POSE DE BCM, TROUVER LA BONNE PRESSION - Ma revue n° 002 du 01/11/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 002 du 01/11/2020

 

JE RECHERCHE

SUR LE TERRAIN

Marie-Capucine Diss  

Référente en matière de plaies veineuses complexes, Anne Pottier a entrepris un travail de recherche pour affiner les connaissances professionnelles dans ce domaine.

Son sujet de recherche lui est venu en un regard. Dans un couloir du CHU de Nantes, Anne Pottier observe, sur un brancard, une femme portant des bandes de compression médicale (BCM), et remarque que seul un des talons est recouvert. L’infirmière référente en plaies vasculaires s’interroge. Est-ce la même personne qui a posé les deux bandes ? Cette différence de traitement est-elle due à un moment de distraction ? La question n’est pas anecdotique. Une pression effectuée selon des critères précis est le principe actif permettant la guérison d’un ulcère veineux (lire encadré p. 68). Et les sources consultables sur Internet sur le sujet ne sont pas légion. Les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant les bandes de compression médicale préconisent de recouvrir le talon, sans pour autant s’appuyer sur une étude scientifique sur leur technique de pose.

UN PROJET D’ÉTUDE OBSERVATIONNELLE

Confiant ses interrogations à une infirmière de recherche clinique (IRC) du CHU, Anne Pottier apprend que l’établissement abrite une Maison de la recherche et qu’Emmanuelle Catron, infirmière coordinatrice, s’y consacre à l’accompagnement de la recherche paramédicale. Pour l’infirmière, la rencontre est décisive : « Elle est si enthousiaste qu’elle donne envie de se lancer dans la recherche, qu’elle présente comme un jeu. » Un jeu aux règles aussi complexes qu’exigeantes. Première étape : dresser un état des lieux des pratiques de pose. L’infirmière, aidée de la coordinatrice de la recherche paramédicale, construit un projet d’étude observationnelle, soumis à l’appel d’offre interne (AOI) de l’hôpital. Grâce à une grille d’observation prenant en compte les recommandations professionnelles, et des entretiens semi-directifs, elle peut évaluer les connaissances et les pratiques en matière de pose de BCM pour le traitement des ulcères veineux, en ville et à l’hôpital.

La rédaction de la lettre d’intention de ce projet de recherche est une initiation pour Anne Pottier : « En consultant les modèles d’écriture de projets, je me suis demandé si j’allais me lancer dans cet exercice. Je n’avais plus l’habitude d’écrire. En tant qu’infirmière, je ne rédigeais plus que des transmissions ciblées. Quand on voit tous les éléments qui doivent composer la lettre d’intention, on s’aperçoit qu’on entre dans une autre dimension. » Sélectionné, le projet Epoc (évaluation de la pose de compression médicale) est mené en 2016 pendant quatre mois, auprès de 261 patients : 161 en consultation externe et 100 en hospitalisation. Les résultats montrent que l’ensemble des critères recommandés pour la pose de BCM est respecté chez 27 % des personnes hospitalisées et chez 13 % des patients à domicile. Le critère de pose le moins observé concerne le recouvrement du talon, recommandation non suivie chez 54 % des patients en hôpital et 48 % des patients suivis en ambulatoire. Les entretiens semi-directifs menés auprès de six infirmières libérales (Idels) et de trois infirmières hospitalières font ressortir une insuffisance de la formation concernant la pose de BCM. Les témoignages professionnels mettent également en lumière l’incidence fondamentale de la demande des patients dans leur manière d’effectuer le bandage. Les Idels ont tendance à découvrir le talon, afin d’éviter que les patients n’ôtent les bandes, par inconfort. L’étude révèle également un manque de connaissance des recommandations professionnelles.

NOUVELLE RECHERCHE

Anne Pottier retient de cette première expérience la richesse des échanges avec ses consœurs, appréciant d’être sollicitées et questionnées au sujet de leur pratique. La rédaction d’un article scientifique, paru dans la revue Recherche en soins infirmiers, l’initie alors à un nouvel exercice : l’élaboration d’une discussion et d’une conclusion à partir des chiffres obtenus à l’issue de l’étude. Ici encore, l’aide de la coordinatrice à la recherche s’avère précieuse pour l’infirmière, qui progresse dans sa rédaction grâce à un échange fourni avec Emmanuelle Cartron. La conclusion principale d’Epoc, montrant que chez un patient sur deux le talon n’est pas recouvert, appelle un nouveau travail de recherche. Le programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) paraît tout indiqué pour cette nouvelle étape. Il s’agira d’établir si le recouvrement ou non du talon lors de la pose de bandes de compression médicale a une incidence sur la pression nécessaire pour être thérapeutique dans le traitement de l’ulcère veineux ouvert.

Une nouvelle aventure commence pour l’investigatrice. La lettre d’intention à rédiger demande un travail particulièrement fourni, aussi bien en matière de bibliographie que de méthodologie : « Devant le degré d’exigence de cet appel à projet, j’ai ressenti une énorme appréhension, je me suis à nouveau demandé si j’y arriverai, raconte l’infirmière. Le projet s’est monté grâce à un travail d’équipe avec les professionnels de la Maison de la recherche : une cheffe de projet, un statisticien, une méthodologiste. J’ai eu le sentiment de changer de métier. » Mais tout au long du montage du projet, des imprévus surgissent, jusqu’à l’envoi de la lettre quelques minutes avant la clôture des candidatures. Un vrai soulagement pour la chercheuse. Quelques mois plus tard, en juin 2017, Anne Pottier apprend que sa candidature a été sélectionnée pour la première étape du programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale. Il s’agit à présent de rédiger le protocole de sa recherche. Celle-ci comparera l’effet d’une pose de compression avec talon couvert et découvert. Les patients seront inclus dans l’étude à l’occasion d’une consultation « plaies vasculaires » de l’hôpital. Leur intégration dans le groupe expérimental ou de contrôle sera déterminée par un logiciel qui effectue la randomisation de l’étude. Trois mesures seront effectuées à l’aide d’un Picopress ®. Outre la comparaison de la pression d’interface de talons couverts ou découverts, cette étude a pour objectif secondaire de comparer l’apparition ou le développement d’œdèmes, grâce à une mesure régulière de la circonférence de la cheville des patients. Il sera également demandé à ces derniers de remplir un questionnaire, afin d’évaluer leur satisfaction.

DES IDELS IMPLIQUÉES

En décembre 2017, Anne Pottier apprend que son projet de recherche n’a pas été retenu. Une nouvelle candidature s’impose alors l’année suivante. En concertation avec sa méthodologiste, le nombre de patients à inclure est porté de 70 à 102. Ce second protocole est retenu : en décembre 2018, des moyens sont mis à la disposition de l’infirmière pendant trois ans pour mener son étude Comparachille (lire encadré p. 68). Une nouvelle fois, les événements se précipitent et de nouveaux défis sont à relever. L’infirmière contacte les laboratoires pour leur présenter son travail et les convaincre de lui prêter des appareils de mesure. Les Picopress® sont en effet trop onéreux pour être achetés par le CHU. Pendant ce temps, l’IRC assure le volet administratif et légal de l’étude, qui doit notamment être avalisée par le Comité de protection des personnes. Avec le concours de la Direction de la recherche clinique et de l’innovation (DRCI), des vidéos et un livret sont élaborés pour former les Idels à la pose des bandes de compression médicale et à l’utilisation du capteur de pression Picopress®.

Octobre 2019. L’heure a enfin sonné d’inclure les premiers patients. Sollicitées lors d’une consultation à l’hôpital, les personnes volontaires sont enthousiastes. L’IRC chargée de prévenir les Idels de l’inclusion de leur patient dispose également des bons arguments pour les convaincre de l’intérêt de la recherche en cours. Mais avec le Covid-19, un coup d’arrêt est donné ces inclusions, lesquelles ont repris en douceur en septembre dernier. Elles devraient s’achever, sauf nouvel imprévu, en octobre 2022. Une fois que les résultats seront traités, Anne Pottier pourra alors savoir si son intuition de départ est vérifiée, à savoir que le non-recouvrement du talon permet d’obtenir la même pression d’interface et donc les mêmes conditions de guérison de l’ulcère veineux qu’un talon couvert par une BCM. De telles conclusions faciliteraient l’observance des patients. Continuant de conseiller et de former les infirmières pour le traitement des plaies veineuses, Anne Pottier a la satisfaction d’avoir donné une autre dimension à sa profession : « On découvre que l’on est infirmière en soins, mais aussi en recherche. On peut faire beaucoup de choses avec ce métier. »

SON PARCOURS EN CINQ DATES

2014 Poste à plein temps à l’unité mobile « plaies vasculaires » du CHU de Nantes : avis dans les services et consultations externes, avec le docteur Cécile Durant.

2016 Étude pilote comparative observationnelle Epoc (évaluation de la pose de compression médicale) via l’appel d’offre interne paramédical du CHU de Nantes.

Décembre 2018 Étude sélectionnée lors de sa seconde présentation au programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP).

2018-2019 Diplôme interuniversitaire (DIU) Professionnalisation des parcours en cicatrisation.

Octobre 2019 Premières inclusions de patients dans l’étude randomisée Comparachille.

Évaluer les bonnes pratiques de compression médicale

L’ulcère veineux ouvert représente le dernier stade (C6) de la maladie veineuse. Résultant d’un dysfonctionnement du système veineux, il entraîne une absence de la pression veineuse lors de la déambulation. Ceci occasionne une perte de substance cutanée chronique, par hypoxie tissulaire. La compression par bande médicale permet la cicatrisation de la plaie et, en cas d’œdème, la résorption de ce dernier. Pour être thérapeutique, la pression exercée sur l’ulcère veineux doit être au minimum de 30 millimètres de mercure (mmHg) et ne pas excéder 40 mmHG.

La Haute Autorité de santé recommande l’usage d’un bandage multitype en première intention, auquel peut se substituer celui d’une bande sèche à allongement court. Les recommandations de bonnes pratiques comprennent sept critères définissant une pose efficace de BCM : départ du bandage à la racine des orteils, deux tours complets sur le pied, talon recouvert, étirement conforme du type de bande, recouvrement régulier du tour précédent, fin de la pose à 5  cm du creux poplité, derniers tours non superposés. Ce sont ces critères qui ont été observés lors de la première étude menée par Anne Pottier.

S’attachant à comparer la pression exercée par une bande recouvrant le talon, ou le laissant découvert, la seconde étude en cours s’appuie sur trois mesures consécutives. La première (V1) est effectuée lors de la consultation hospitalière. La seconde (V2) est réalisée par l’infirmière à domicile, deux jours avant la deuxième consultation, au cours de laquelle a lieu la dernière mesure (V3). Le Picopress® est le dispositif employé pour effectuer ces relevés. Lors de la V1 et la V2, la pose de la bande peut être recommencée de façon à obtenir une pression située entre 30 et 40 mmHG. Les données exploitées pour l’étude concernent la variation de pression entre la deuxième et la troisième mesures.

À retenir

Comparachille est une étude randomisée contrôlée visant à montrer la non-infériorité de la pression d’interface sous la bande de compression médicale quand le talon est découvert, par rapport à un talon couvert.

Elle concerne 102 patients inclus à l’occasion d’une consultation au service de plaies vasculaires du CHU de Nantes. Pour chaque participant, trois mesures de la pression d’interface seront effectuées à l’aide d’un Picopress®, à l’hôpital et au domicile.

TÉMOIGNAGE

“Nous sommes souvent en négociation avec les patients, qui ne supportent pas bien le talon découvert”

Maryse Bidaud, Idel à Orvault (44). Elle participe à la recherche Comparachille.

« Nous avons rencontré Anne Pottier et le docteur Durant lors d’une formation au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), il y a trois ans. C’est une équipe disponible, qui nous répond rapidement. Nous avons sollicité le service de plaies vasculaires pour leur envoyer deux patients qui nous posaient des difficultés, et qui ont été intégrés à l’étude. Cela nous intéressait beaucoup. Nous suivons un nombre important de personnes avec des plaies chroniques exigeant une pose de contention. La problématique est souvent la même, il s’agit de l’épaisseur. Nous sommes souvent en négociation avec les patients, qui ne supportent pas bien le talon découvert, car cela leur pose des problèmes pour se chausser. Souvent, nous capitulons. Et lorsque nous avons des retours de la consultation à l’hôpital, on nous dit que ce n’était pas comme ça qu’il fallait poser le bandage. En théorie, on est bien d’accord. En pratique, la difficulté, c’est le quotidien chez les patients. Il est toujours intéressant d’avancer et de se poser les bonnes questions. À domicile, nous sommes souvent la dernière roue du carrosse, tandis que là, on s’intéresse à ce qu’on fait et on nous demande de nous impliquer. L’objectif est de réaliser un travail commun pour en savoir plus sur un dispostif qu’on utilise tout le temps, mais qui, pour nous, n’est pas véritablement mesurable. C’est d’ailleurs l’intérêt de l’utilisation du Picopress®. Cet appareil nous permet de mesurer la force avec laquelle nous posons la bande. Sinon, c’est subjectif, on se fie au patient qui nous dit si c’est confortable ou si ça ne le serre pas trop. Si, à l’issue de cette étude, on nous apprend que le fait de couvrir le talon n’a pas une incidence sur l’évolution favorable de la cicatrisation, nous serions plutôt contentes, cela nous permettrait d’aller dans le sens du patient. »

RÉFÉRENCES

• Haute Autorité de santé, « Dispositifs de compression médicale à usage individuel. Utilisation en pathologies vasculaires Révision de la liste des produits et prestations remboursables », septembre 2010. En ligne sur : bit.ly/2H0JcYU

• Haute Autorité de santé, « Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge de l’ulcère de jambe à prédominance veineuse hors pansement », argumentaire final, juin 2006. En ligne sur : bit.ly/375gMrI

• Assurance maladie-Société française et francophone de plaies et cicatrisatio, « Plaies chroniques. Prise en charge en ville », octobre 2015. En ligne sur : bit.ly/33VgGkh

• Van Hecke A., Grypdonck M. et Deflloor T. « A review of why patients with leg ulcers do not adhere to treatment », J Clin Nurs. Feb. 2009, 18 (3):337 49

• Weller CD, Buchbinder R., Johnston RV. « Interventions for helping people adhere to compression treatments for venous leg ulceration », Cochrane Database Syst Rev. 2016 Mar 2;3:CD008378

• Anne Pottier, Aurélie Le Thuaut, Cécile Durant, Anne-Marie Germond, Arnaud Laurent, Emmanuelle Cartron. « Évaluation des techniques de pose des bandes de compression médicale chez les patients porteurs d’ulcères veineux : une étude observationnelle mixte », Recherche en soins infirmiers, 2019/2, n° 137