PAULE LEBAY DU SOIN AU JARDIN - Ma revue n° 002 du 01/11/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 002 du 01/11/2020

 

JE DIALOGUE

Éléonore de Vaumas  

Après une décennie à prendre soin des autres entre quatre murs, l’ancienne infirmière désormais reconvertie comme consultante en jardin thérapeutique, ne désire qu’une seule chose : faire (re) connaître l’hortithérapie.

L’Infirmière : Aujourd’hui, les jardins thérapeutiques fleurissent un peu partout dans les établissements hospitaliers et médicosociaux. Comment ont-ils germé dans votre vie professionnelle ?

Paule Lebay : Après avoir exercé une dizaine d’années en clinique comme infirmière en cardiologie, hémodialyse, soins palliatifs ou encore gériatrie, on m’a proposé de devenir coordinatrice d’un nouvel accueil de jour pour personnes Alzheimer, en 2012. Comme tout était à faire et que la demande des résidents de faire entrer plus de vert dans l’établissement était récurrente, je me suis intéressée au sujet. À l’époque, l’hortithérapie n’en était qu’à ses balbutiements, mais j’ai eu la chance de pouvoir bénéficier de l’un des tout premiers stages sur le thème des jardins de soins et de bien-être au domaine de Chaumont-sur-Loire, dans le Loir-et-Cher. Là, j’ai fait la connaissance d’Anne Ribes, considérée comme la pionnière française en la matière, et le courant est tout de suite passé entre nous. Si bien que, rapidement, elle m’a demandé de co-animer des formations avec elle. D’abord, au titre de retour d’expérience, puis, au fil des années, en tant que responsable de la formation sur l’animation des jardins de soins. Jusqu’au moment où l’appel de la nature a été si fort que j’ai décide de renoncer à ma carrière d’infirmière pour me consacrer pleinement à ma nouvelle passion.

L’Infirmière : Avant de quitter l’accueil de jour, vous avez créé et animé un projet de jardin thérapeutique dans votre structure. Est-ce une démarche accessible à toutes les IDE ?

PB : Beaucoup pensent, à tort, qu’il suffit d’aménager des espaces verts à l’extérieur des structures pour que la magie opère. Or, la mise en place d’un jardin thérapeutique ou, à moindre mesure, la végétalisation d’une cour privée, d’un bac ou d’un balcon, demande un travail important de préparation, tant du point de vue du montage du projet que de la composition et de la structuration du lieu. Quel sera le budget accordé par l’établissement ? Combien de soignants pourront animer les ateliers ? Qui entretiendra le jardin, l’espace végétal en dehors des ateliers ? Un jardin, c’est bien, mais ce n’est pas une peinture que l’on peut mettre dans un coin pour la reprendre plus tard. Il faut qu’il puisse s’intégrer dans la routine du service, et, pour cela, les équipes de direction, qui sont de plus en plus nombreuses à voir l’intérêt de cette pratique, doivent être prêtes à déployer les moyens financiers et humains suffisants. Au porteur de projet, souvent une infirmière, de se montrer persuasif et d’aller à la recherche des mécènes privés pour faire vivre son idée. Ce n’est pas évident, mais cela en vaut vraiment la peine lorsqu’on connaît les bienfaits de l’hortithérapie sur la santé psychique, cognitive et physique des personnes qui en bénéficient.

L’Infirmière : Vos compétences en tant qu’infirmière sont-elles un plus pour animer un jardin thérapeutique ?

PB : Il faut voir le jardin à but thérapeutique comme un outil conçu dans le cadre du plan de soins du patient, au même titre que la zoothérapie ou encore l’art-thérapie. Si c’est un espace conçu pour apporter bien-être et détente, il doit par conséquent être pensé et utilisé par des soignants (infirmière, aide-soignante, psychologue, cadre de soins…), en concertation avec le médecin. C’est à cette seule condition qu’il peut servir de support dans la démarche de soins. En tant qu’infirmière, on a une vision globale de nos patients. Notre savoir- faire nous permet d’observer les évolutions physiques et psychiques, tant positives que négatives, qui s’opèrent au sein du jardin. Ces constatations sont des données importantes que nous avons la capacité de transmettre au reste de l’équipe avec qui nous parlons le même langage. Pour ma part, quand je fais de la médiation par le végétal, j’ai le sentiment d’être au coeur de mon métier, de retrouver une dimension humaine avec mes patients. Mais c’est aussi une façon d’aller contre le tout-rentable qu’on veut nous imposer depuis quelques années, et qui participe au ras-le-bol croissant des soignants.

L’Infirmière : Au-delà du fait d’être un professionnel de santé, est-il nécessaire d’avoir la main verte pour se lancer dans l’hortithérapie ?

PB : Il est préférable, en effet, d’avoir déjà certaines notions techniques de jardinage pour pouvoir se concentrer davantage sur l’aspect thérapeutique que sur le geste lui-même. Pour les novices, il existe des formations pour apprendre à manier le sécateur et la pioche. Lorsqu’on monte un projet de jardin thérapeutique, il y a également d’autres aspects importants à prendre en considération, comme le confort, la signalétique, les accès physiques, le type de plantes qui y seront plantées, l’autonomie, la sécurité, etc. Le choix ne sera pas le même selon qu’on accueille un public d’enfants ou d’adultes, si les patients sont cérébro-lésés ou atteints d’autisme, porteurs d’un handicap ou simplement âgés. Il faut pouvoir tenir compte de ces différentes caractéristiques comme des aspects sociaux, comportementaux ou encore sensoriels du lieu.

L’Infirmière : En quoi l’hortithérapie a enrichi votre rapport aux soins infirmiers ?

PB : Lorsqu’on jardine, le temps est comme suspendu. Il se passe quelque chose entre le soignant et le soigné qui est de l’ordre de l’holistique. Les interactions, qu’elles soient passives ou actives, sont facilitées. Le simple fait de changer de cadre peut libérer la parole. Le handicap s’efface, on se comprend mieux et on découvre différentes facettes de l’autre ou des capacités chez la personne à côté desquelles on était passé à force d’enchaîner les soins… C’est extrêmement riche, et ça joue incontestablement sur la qualité du lien entre le soignant et le patient. Or, plus la qualité de la relation est bonne, plus il est facile ensuite de retourner aux soins classiques. Mine de rien, c’est aussi une façon de casser notre image de soignant. Vous ne renvoyez pas la même chose à vos patients si vous portez une blouse blanche ou un tablier et des gants de jardinage !

L’Infirmière : Où en est l’hortithérapie aujourd’hui ?

PB : Elle est en manque de reconnaissance des pouvoirs publics ! Et ce, même si plusieurs études scientifiques ont démontré son efficacité en tant qu’outil thérapeutique auprès des personnes fragilisées. Un certain nombre de formations existent, mais tant que l’État ne leur accordera pas de crédit, le nombre de personnes souhaitant se former stagnera. Aujourd’hui, n’importe qui peut se revendiquer hortithérapeute, alors que, selon moi, il est primordial que les ateliers soient conduits par des soignants. De même, pour une meilleure reconnaissance en interne, il faut que, au sein des établissements, les observations effectuées dans le cadre d’activités d’hortithérapie puissent être intégrées dans une case « jardin » dans les transmissions. Cela permettrait aux équipes d’avoir une cohésion dans les objectifs fixés. Et là, c’est aux chefs d’établissement de se saisir de cette question. Plus nous serons nombreux à y croire, plus cette pratique a de chances d’avoir de beaux jours devant elle.

POURQUOI ELLE

La passion de Paule Lebay pour l’hortithérapie a grandi à mesure que cette pratique gagnait du terrain dans le paysage du soin. Son engagement n’a aujourd’hui plus de limites, puisque, après avoir créé des formations spécialisées, elle accompagne désormais bénévolement les porteurs de projet de jardins thérapeutiques(1). Avec un livre en préparation(2) et un projet de boutique en ligne d’outils d’aménagement, l’ex-IDE aspire à faire de son hobby un véritable métier. Son regard et son expertise sur l’hortithérapie nous ont motivé à lui ouvrir nos colonnes.

BIO EXPRESS

2007 Obtient son DE, à Tours (37).

2010 Exerce en EHPAD.

2012 Coordonne l’accueil de jour Maladie d’Alzheimer à Onzain (41) et se forme en hortithérapie à Chaumont-sur-Loire (41).

2013 Devient formatrice au Domaine de Chaumont-sur-Loire.

2018 Consultante en jardins thérapeutiques.

RÉFÉRENCES

1. Sur son site Plus de vert less béton, Paule Lebay a lancé un appel à projet pour venir en aide à des porteurs de projet dans le secteur du jardin thérapeutique. Date limite de dépôt des dossiers le 9 janvier 2021, remise des prix prévue le 20 mars. Plus d’informations sur le site : https://plusdevertlessbeton.com/a-propos/

2. Lebay P., Un jardin pour soigner (titre provisoire), Éd. Terre Vivante.