Prévention des escarres : quelle méthode pour accompagner le changement de pratique des professionnels ? - L'Infirmière Magazine n° 417 du 01/07/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 417 du 01/07/2020

 

FORMATION

REVUE DE LA LITTÉRATURE

CÉCILE ROUGIER  

Cadre de santé paramédicale, équipe mobile des plaies et cicatrisation, CHU de Bordeaux cecile.rougier@chu-bordeaux.fr

INTRODUCTION

L’escarre est une plaie qui, acquise durant l’hospitalisation, devient un événement indésirable associé aux soins (EIAS) pouvant avoir des conséquences dramatiques sur la réhabilitation et la qualité de vie des patients(1). Elle peut augmenter la durée d’hospitalisation et les risques de comorbidités : infections nosocomiales, syndrome de glissement, perte de l’estime de soi, dépression(1).

En France, l’enquête nationale de la société savante Perse (Prévention, éducation, recherche et escarre) de 2014 montre une prévalence des escarres chez les patients hospitalisés de 8,1 %(2), entraînant un surcoût pour le séjour calculé à 4 568 € et une durée de séjour allongée de près de 9,8 jours(3). Les escarres ont donc des conséquences médico-économiques pour le système de santé.

Toutefois, l’escarre est une complication évitable si les facteurs de risque sont identifiés suffisamment tôt et que des actions précoces de prévention sont mises en œuvre. Les recommandations éditées par les sociétés savantes préconisent d’utiliser une échelle d’évaluation du risque d’escarre, par exemple l’échelle de Braden(4), recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS), dont le score, associé au jugement clinique de l’infirmière, permet de prendre des décisions pour les actions correctives à mettre en place. Pourtant, malgré les recommandations des sociétés savantes(5), les professionnels ne prennent pas systématiquement en compte ce risque et la prévention des escarres n’est que rarement intégrée dans un plan de soins personnalisé. Par exemple, lors des formations, certains professionnels rapportent qu’ils n’ont pas connaissance de la possibilité d’en élaborer un dans le dossier de soins informatisé.

Notre équipe mobile plaies et cicatrisation est régulièrement consultée pour mener une analyse de ces situations et proposer aux équipes un accompagnement de type analyse de pratique professionnelle(6). Accompagner une équipe vers l’évolution de ses pratiques est un réel défi. Aussi, nous avons souhaité bâtir notre intervention en mobilisant un modèle d’accompagnement des professionnels déjà validé. C’est dans ce contexte que cette revue de littérature a été réalisée, elle avait pour objectif d’identifier des interventions pertinentes dans l’amélioration de la prévention des escarres acquises pendant l’hospitalisation.

MÉTHODOLOGIE

Pour réaliser cette revue de la littérature, des motsclés en français ont été identifiés, puis traduits grâce à l’outil en ligne HeTop (Health terminology ontology portal) pour repérer ceux qui correspondaient à des descripteurs du MeSH (Medical subject headings) utilisés sur la base de données Pubmed.

Les recherches ont été effectuées sur PubMed (base de données internationale), EM-Premium (plateforme d’éditeur rassemblant des revues professionnelles francophones) et Cairn-info (plateforme d’un éditeur rassemblant des revues et ouvrages francophones principalement dans le domaine des sciences humaines et sociales, y compris des revues traitant de sujets de santé). D’autres articles ont été consultés directement dans les revues papier des sociétés savantes telles que Perse.

La recherche d’articles s’est faite dans un premier temps sur la base de données PubMed en associant les descripteurs du MeSH avec les opérateurs booléens (AND, OR) :

(Pressure ulcer/prevention [MeSH])

AND ((Quality of health care [MeSH])

OR (formative assessment [MeSH])

OR (organizational objectives [MeSH])

OR (Program development) [MeSH])

Les articles relatant des expériences situées dans des services de pédiatrie, la gynécologie/obstétrique, et les services d’urgences n’ont pas été inclus dans cette revue de littérature.

La recherche a été complétée sur les plateformes d’éditeurs avec le mode « recherche avancée », qui permet d’associer au moins deux mots-clés.

RÉSULTATS

Au total, nous avons retenu 33 références puis sélectionné huit articles pour leur pertinence vis-à-vis de la question de recherche (voir Figure 1). Les articles que nous avons trouvés sur Pubmed décrivant des programmes de prévention des es carres étaient essentiellement des études américaines et canadiennes. Les études françaises portaient sur les méthodes de management permettant d’améliorer la qualité des soins.

→ Enseignement des études étrangères. En Californie, le programme national « zéro escarre » (National goal of zero) comporte un volet d’information du public puisque les indicateurs liés aux escarres sont publiés. Ce qui ressort des résultats de cette étude, c’est que tous les hôpitaux sont obligés de s’engager dans la mise en œuvre d’un plan de prévention contre les escarres avec des programmes internes et des comités chargés de superviser les actions. Ainsi, 78 % du personnel ont été sensibilisés à la prévention du risque d’escarre. Dans l’analyse de cette étude, il ressort que, pour progresser, l’intervention multifacette mobilisant trois volets a permis d’améliorer la prévention des escarres :

– l’utilisation d’une échelle standardisée pour évaluer le risque d’escarre ;

– la formation des professionnels ;

– la mise en œuvre d’une démarche de management pour conduire l’analyse et le changement des pratiques, afin d’améliorer et de pérenniser les actions(7).

Une autre étude américaine a montré que le programme de recherche Purpose identifiait l’impact des escarres sur la qualité de vie et a aidé au développement d’outils basés sur des données probantes et des pratiques centrées sur le patient. L’utilisation d’une échelle d’évaluation du risque couplée à une analyse réflexive sur les pratiques cliniques permet de faire baisser l’incidence des escarres dans les établissements de soins(8).

Une autre recherche, menée en Australie, a démontré qu’une intervention basée, d’une part, sur la mise en place d’une planification de la prise en compte du risque d’escarre dans le plan de soins d’un patient et, d’autre part, un programme de formation, réduisait considérablement leur survenue(9).

→ En France, la prévalence d’escarre a longtemps fait partie des indicateurs de certification des établissements(10). L’intérêt de ces démarches de certification réside dans le fait que l’identification des points sensibles doit enclencher un accompagnement au niveau de la cellule qualité des établissements par des méthodes ayant fait leurs preuves et permettant aux professionnels d’améliorer leurs pratiques.

→ La piste de l’analyse des pratiques professionnelles (APP). Les méthodes d’analyse de pratiques semblaient varier selon les pays. Nous avons donc poursuivi la recherche bibliographique sur des plateformes de revues françaises pour identifier des méthodes accessibles. La méthode d’APP définie comme étant « une démarche collective de théorisation des pratiques à partir de modèles et de concepts issus de la recherche et de la formalisation d’outils élaborés par les praticiens »(11) a été retrouvée à plusieurs reprises et nous a semblé répondre aux objectifs de cette revue de littérature.

L’APP doit répondre à trois conditions :

– mettre en place une méthode structurée pour la mener ;

– viser l’amélioration de la qualité des soins ;

– être basée sur les recommandations de bonnes pratiques.

Les théoriciens de l’analyse réflexive la définissent comme une relation entre le savoir scientifique et l’action professionnelle d’un praticien. Donald A.Schön décrit dans son processus cognitif quatre étapes qui progressent dans un mouvement cyclique : décrire et analyser l’existant puis le raccrocher aux théories constituées issues des savoirs scientifiques et professionnels afin de guider les interventions futures(11). Ce philosophe des sciences et pédagogue s’aperçoit aussi que « lors d’une réflexion dans l’action, l’individu mobilise davantage son savoir acquis par l’expérience plutôt que son savoir théorique appris »(11).

L’APP engage à adopter une posture réflexive qui se construit dans le rapport à de nouvelles connaissances. Elle favorise l’acquisition et l’utilisation des outils en créant un consensus au sein de l’équipe. Elle permet aussi d’analyser et de dépasser les pratiques divergentes et les difficultés rencontrées en prenant le temps de la réflexion(12).

Ces analyses en groupe permettent de réfléchir au sens de l’action et redonnent un sens au travail. « Le sens se construit par la confrontation à de nouveaux savoirs, de nouvelles grilles de lecture, par le partage avec des collègues et/ou des professionnels. Ce processus de production de sens est “une dynamique collective qui se crée et s’exprime dans les interactions entre les individus” »(12). Il est alors un facteur de motivation qui permet d’agir dans la bonne direction.

DISCUSSION

Cette revue de littérature nous a apporté une vision plus globale sur les programmes de prévention des escarres à l’échelle internationale et permis de dégager une méthode ayant déjà été éprouvée dans les démarches d’amélioration de la qualité des soins. Nous avons exploré les dispositifs existants pouvant aider les soignants et retenu l’APP comme une solution agile et adaptée à la réalité des services. Les soignants qui sont au cœur de la prévention et de l’élaboration des plans de soins doivent investir leur rôle propre, mobiliser leurs compétences et réfléchir à leurs pratiques pour diminuer le nombre d’escarres acquises durant l’hospitalisation. L’APP pourrait être un levier managérial à déployer pour faire évoluer les pratiques vers une utilisation systématique de l’échelle de Braden et vers la traçabilité des actes de prévention dans le dossier de soins. Aujourd’hui, la prévention du risque d’escarre doit être pour tous les établissements de santé un gage de qualité de soin et pour tous les soignants un engagement professionnel quotidien. Désormais, nous souhaiterions poursuivre ce travail par l’évaluation d’une intervention basée sur l’APP mobilisée dans une recherche visant à améliorer la prévention des escarres.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Barateau M., Gautier Y., « Se mobiliser, en équipe et avec le patient, pour prévenir les escarres », La Revue de l’infirmière, mars 2018, n° 239, pp. 38-39.
  • 2. Barrois B., Colin D., Allaert F. A., Nicolas B., « Épidémiologie des escarres en France », Revue francophone de cicatrisation, septembre 2017, vol. 1, n° 3, pp. 10-14.
  • 3. Étude de la Drees, « Surcoût des événements indésirables associés aux soins à l’hôpital », Études et résultats, novembre 2011, n° 784. À voir sur : bit.ly/3guJ2Gn
  • 4. Braden B. J., « The Braden scale for predicting pressure sore risk : reflections after 25 years », Advances in skin and wound care, février 2012, vol. 25, n° 2, p. 61.
  • 5. Par le National Pressure Ulcer Advisory Panel, par l’European Pressure Ulcer Advisory Panel et par la Pan Pacific Pressure Injury Alliance. Voir Emily Haesler, « Prevention and treatment of pressure ulcers : quick reference guide », 2014. À lire sur : bit.ly/3esHgnz
  • 6. Zaoui E., « Les groupes d’analyse des pratiques cliniques, une opportunité pour l’encadrement infirmier de renforcer le management des soins », Recherche en soins infirmiers, février 2008, n° 93, pp. 32-38.
  • 7. Soban L. M., Kim l., Yuan A. H., Miltner R. S., « Organizational strategies to implement hospital pressure ulcer prevention programs : findings from a national survey », Journal of Nursing management, septembre 2017, vol. 25, n° 6, pp. 457-467.
  • 8. Nixon J., Nelson E. A., Rutherford C., Coleman S., Muir D., Keen J., et al., « Pressure ulcer programme of research (Purpose) », Southampton (UK) : NIHR Journals Library, 2015.
  • 9. Hiser B., Rochette J., Philbin S., Lowerhouse N., Terburgh C., Pietsch C., « Implementing a pressure ulcer prevention program and enhancing the role of the CWOC : impact on outcomes. Ostomy wound management », Ostomy Wound Manage, février 2006, vol. 52, n° 2, pp. 48-59.
  • 10. Grenier C., Derenne R., Capuano F., Sorasith C., « Indicateurs pour l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins », Haute Autorité de santé (HAS), rapport de décembre 2014. Disponible sur : bit.ly/3el2XWz
  • 11. Dabrion M., Se former à l’analyse de pratiques professionnelles infirmières, Éd. De Boeck, 2014.
  • 12. Roussely B., « Analyse de pratiques et sens au travail », Soins cadres, août 2013, n° 87, pp. 36-39.

L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts

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