’heure actuelle de recommander une référence plutôt qu’une autre.

SPHÈRE GÉNITO-URINAIRE

Certaines infections vaginales et urinaires sont liées à une dysbiose du microbiote intestinal et/ ou vaginal. C’est le cas dans la vaginose bactérienne, dont les récidives sont très fréquentes, même après une antibiothérapie bien conduite. Bien qu’il n’y ait pas de recommandations officielles, de nombreux essais randomisés montrent que l’utilisation de probiotiques par voie orale ou vaginale durant plusieurs semaines ou mois, associée à un traitement antibiotique, réduit les récidives de vaginose bactérienne. « Les résultats les plus significatifs sont obtenus avec une utilisation par voie vaginale », note le Dr Jean-Marc Bohbot, infectiologue à l’Institut Fournier, à Paris, et spécialiste des infections urogénitales, qui pointe également des résultats intéressants des probiotiques dans les mycoses vaginales récidivantes. Il n’y a pas non plus d’indication officielle dans les cystites récidivantes, mais le médecin souligne qu’ils méritent d’être essayés dans cette situation également, dans laquelle une dysbiose (intestinale ou vaginale) peut être en cause : « D’une part, ils ne nuisent pas, et d’autre part, même si les études publiées sont peu nombreuses et hétérogènes, plusieurs ont montré que les probiotiques réduisaient le nombre de cystites chez les femmes souffrant d’épisodes récidivants, d’autant plus chez celles qui sont fréquemment sous antibiotiques. »

Quelle place dans la stratégie ? Les probiotiques sont indiqués dans les infections génito-urinaires récidivantes (plus de quatre par an), en association, selon les cas, à une antibiothérapie ou un traitement antifongique.

Que dire aux patients ? Le microbiote vaginal « dérive » directement du microbiote intestinal, d’où la possibilité de le moduler par l’administration orale de probiotiques (Lactibiane Cnd 10M®, Orogyn®…). Toutefois, les études montrent que les résultats sont plus rapides et plus probants lorsque les probiotiques sont administrés par voie vaginale (Bactigyn®, Hydralin Flora®, Physioflor LP®…). Dans ce cas, les prises se font en cure de quelques jours par mois (par exemple après les règles) alors qu’une administration quotidienne en cure de plusieurs mois est nécessaire en per os.

RÉFÉRENCES

Notes

1. Société européenne de gastro-entérologie, d’hépatologie et de nutrition pédiatriques (ESPGHAN), “Guidelines for the Management of Acute Gastroenteritis in Children in Europe”, 2014. Disponible en ligne sur : bit.ly/3sYzObS, onglet “Publications”

2. Groupe francophone d’hépato-gastro-entérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP), « Diarrhées aiguës du nourrisson et de l’enfant : recommandations d’experts », janvier 2017. Disponible en ligne sur : bit.ly/3a3ffSP

3. Groupe francophone d’hépato-gastro-entérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP), « Prévention de la diarrhée associée aux antibiotiques : recommandations d’experts », septembre 2019. Disponible en ligne sur : bit.ly/3qNocGE

4. World Gastroenterology Organisation Global Guidelines, « Probiotiques et prébiotiques », février 2017. Disponible en ligne sur : bit.ly/3c97m0N

5. Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE), « Prise en charge du syndrome de l’intestin irritable », septembre 2016. Disponible en ligne sur : bit.ly/36atMLr

6. World Gastroenterology Organisation Global Guidelines, « Syndrome de l’intestin irritable : une approche globale », septembre 2015. Disponible en ligne sur : bit.ly/36b3pot

7. Troisième conférence de consensus ECCO (European Crohn’s and Colitis Organisation) sur la rectocolite hémorragique (RCH)

Source utile

• Fiocchi A., Pawankar R., Cuello-Garcia C., Ahn K. et al. “World Allergy Organization-McMaster University, Guidelines for Allergic Disease Prevention (GLAD-P) : Probiotics”, janvier 2015, 8 (1):4. Disponible en ligne sur : bit.ly/3tan3Lr

Vigilance

• Des cas rares d’infections invasives liées à l’usage de probiotiques sont rapportés, le plus souvent chez des personnes gravement affaiblies ou immunodéprimées. En conséquence, les probiotiques sont déconseillés chez les immunodéprimés et les nouveau-nés prématurés. La levure S. boulardii est contre-indiquée chez les patients porteurs d’une chambre implantable ou immunodéficients en raison d’un risque de fongémie.

• Certains probiotiques sont déconseillés durant la grossesse ou chez les très jeunes enfants en raison de la présence d’autres composants (plantes, par exemple). Certaines souches nécessitent d’être conservées au réfrigérateur, ce qui est alors mentionné sur l’emballage. Certains probiotiques en poudre ou en gélules peuvent être mélangés à un liquide ou un aliment froid ou tiède mais jamais chaud afin de ne pas inactiver la souche microbienne.

Probiotiques et infections respiratoires

→ Des altérations du microbiote sont en lien avec une diminution de la production d’acides gras à chaîne courte et sont associées à une augmentation du risque d’infections respiratoires virales ou bactériennes. « Produits par le microbiote intestinal, les acides gras à chaîne courte circulent dans l’organisme, y compris au niveau respiratoire, et sont connus pour stimuler les cellules immunitaires, et notamment les lymphocytes, tout en évitant leur suractivation qui peut être délétère », précise le Pr Harry Sokol, chercheur et gastro-entérologue à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.

→ Des études versus placebo menées chez des enfants ou des adultes suggèrent que les probiotiques pourraient réduire l’incidence et la durée de certaines infections respiratoires (1, 2). Les résultats sont toutefois trop divergents pour donner lieu à des recommandations.

1. Hao Q., Dong B.R., Wu T., « Probiotiques (micro-organismes vivants) pour prévenir les infections des voies respiratoires supérieures (IVRS ; ex. rhume banal) », Cochrane, février 2015. Disponible en ligne sur : bit.ly/2NCZj2c

2. Scott A.M., Clark J., Julien B. et al., « Les probiotiques (“bactéries saines”) pour prévenir les infections aiguës de l’oreille moyenne chez l’enfant », Cochrane, juin 2019. Disponible en ligne sur : bit.ly/36b6vsA

Repères

MICROBIOTE ET PROBIOTIQUES

• Le microbiote, composé de micro-organismes vivants (bactéries, champignons, levures…), est présent au niveau de toutes les muqueuses en relation avec le milieu extérieur : bouche, intestins, peau, vagin, poumons, surface oculaire… Le plus connu et le plus étudié est celui de l’intestin dont il est prouvé qu’il joue, entre autres, un rôle dans la digestion et la synthèse de vitamines, le développement du système immunitaire et son fonctionnement, et dans l’apparition de certaines pathologies(1) intestinales (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, intestin irritable), métaboliques (diabète, obésité…), neurologiques (autisme, maladies neurodégénératives, troubles bipolaires, dépression…), allergiques ou encore de certains cancers.

• Les probiotiques sont des micro-organismes vivants qui, lorsqu’ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent un effet positif sur la santé de l’hôte. Chaque souche, déterminée par son genre, son espèce et sa sous-espèce selon le cas, voire des caractères qui permettent de l’identifier spécifiquement (ex : Bifidobacterium animalis lactis DN-173 010), renferme des propriétés qui lui sont propres et ne peuvent être extrapolées à une autre souche de la même espèce ou sous-espèce.

1. Inserm, dossier « Microbiote intestinal (flore intestinale) ». Disponible en ligne sur : bit.ly/39ndOjf