Les étudiants sur le front - L'Infirmière Magazine n° 417 du 01/07/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 417 du 01/07/2020

 

FACE AU COVID-19

DOSSIER

MARIE-CAPUCINE DISS  

Les Ifsi ont aménagé la scolarité des étudiants de façon à ce qu’ils puissent venir épauler les établissements et services faisant face à la crise sanitaire du Covid-19. Une expérience hors du commun et déstabilisante.

Départ pour le terrain », « engagement », « renfort »… Rarement les termes employés pour décrire des stages infirmiers auront eu une telle résonance militaire. Le 13 mars 2020, le Plan blanc est étendu à l’ensemble du territoire français. Les établissements sont classés en fonction de leur appartenance à une première, deuxième ou troisième ligne, afin de juguler l’arrivée d’un virus encore mal connu. Une épidémie qui nécessite de retourner un siècle en arrière pour lui trouver des éléments de comparaison : la grippe espagnole, qui aurait fait 50 millions de morts – cinq fois plus que la Première Guerre mondiale à laquelle elle succédait. En 2020, la pandémie de Covid-19 a, elle, bouleversé la scolarité de 94 000 étudiants en soins infirmiers (ESI).

Au moment où la vague de nouveau coronavirus déferle sur le pays par le flanc Est, les responsables pédagogiques de l’hôpital de Saverne (67) s’interrogent : faut-il envoyer les étudiants au front ? « On se disait : si le personnel doit s’adapter, s’il doit trouver des solutions, s’il est dans l’incertitude, est-ce que l’on ajoute un étudiant à cela ?, se rappelle Laëtitia Dietemann, cadre formatrice. Puis l’ARS ne nous a pas laissé le choix. » Très vite, la directrice de l’Ifsi, Isabelle Bayle, prend l’initiative afin que le manque d’encadrement qui se profile à l’horizon ne mette pas en danger les étudiants. Elle élabore un plan de continuité pédagogique qu’elle présente au directeur du CHU. Avant de demander aux étudiants volontaires de s’inscrire sur une liste de leur choix : au contact ou loin du Covid. « Le week-end précédent l’annonce de la crise sanitaire par Emmanuel Macron, j’ai travaillé avec les responsables des Ehpad environnants et de l’hôpital de Saverne, qui m’ont exprimé leurs besoins de renforcement d’équipes sur le terrain. Le dimanche, j’ai appelé les étudiants et les ai positionnés. Par la suite, je faisais chaque jour un point avec les établissements. J’ai fait le choix de gérer moi-même le planning des ESI, en fonction des besoins exprimés. Je voulais garder un contact régulier avec eux et savoir comment ils allaient. »

Des renforts indispensables

Les directeurs des instituts de formation en soins infirmiers n’ont pas toujours eu la possibilité ou la volonté de garder la main sur les affectations des étudiants et de s’assurer de leur consentement. Au moment où éclate la crise épidémique, de nombreux services hospitaliers fonctionnent déjà en sous-effectif. Dans ceux en contact avec le virus, des soignants tombent malades ou sont éloignés pour cause de vulnérabilité. Les étudiants sont alors une ressource dont on ne peut se passer. Ils se révèlent également indispensables pour renforcer les équipes des établissements médico-sociaux ac cueillant des personnes âgées ou handicapées. Les Ifsi mettent leurs étudiants à disposition des établissements, quitte à ce qu’ils se retrouvent dans une situation de flottement inconfortable.

Un nombre important de ces étudiants peut faire sien le récit de Mathilde Padilla, en cinquième semestre d’études en soins infirmiers à Rouen. Au début de la crise sanitaire, elle sort de cinq semaines de stage aux urgences. Au nom de cette expérience, l’étudiante est maintenue dans ce service, en secteur rouge, où sont accueillis les cas les plus graves. « Je n’y suis restée qu’une journée. Au milieu d’un soin que je donnais, un des membres de l’équipe m’a annoncé que c’était trop dangereux pour moi et que mon stage s’arrêtait là. Je suis rentrée chez moi et y suis restée une semaine. C’était un peu la panique dans notre promotion : rater un stage, en troisième année… Ça nous tombait dessus comme ça, nous étions suspendus dans le temps. Puis mon Ifsi m’a appris que j’allais partir dans un service de soins de suite et de réadaptation dans un pôle gériatrique. Il y avait de gros besoins, nous étions 18 étudiants et on nous a clairement fait savoir que nous n’étions pas en stage mais en renfort. Au début, je ne me sentais pas très bien, comme une petite main, sans statut clair. »

Stage ou vacation ?

La question du statut est alors cruciale pour les étudiants et leur institut de formation. « Nous devions négocier au mieux avec les structures, explique Florence Girard, présidente de l’Andep (Association nationale des directeurs d’écoles paramédicales). Il fallait à la fois protéger les étudiants dans leur statut, toute convention de stage exigeant un suivi, alors que l’on savait que dans beaucoup de services, la priorité n’irait pas à l’encadrement. Dans certains cas, la vacation comme aide-soignant était une solution plus appropriée. Mais en même temps, nous avions en vue le diplôme. Comment faire pour que ces temps puissent être reconnus et valorisés comme des périodes de stage ? » Pour les étudiants de 2e et 3e année, la solution la plus fréquemment adoptée a été une convention de stage à destination des ESI qui ont fait fonction d’aide-soignant et qui pouvaient régulièrement, dans leur pratique, renouer avec la posture infirmière. Pour les stagiaires placés dans les services Covid particulièrement sous tension, le statut d’aide-soignant protégeait les étudiants très autonomisés d’éventuelles erreurs.

Pour la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), très présente pendant la crise pour soutenir les ESI, d’autres aménagements auraient pu être adoptés. « Il aurait été possible, argumente Félix Ledoux, président de l’organisation, de suspendre le stage, de le remplacer par une épreuve écrite et de faire signer à l’étudiant un contrat de vacation comme aide-soignant. Sinon, il s’agit de remplacements déguisés en stages. » Une revendication justifiée, tempérée par le fait que les équipes ont fonctionné pendant cette période exceptionnelle de manière très symbiotique, les tâches n’ayant pas toujours été clairement dissociées.

Des missions très diverses

Certains étudiants ont pu bénéficier d’aménagements intéressants, comme cela a été le cas pour Safia Benchinoune, étudiante en sixième semestre à l’Ifsi de Saverne. Elle a effectué son premier mois de stage en réanimation comme aide-soignante et le deuxième en tant qu’infirmière. « Pour mon rôle d’aide-soignante, je n’avais aucun doute, je fais des vacations un week-end sur deux depuis que je suis en seconde année. Cela me permettait de faire sans problème ce qui m’était demandé, tout en observant le travail des infirmières, les surveillances, les traitements, tout de même très spécifiques, la manipulation des pousse-seringues, des pompes. Pour le deuxième mois, je connaissais bien le travail et l’équipe. »

Outre leur participation à l’activité des services Covid, exigeant parfois d’eux qu’ils effectuent des tâches de ménage pour assurer l’hygiène des unités, les ESI ont joué un rôle décisif dans les établissements accueillant des personnes âgées. Ils ont effectué des tâches de nursing, mais aussi d’animation auprès des personnes fragiles, condamnées à un isolement rigoureux. Les étudiants de 1re et de 2e année appelés en renfort sont également intervenus hors des services, pour participer à la circulation des personnes et des véhicules dans les hôpitaux, au fonctionnement des drives pour les prélèvements de PCR, à la distribution de masques pour les professionnels libéraux, ou pour assurer la garde des enfants de soignants. Sans oublier qu’un nombre non négligeable d’entre eux ont pu effectuer des stages sans que ceux-ci soient véritablement affectés par la crise sanitaire.

Les angoisses des débuts et la reconnaissance de la fin

Les débuts de stage ont souvent placé les ESI dans une grande incertitude, les privant de visibilité quant à la validation d’un stage parfois peu en rapport avec leurs futures compétences professionnelles. Inquiétude que les responsables de formation ont tenté d’apaiser. « Face à cette situation inédite, nous nous sommes concertés entre directeurs et avons fait appel à notre bon sens pour devancer les orientations des agences régionales de santé, ces dernières étant elles-mêmes en attente de directives de la part du ministère », relate Florence Girard.

Il est apparu assez rapidement que les stages seraient validés et ne feraient pas obstacle au diplôme des 3e année fin juin-début juillet. Autre inconnue source d’angoisse : le virus en lui-même, aux symptômes et au mode de propagation mal connus (lire p. 21). La plupart des étudiants ont été, au moins au début de leur stage, confrontés au manque d’équipements. Comment se protéger, soi et ses proches ? Les équipes pédagogiques, appelées elles aussi en renfort sur le terrain ou suivant les étudiants à distance, ont été très présentes pour les soutenir dans ces moments de doute et de peur. La solidarité entre ESI a également été fondamentale pour passer ces moments difficiles, sur les lieux de stage, via les réseaux sociaux ou les organisations représentatives.

À l’heure où les étudiants ont enchaîné un nouveau stage ou repris les cours, ils ont le sentiment d’avoir participé à une aventure hors du commun (lire p. 22). Re connaissant leur aide indispensable dans la lutte contre le Covid-19, les professionnels avec qui ils ont travaillé leur ont accordé à la faveur de la crise un statut de collègue et non plus d’étudiant de passage. La directrice de l’Ifsi de Saverne, Isabelle Bayle, évoque les courriers reçus de la part de directeurs d’Ehpad, « remerciant les étudiants pour leur joie de vivre, ce qu’ils ont apporté aux équipes et aux résidents ».

Cette reconnaissance a également été financière. Les unes après les autres, les Régions leur ont accordé une aide financière exceptionnelle, entre 1 000 et 1 500 € mensuels. Sans oublier une reconnaissance politique : la Fnesi est le seul interlocuteur infirmier de l’État, aux côtés de l’Ordre national infirmier (Oni), à la table des négociations du Ségur de la santé.

TÉMOIGNAGE

« TROIS, QUATRE, CINQ MORTS PAR JOUR »

Étudiante en 3e année, France Boyer-Vidal se destine à une carrière chez les Pompiers de Paris. Après cinq semaines de stage en unité Covid-19, elle se sent bien armée pour l’avenir.

J’avais trouvé par moi-même deux stages : un dans un service de grands brûlés et un chez les Pompiers de Paris. Trouver soi-même un stage représente des mois et des mois de recherche, des contacts répétés auprès des ressources humaines, beaucoup de refus…

Le matin où je suis arrivée pour commencer mon stage, la cadre du service m’a dit : « Vous n’aurez pas le service des grands brûlés, on va vous réaffecter dans un service dédié au Covid-19. » C’était une grande tristesse pour moi, les derniers mois de stage, c’est vraiment important pour le CV. C’était un service qui recevait les patients juste avant qu’ils ne partent en réanimation : on faisait l’intubation, la ventilation et la prémédication. Après avoir un peu poussé les murs, il y avait une soixantaine de lits à la place des vingt d’origine. On avait réquisitionné les respirateurs dans les services qui fermaient. Il y avait aussi des lits de soins palliatifs pour les patients pour lesquels l’équipe urgentiste avait malheureusement décidé qu’ils ne pourraient pas aller en réanimation. Il y avait trois, quatre, cinq morts par jour, qui disparaissaient vite pour qu’il y ait de la place pour d’autres patients. C’était très éprouvant, on ne s’attendait pas du tout à cela, à une masse de travail aussi conséquente et à un tel manque de moyens matériels et humains. Très vite, on a atteint la limite des stocks de protections. On nous dit souvent pendant la formation : « Quand vous arrivez le matin, vous laissez les problèmes au vestiaire. Vous êtes auprès des patients, vous êtes souriante. » Donc on arrive le matin. Malgré la journée de la veille, on a notre petit sourire. Et là, on nous dit : « Pour la journée de douze heures, vous n’avez qu’un masque. » Alors qu’on sait pertinemment qu’un masque chirurgical a une durée de vie entre trois et quatre heures, à condition qu’il ne soit pas humide. Là, on se dit qu’on doit faire la journée entière avec un seul masque. Si on veut respecter les mesures sanitaires, on ne doit pas l’enlever, pas le toucher pendant douze heures, ça veut dire entre autres qu’on n’aura pas de pause repas.

J’avais au départ un tuteur désigné, mais il est parti en réanimation. J’étais une étudiante un peu “volante”. Mon planning changeait en fonction des besoins de l’équipe. Je pouvais être aide-soignante ou brancardière. Quand le service a trouvé son rythme, j’ai pu faire plus de soins infirmiers. Normalement, pendant les stages, les premiers actes, on les fait encadré. Voyant que j’étais en 3e année et à deux mois du diplôme, l’équipe m’a dit : « Il y a telle prise de sang à faire, on suppose que tu sais faire, tu vas y aller toimême. » Heureusement pour moi, je savais faire. Mais j’ai refusé de faire certains soins, comme le gaz du sang. Cela demande beaucoup de dextérité, souvent le patient bouge, je ne me sentais pas de le faire toute seule. Et là, l’équipe m’a dit : « Franchement, c’est n’importe quoi, tu devrais savoir le faire. » Ce n’est pas parce qu’on a fait trois ans d’études qu’on sait tout faire du premier coup. Il y a plein d’infirmières qui continuent à apprendre, même après la prise de poste.

Je ne connaissais rien sur le Covid et j’ai surtout appris sur le terrain. Mais les informations étaient assez fluctuantes, aussi bien en ce qui concernait les symptômes que le mode de transmission, ou comment on devait désinfecter les surfaces. Il y avait des nouvelles règles tous les jours de la part des hygiénistes de l’hôpital, des urgentistes, en fonction de ce que chacun avait lu la veille. Il y avait un flux de connaissances qui se chamail laient entre elles, dans lesquelles nous, étudiants, on se perdait. À la fin de ce premier stage de cinq semaines, je sais très bien comment fonctionne le Covid-19, j’ai de très bonnes notions en infectiologie, je peux me débrouiller avec toutes les machines qui permettent d’oxygéner le patient, je connais bien les médicaments qui permettent de dilater l’appareil respiratoire…

J’ai également appris la solidarité, entre étudiants, mais aussi avec l’équipe soignante. Ils se soutenaient et nous ont emportés avec le reste. Un jour, ils nous ont dit : « C’est dimanche, on fait un gros repas pour fêter ça. On partage tout, on se dit tout ce qu’on a sur le cœur. » J’ai pu exprimer ma déception après leurs remarques quand j’avais refusé de faire certains soins seule. Du coup, les soignants se sont excusés. Le lendemain, les mauvais souvenirs étaient oubliés et nous sommes repartis sur de bonnes bases. Ce sont des moments qu’on partage rarement.

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