AUX PETITS SOINS POUR LES ENFANTS ET LES PARENTS - Ma revue n° 001 du 01/10/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 001 du 01/10/2020

 

J’EXPLORE

PRATIQUE INNOVANTE

Laure Martin  

L’Espace santé petite enfance de Nort-sur-Erdre (Pays de la Loire) offre une prise en charge médicale et paramédicale aux enfants jusqu’à 4 ans, ainsi qu’à leurs parents. Genèse d’un projet innovant.

Sur le tapis d’éveil, Emma, 8 mois et Charlotte, 3 mois. Sous le regard de leurs mamans, les deux bébés font connaissance à leur manière. Emma, qui mâchouille son jouet, voudrait plus d’interactions avec Charlotte, davantage dans l’observation. Barbara Lemale et Émilie Bricard, les deux puéricultrices de l’Espace santé petite enfance, accompagnent ce moment de découverte. Au cours de cet atelier d’éveil des tout-petits, accessible aux bambins jusqu’à l’acquisition de la marche, la motricité est libre. Les deux professionnelles de santé, pieds nus sur le tapis, observent les mouvements des bébés, leurs réactions, jouent avec elles, écoutent les mamans. Un moment qui se déroule en petit comité, pour soutenir au mieux les familles. « Nous sommes toujours présentes toutes les deux, afin d’être plus disponibles pour les parents et leurs bébés », explique Barbara, précisant que l’atelier dure 45 minutes. Au-delà, les nourrissons fatiguent. Julie, la maman d’Emma, est venue pour la première fois à l’Espace santé il y a sept mois, car sa fille ne prenait pas assez de poids. « Notre médecin nous a mis une certaine pression, confie-t-elle. Je me suis inquiétée, j’ai alors cherché un accompagnement, et j’ai obtenu un rendez-vous ici dans la journée. » « Je viens aussi pour moi, pour être rassurée, pour qu’on me dise que je m’occupe bien de ma fille », reconnaît de son côté la maman de Charlotte, pendant que sa fille s’observe dans le miroir tenu par Barbara. « En tant que parent, on est souvent dans le doute, même lorsqu’il s’agit de notre deuxième enfant. » C’est justement pour offrir un soutien et un accompagnement aux parents et aux enfants, à la fois, via une prise en charge médicale et paramédicale, que l’Espace santé petite enfance a ouvert ses portes le 2 mai 2019.

METTRE L’ACCENT SUR L’ATTACHEMENT

Barbara et Émilie sont à l’origine de ce projet alliant les aspects préventifs et curatifs du soin, projet dans lequel elles ont réussi à embarquer la Dre Sylvie Biette-Effray. Médecin généraliste de campagne pendant dix ans, cette dernière a exercé au sein de la Protection maternelle et infantile (PMI) de Châteaubriant pendant vingt ans. « En PMI, j’ai travaillé avec des infirmières puéricultrices, qui m’ont beaucoup appris sur le suivi de l’enfant sain, alors que mon métier m’oriente davantage vers la prise en charge des pathologies », constate la médecin, installée dans son cabinet décoré de mobiles. C’est d’ailleurs à la PMI de Châteaubriant que Sylvie, Barbara et Émilie se sont rencontrées. Dans le cadre d’une action pilotée par Santé publique France, elles ont approfondi leurs connaissances sur la théorie de l’attachement chez l’enfant. Une théorie qui porte aujourd’hui leur projet, et qui fait partie de leurs valeurs communes. Mais, à la suite d’une réorientation des priorités du département, le personnel de la PMI a été contraint de recentrer ses actions et ses interventions principalement autour des familles en difficulté sociale et des enfants relevant de la protection de l’enfance. « C’était donc la fin de la mixité sociale, ce qui va à l’encontre de mes valeurs, pointe du doigt la médecin. On peut avoir des difficultés dans sa parentalité tout en ayant une position sociale honorable. » Sylvie démissionne de son poste de médecin responsable de PMI titulaire de la fonction publique territoriale, et traverse une année difficile. En parallèle, Émilie et Barbara ne se reconnaissent plus non plus dans les valeurs professionnelles de leur PMI. Déjà proches, les deux puéricultrices décident alors de monter une structure ensemble. Émilie se met en disponibilité et en profite pour rédiger le projet qu’elles entendent développer. « Nous avons alors contacté Sylvie pour qu’elle le relise et nous donne son avis », explique Émilie. « Elles m’ont demandé de me lancer dans l’aventure avec elles et, comme cela correspondait parfaitement à mes valeurs, j’ai accepté, complète la médecin. C’était important pour moi, car je ne souhaitais pas finir ma carrière sur un désaccord profond. Je préférais repartir sur un beau projet. »

UN ACCOMPAGNEMENT COMPLET

L’accompagnement proposé aux familles repose sur plusieurs types de consultations. Tout d’abord, des consultations conjointes entre le médecin et les infirmières puéricultrices. « Pour les questions médicales ou le suivi de l’enfant, nous travaillons de manière circulaire », raconte Émilie, précisant que les locaux de l’espace ont également été pensés de cette façon, afin de créer du lien. « Nous voyons toujours les enfants avec leur parent avant le médecin. C’est un temps d’observation du bébé au cours duquel nous accompagnons les parents dans le quotidien de leur enfant (le sommeil, l’alimentation, le développement), nous travaillons sur les émotions, sur la place du père, nous sécurisons les parents. » C’est aussi un moment pour relever la taille, le poids et le périmètre crânien du bébé. L’infirmière puéricultrice passe ensuite le relais au médecin, situé dans le bureau d’à côté. « En quelques mots, elle m’explique la situation avant que je ne commence la consultation », indique Sylvie. Pour elle, la présence des puéricultrices lors des consultations médicales et le suivi est complémentaire à son expertise, notamment parce que leur champ de compétences diffère. « Les puéricultrices ont de meilleures connaissances que moi dans certains domaines, notamment dans l’alimentation, rapporte-t-elle. Et souvent, les parents vont leur poser des questions qu’ils n’aborderaient pas avec moi. Nous offrons une réelle continuité de prise en charge. » C’est d’ailleurs ce que confirme Judith, maman de Nathan, 1 an. Elle a rencontré Émilie lors du suivi de ses deux premiers enfants prématurés, et a noué avec elle une relation de confiance. « À la naissance de mon troisième enfant, lui aussi né prématurément, j’ai demandé à la maternité d’être suivie à l’Espace santé petite enfance, ce qui a été possible en raison de la présence du Dre Biette-Effray. » Et d’ajouter : « C’était indispensable pour moi d’être ici, car l’équipe prend le temps qu’il faut avec nous. Ce type de structure devrait être généralisé pour que les nouveaux parents soient entourés par des gens formés. C’est notre petit lieu “ressource”. »

COMPRENDRE L’ENFANT DANS SA GLOBALITÉ

En parallèle des consultations médicales, les deux puéricultrices proposent des consultations en co-intervention d’environ 1 h à 1h30, sur la parentalité, les troubles du sommeil, l’acquisition de la propreté, les troubles du comportement en lien avec les colères des enfants. « Souvent ce sont des médecins, les centres médico-psychologiques (CMP), les relais assistants maternels (RAM) qui orientent les parents vers notre structure », indique Barbara. Ce matin, la maman de Marin vient pour la première fois avec son fils de 22 mois qui présente des troubles du sommeil. Pour en savoir plus, Émilie pose des questions sur le déroulement de la grossesse, l’accouchement, les premiers mois de Marin, le mode de vie de la famille. « Il est important de comprendre l’enfant dans sa globalité, dans son contexte familial », rapporte Émilie qui se forme en systémie familiale. À l’issue de la consultation, elle donne des orientations à la maman de Marin, mais « jamais de solutions, car les parents doivent rester acteurs », prévient-elle. Les deux puéricultrices assurent aussi des consultations individuelles pour toutes les questions de puériculture propre, comme l’allaitement, le soutien à la parentalité, le suivi des examens non obligatoires de l’enfant. « À la naissance de notre fille, ma femme a eu des difficultés à mettre en place l’allaitement, confie Daniel, accompagné de sa fille Noémie, 10 mois. Nous sommes venus ici conseillés par notre sage-femme, et Émilie a vraiment pris le temps pour l’accompagner dans l’allaitement et m’a expliqué le rôle que je pouvais tenir. Contrairement à la maternité, ici un lien se crée avec l’équipe. » Les parents peuvent aussi bénéficier d’ateliers collectifs comme « L’éveil du tout-petit » ou encore des ateliers « Découverte des morceaux » et « Je dis non », sur la phase d’opposition, des limites et de la socialisation des enfants. Enfin, les deux puéricultrices proposent des consultations à domicile pour les parents de jumeaux, ceux en situation de handicap, en cas de dépression post-partum, pour les consultations d’allaitement, les problèmes avec le bain ou encore les troubles de l’endormissement.

UN STATUT D’ASSOCIATION

Pour dispenser l’ensemble de ces consultations, l’équipe a dû trouver un statut et un lieu d’exercice. Le choix de Nort-sur-Erdre, petite ville située à une trentaine de kilomètres au nord de Nantes, est stratégique. « Il n’y a pas de pédiatre libéral sur le territoire, fait savoir Sylvie. Nous sommes en désertification médicale et les seuls pédiatres accessibles exercent à l’hôpital de Châteaubriant. » Les 450 patients que compte la file active démontrent l’emplacement idéal de la structure. En revanche, trouver le statut de la structure a été un parcours semé d’embûches (lire encadré p. 62). Après plusieurs voies explorées, la solution a été la création d’une association. Reste à la pérenniser, car le montage financier est pour l’heure fragile. La question des tarifs appliqués est d’ailleurs problématique. Contrairement aux actes de pédiatrie du médecin qui sont pris en charge par la sécurité sociale, les consultations de puériculture relèvent d’un autre statut. Leur tarif est fixé et pondéré par le quotient familial. « Notre objectif est de permettre à tous les parents, quel que soit leur budget, de venir à l’Espace santé petite enfance, indiquent les deux consœurs. Mais, pendant le confinement, nous avons réalisé que les tarifs de nos consultations de puériculture n’étaient pas assez élevés pour nous attribuer un revenu correct. » L’association a donc augmenté le prix des consultations. « La première fois que nous sommes venus ici, il est vrai que nous nous sommes posés la question par rapport au tarif, reconnaît Daniel. Mais ce n’est plus le cas maintenant, car un tel service est essentiel pour nous. » Pour Julien, le papa d’Henri, 3 mois, l’augmentation des prix est tout à fait normale car « il faut qu’elles puissent vivre correctement de leur travail ».

VERS LA CRÉATION D’UNE FÉDÉRATION

Outre cette question de pérennité financière, d’autres problématiques se posent au trio. En fin de carrière, la Dre Sylvie Biette-Effray cherche un(e) confrère. À mi-temps pour commencer, il ou elle pourrait prendre, à terme, le relais. L’équipe réfléchit également à diversifier les profils professionnels. Mais le plus urgent reste d’obtenir une reconnaissance et une cotation des actes d’infirmière puéricultrice. Les puéricultrices sont d’ailleurs sollicitées par des consœurs qui souhaitent mettre en place le même type de structure qu’elles. « Dans l’idée, cela ne nous dérange pas, bien au contraire, soutient Émilie. Nous sommes ravies d’échanger avec des collègues qui veulent porter un projet identique. Nous insistons sur le socle important qu’est la théorie de l’attachement. C’est fondamental pour nous. » Pour protéger le concept, la Dre Anne Raynaud-Poste, directrice et fondatrice de l’Institut de la parentalité, projette de créer une Fédération. Elle « souhaite soutenir les porteurs de projets comme nous », indique Barbara. Des conditions sont à remplir : être des professionnels de santé intervenant dans le champ de la petite enfance et de la périnatalité et être formés à la théorie de l’attachement pour effectuer de la prévention médicalisée. « Un regroupement nous permettrait également d’être plus présents dans le paysage sanitaire français et d’avoir plus de légitimité pour demander et obtenir des financements », complète Émilie. Et les deux femmes de conclure : « Nous aimons beaucoup l’image des poupées russes. Nous prenons soin des mamans et des papas pour qu’ils puissent prendre soin de leur bébé, se sentir sécurisés et ainsi faire en sorte que leurs enfants grandissent sereinement. Et nous, nous avons l’association pour prendre soin de nous. »

RÉFÉRENCES

  • • À lire : Tereno, S., Soares, I., Martin E., Sampaio, D., Carlson, E. « La Théorie de l’attachement : son importance dans un contexte pédiatrique », Devenir, 2007/2 (vol. 19), pp. 151-188.
  • • À lire : Pierre Humbert B., L’Attachement, de la théorie à la clinique, Erès, Collection « Le carnet psy », 2012.

Savoir +

La théorie de l’attachement affirme que, pour connaître un développement social et émotionnel normal, un jeune enfant a besoin de développer une relation d’attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue. Une théorie formalisée par le psychiatre et psychanalyste John Bowlby.

La recherche d’un statut, un parcours semé d’embûches

Une fois leur projet rédigé, les trois soignantes ont contacté l’agence régionale de santé, l’Assurance maladie, la Caf et les Ordres des médecins et des infirmiers. À l’origine se souviennent les puéricultrices, « nous avons pensé à un statut mixte avec un statut libéral pour les actes techniques et un statut salarié pour l’accompagnement en puériculture, notamment tout ce qui concerne le soutien à la parentalité, et les consultations de lactation », rapporte Barbara. Mais le statut libéral a été refusé aux infirmières, notamment parce qu’il n’existe pas, au sein de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), de cotation dédiée à la puériculture. « Et aussi parce que nous avons exercé plus de cinq ans en PMI, et cette activité n’est pas prise en compte pour l’antériorité nécessaire à une installation en libérale », dénonce la puéricultrice.

UN ÉQUILIBRE FINANCIER FRAGILE

L’équipe a ensuite envisagé que la Dr Biette-Effray rétrocède ses honoraires aux puéricultrices pour les actes techniques qu’elles réalisent. Mais le Conseil de l’Ordre des médecins a refusé. Des obstacles qui n’ont pas entamé la détermination des trois soignantes qui se sont finalement orientées vers la création d’une association, qui porte leur activité. « Nous avons démarché tout notre réseau pour créer l’association Pôle parents bébés bambins », se rappelle Émilie, précisant que l’équipe de l’Espace santé ne fait pas partie du bureau. Ce dernier est composé de onze personnes, uniquement des professionnels de santé, de la petite enfance ou de l’éducation. Aujourd’hui, les deux puéricultrices sont salariées de l’association et la Dre Biette-Effray exerce en libéral. L’association perçoit les consultations des puéricultrices, des dons de mécènes (entreprises locales, Crédit mutuel), la somme d’un prix perçu à la suite d’un appel à projets du Grand forum des tout-petits 2018. Enfin, la Caf réfléchit actuellement à l’attribution d’une subvention. « Le montage financier reste fragile sans subvention de fonctionnement pérenne », regrette Barbara.

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