LES INHIBITEURS DE LA POMPE À PROTONS - Ma revue n° 002 du 01/11/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 002 du 01/11/2020

 

JE ME FORME

PHARMACO

Florence Bontemps*   Dr en pharmacie   Défimédoc**   Aïssé Diallo***  


*pharmacienne assistante, CH Saint-Denis et CHU Robert-Debré, Paris

1 DE QUOI PARLE-T-ON ?

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), lancés dans les années 2000, ont révolutionné la prise en charge des ulcères gastriques. Ils diminuent l’acidité gastrique.

Mode d’action

• Les IPP bloquent l’action de « la pompe à protons », c’est-à-dire de l’enzyme qui secrète les ions H+ des cellules de l’estomac (cellules pariétales) vers la lumière gastrique.

• Les IPP n’agissent pas directement au contact des cellules pariétales. Ce sont des prodrogues qui nécessitent d’être absorbées, distribuées par voie sanguine jusqu’aux cellules pariétales, où elles sont transformées en composés qui sont actifs à pH acide.

• Ils se fixent alors de manière irréversible, bloquant l’activité enzymatique de façon prolongée. L’effet persiste donc de façon prolongée, et est dose-dépendant.

• Le début d’action n’est pas immédiat et l’effet maximal est obtenu en 2 à 4 jours selon la molécule.

Dénomination/dosage

Une dénomination commune en -prazole :

• Les cinq IPP commercialisés sont l’oméprazole (Mopral®, Zoltum®), l’ésoméprazole (Inexium®), le lansoprazole (Lanzor®, Ogast®), le pantoprazole (Inipomp®, Eupantol®), le rabéprazole (Pariet®), et leurs génériques.

• Ces IPP sont bioéquivalents (même efficacité et même tolérance) mais pas toujours pour les mêmes dosages. Ainsi, 20 mg d’oméprazole est équivalent à 20 mg de rabéprazole mais correspond à 30 mg de lansoprazole ou 40 mg d’ésoméprazole ou de pantoprazole.

• Chaque molécule existe en deux dosages : un « normal » et un « fort » (double dose).

Indications

• Les IPP sont indiqués en prévention ou en traitement dans le reflux gastroœsophagien (RGO), les œsophagites, l’ulcère gastrique ou duodénal.

• Dans le reflux gastro-œsophagien : le traitement est de 4 semaines, suivi éventuellement d’un traitement d’entretien en cas de rechutes fréquentes ou précoces.

• Dans les œsophagites, le traitement est de 4 à 8 semaines. Un traitement au long cours est parfois nécessaire en prévention des récidives.

• En prévention des lésions gastriques induites par les AINS, le traitement par IPP n’est recommandé que chez les sujets à risque, c’est-à-dire les patients de plus de 65 ans ou ayant des antécédents d’ulcère gastroduodénal, ou traités par antiagrégant plaquettaire ou corticoïdes.

• Dans le traitement de l’ulcère gastrique et duodénal, très souvent liés à une infection à Helicobacter Pylori, on distingue la phase d’éradication de la bactérie où l’IPP est prescrit en association à une antibiothérapie et la phase de cicatrisation de l’ulcère, ou l’IPP est prescrit seul après la période d’antibiothérapie.

• La prescription d’un IPP avec un antiagrégant plaquettaire ou un AVK n’est pas systématique.

• Dans tous les cas, la pertinence du traitement doit être réévaluée périodiquement, en particulier chez la personne âgée. Si la poursuite du traitement n’est pas justifiée, la dose peut être diminuée (ou dose administrée 1 jour sur 2) pendant 4 semaines, puis arrêtée. Un effet rebond des douleurs épigastriques est possible et passager : un pansement digestif peut être prescrit. Un suivi doit être effectué pendant la phase de sevrage et après 1 mois : perte d’appétit, perte de poids, brûlures d’estomac…

Formes galéniques/administration

Comprimés ou microgranules gastrorésistants :

• Les IPP sont rapidement dégradés en milieu acide, ce qui explique que les formes galéniques orales soient toutes gastrorésistantes, pour assurer une absorption au niveau de l’intestin grêle.

• Il existe :

des comprimés ou gélules gastrorésistants (l’enveloppe de la gélule est gastrorésistante) comme Inexium®, Inipomp®, Pariet® ou certains génériques d’oméprazole.

Administration : ces comprimés ou gélules doivent être avalés entiers avec une boisson.

→ Ils ne doivent être ni mâchés ni croqués. Les gélules ne doivent pas être ouvertes.

- des microgranules gastrorésistantes regroupées dans une gélule non gastrorésistante (Mopral® et certains génériques d’oméprazole) ou dans un comprimé orodispersible (Ogastoro®).

Administration : les patients peuvent éventuellement ouvrir ces gélules et avaler le contenu avec un demi-verre d’eau ou un aliment légèrement acide (jus de fruit, compote de pomme…).

→ Les granulés gastrorésistants ne doivent être ni mâchés ni croqués.

• Le pantoprazole et le lansoprazole doivent être pris une demi-heure à une heure avant un repas (les aliments diminuant leur biodisponibilité de moitié).

• Les IPP par voie intraveineuse sont indiqués chez les patients pour lesquels la voie orale n’est pas appropriée. L’oméprazole est administré en perfusion intraveineuse sur une durée comprise entre 20 et 30 minutes.

Posologies orales

• Les doses fortes (comprimés ou gélules « pleine dose ») sont en général destinées aux œsophagites, à l’éradication d’Helicobacter pylori et au traitement de l’ulcère.

• Les doses standard (« demi-doses ») sont généralement adaptées au RGO et à la prévention des lésions sous AINS.

• Le sujet âgé, l’insuffisant rénal et l’insuffisant hépatique peuvent être traités aux mêmes posologies, sauf avec le pantoprazole qui doit être adapté en cas d’insuffisance hépatique sévère.

• Il existe toutefois une variabilité interindividuelle du métabolisme de certains IPP, par exemple une meilleure réponse thérapeutique dans les populations asiatiques.

Grossesse et allaitement

• L’oméprazole, à privilégier chez la femme enceinte, peut être utilisé quel que soit le terme de la grossesse. D’après le Centre de référence des agents tératogènes (Crat), le lansoprazole et l’ésoméprazole peuvent également être utilisés, mais ils ne sont pas recommandés dans les RCP. Le rabéprazole doit être évité.

• L’oméprazole ou l’ésoméprazole peuvent être utilisés au cours de l’allaitement : le nourrisson reçoit moins de 1 % de la dose maternelle (en mg/kg). Par manque d’études, il est préférable de ne pas utiliser les autres IPP pendant la durée de l’allaitement.

2 QUE FAUT-IL SAVOIR ?

Les effets indésirables

Peu d’effets indésirables à court terme

• Les IPP sont généralement bien tolérés à court terme, ce qui explique, avec leur efficacité incontestable sur la douleur gastrique, leur très large prescription.

• Les effets indésirables des IPP les plus fréquents sont les diarrhées, les nausées et vomissements, les douleurs abdominales et les céphalées.

• Ils touchent moins de 5 % des patients et disparaissent rapidement à l’arrêt du traitement.

• Dans de rares cas, les IPP peuvent être responsables de réactions d’hypersensibilité sévère immédiate (urticaire, choc anaphylactique) ou retardées (dont syndrome de Lyell).

Des effets indésirables parfois graves à long terme

À long terme, les effets indésirables sont nombreux :

• effet rebond et dépendance : à l’arrêt du traitement, les patients ont une hypersécrétion d’acide qui les incite souvent à recommencer la prise d’IPP ;

• ostéoporose : l’augmentation du pH induite par les IPP empêche la ionisation des sels de calcium insolubles et donc limite l’absorption du calcium. Le risque de fracture est augmenté chez les personnes âgées sous IPP, en fonction du dosage et de la durée du traitement ;

• infections digestives et respiratoires : la modification du pH gastrique due à l’IPP permet aux bactéries de se développer plus facilement dans le tractus digestif et respiratoire en cas de RGO. Elle entraîne une augmentation de certaines infections gastro-intestinales (Clostridium difficile) et des pneumopathies ;

• effets métaboliques : les IPP, en modifiant le pH gastrique, pourraient induire des hypomagnésémies, des hyponatrémies, des déficits en vitamine B12 et en zinc par modification de leur absorption ;

• néphropathies par mécanisme immunoallergique ;

• cancer gastrique : le lien entre IPP et cancer gastrique n’est pas démontré mais soupçonné chez l’animal (transformations de la muqueuse par inhibition de l’acidité gastrique).

Interactions médicamenteuses

Ces interactions sont dues à la modification du pH de l’estomac :

• en augmentant le pH de l’estomac, les IPP diminuent l’absorption de certains médicaments, faisant courir le risque de diminuer ou supprimer l’efficacité du traitement associé, par exemple avec les inhibiteurs de la tyrosine kinase (ITK), anti-VIH, anti-VHC, certains antifongiques azolés et certains immunosuppresseurs ;

• les IPP sont pour la plupart des inhibiteurs enzymatiques (sauf le pantoprazole, faiblement inhibiteur). Ils peuvent augmenter la toxicité de certains médicaments en limitant leur métabolisme (ex : voriconazole) ou diminuer l’efficacité de certains autres lorsque ce sont des prodrogues (ex : clopidogrel) ;

• les IPP peuvent augmenter la toxicité de certains médicaments (ex : méthotrexate) par compétition au niveau de l’élimination rénale ;

• les IPP cumulent leur effet hyponatrémiant avec certains diurétiques, les IRS, les sulfamides hypoglycémiants…

3 QUEL SUIVI ET QUELLE SURVEILLANCE ?

Pourquoi un IPP est-il prescrit ?

L’infirmière pourra interroger le patient : sait-il expliquer pourquoi le traitement par IPP été prescrit ?

Vérifier au besoin les antécédents du patient :

ulcère hémorragique ? Prescription chronique d’AINS ? Explorations ? Dyspepsie ? Brûlures d’estomac ?…

Diminuer les doses ou arrêter le traitement(1)

• Si l’indication n’est pas retrouvée ou si la durée de traitement ne correspond pas à l’indication, le médecin pourra envisager un arrêt du traitement ou une diminution des doses.

• Le suivi du patient doit s’effectuer après 4 à 12 semaines. L’arrêt ou la diminution du dosage peut entraîner un effet rebond dans environ 10 % des cas.

• Si le patient se plaint de brûlures d’estomac, de régurgitations, de dyspepsie ou de douleurs épigastriques, des approches non pharmacologiques peuvent être tentées : éviter les repas 2-3 heures avant le coucher, surélever la tête du lit, envisager une perte de poids (au besoin) et éviter les aliments qui déclenchent les symptômes.

• Occasionnellement, utiliser un anti-acide en vente libre, IPP (délai d’action : 24-48 h), anti-H2, alginate (Gaviscon®).

• Si les symptômes réapparaissent et persistent plus de 3 jours et gênent le patient dans ses activités quotidiennes, une represcription d’IPP à la dose initiale peut être envisagée. Vérifier préalablement l’absence d’une infection à Helicobacter pylori.

*Co-auteure du Guide pharmaco infirmier, 13e édition, éd. Lamarre, 2020

L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêt

Actuellement, les IPP sont souvent prescrits au long cours (plus de 8 semaines) sans justification, notamment chez les personnes âgées, ce qui entraîne des effets indésirables parfois graves à long terme et un coût global important.

En milieu hospitalier, les IPP peuvent être administrés en perfusion intraveineuse continue sur 48 h à 72 h dans le cadre de la prise en charge des hémorragies digestives, à un débit de 8 mg/h.

L’arrêt d’un traitement prolongé doit être progressif (pas d’arrêt brutal).

Pédiatrie : des prescriptions à partir de 1 an

• Seuls l’oméprazole et l’ésoméprazole ont une AMM chez l’enfant à partir de 1 an (au moins 10 kilos), en traitement de l’œsophagite par reflux et du RGO.

• Les posologies d’oméprazole sont de 10 à 20 mg/jour jusqu’à 20 kilos, et de 20 à 40 mg/jour au-delà, pendant 8 semaines, sans dépasser 1 mg/kg/jour. Les gélules peuvent être ouvertes et le contenu mélangé avec un demi-verre d’eau ou avec un aliment légèrement acide comme un jus de fruit ou une compote de pomme.

• Les posologies d’ésoméprazole sont de 10 mg/jour jusqu’à 20 kilos, et 20 mg/jour au-delà, pendant 8 semaines sans dépasser 1 mg/kg/jour. Il existe des granulés en sachets dosés à 10 mg, particulièrement adaptés.

• Chez l’enfant à partir de 4 ans, un IPP peut être associé à une antibiothérapie dans le traitement de l’ulcère duodénal consécutif à une infection par H. pylori.

RÉFÉRENCES

1. Base de données publique des médicaments. www.medicaments.gouv.fr

2. Farrell B., Pottie K., Thompson W., Boghossian T., Pizzola L., Rashid F.J., et al., lignes directrices de pratique clinique fondées sur les données probantes. « Algorithme de déprescription des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) », Can Fam Physician 2017;63:354-64 (ang), e253-65 (fr).mars 2016. Disponible en ligne sur : bit.ly/2FHUNvN

3. Observatoire des médicaments, dispositifs médicaux, innovations thérapeutiques (OMéDIT) Centre-Val de Loire, « Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) : s’assurer de la pertinence des prescriptions, réduire la durée des traitements chroniques », fiche de bonne pratique et bon usage, Omedit Centre- Val-de-Loire, juin 2018. Disponible en ligne sur : bit.ly/31mchWd

4. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « Utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), étude observationnelle à partir des données du SNDS, France, 2015 », décembre 2018. Disponible en ligne sur : bit.ly/2ILstd2

5. ANSM, « Thesaurus des interactions médicamenteuses », septembre 2019. Disponible en ligne sur : bit.ly/35cAW0f

6. Reinberg O., « Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) : peut-être pas si inoffensifs que cela », Revue Médicale Suisse 2015 ; volume 11, 1665-1671. Disponible en ligne sur : bit.ly/2T4W1Ei

7. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), « Les antisécrétoires gastriques chez l’adulte », Recommandations de bonne pratique, novembre 2007. Disponible en ligne sur : bit.ly/3ke4tNk

8. À lire : Gramont B., Bertoletti L., Roy M., Roblin X., Tardy B., Cathébras P., « Utilisation et gestion des inhibiteurs de la pompe à protons : une étude observationnelle », Therapies, n° 4, vol. 75, juillet-août 2020