LES INFIRMIÈRES ENCORE DANS LE FLOU - L'Infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020

 

RÉFORME DES RETRAITES

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À LA UNE

ADRIEN RENAUD  

On a beau parler de la réforme des retraites depuis bientôt trois ans, les infirmières guettent encore les signes qui pourraient leur indiquer précisément la sauce à laquelle elles seront mangées le jour où elles prendront un repos bien mérité. Décryptage.

La réforme des retraites a déjà fait l’objet d’au moins deux présentations officielles. La première au mois de juillet 2019, lorsque Jean-Paul Delevoye, qui était encore haut-commissaire chargé de ce dossier, a dévoilé son rapport, fruit de deux ans de concertation. Et la deuxième le 11 décembre dernier, quand au terme d’un nouveau cycle de concertations, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé ce que le gouvernement appelait alors « l’intégralité du projet » modifiant le système de retraites. Mais malgré l’exhaustivité promise, on peinait encore à l’heure où nous mettions sous presse à distinguer précisément ce que l’avenir réserve à chaque profession, à commencer par les infirmières.

Les grandes lignes du plan gouvernemental, au moins, sont connues depuis l’élection présidentielle : elles faisaient partie du programme d’Emmanuel Macron. La réforme mettra bel et bien en place le dé-sormais célèbre « système universel par points ». Les infirmières du secteur public peuvent donc dire adieu au décompte de leurs trimestres de cotisation, ainsi qu’au calcul de leurs pensions fondé sur les revenus des six derniers mois de travail. À l’avenir, « chaque euro cotisé donnera les mêmes droits pour tous », comme le martèle l’exécutif depuis le début du quinquennat.

Incertitudes sur le niveau des pensions

Certains craignent que le nouveau mode de calcul soit moins avantageux pour les infirmières. « Il faut être conscient qu’on aura des pensions moindres par rapport à celles qui existent aujourd’hui », prévient par exemple Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). En effet, les six derniers mois de travail sont généralement ceux où, l’ancienneté aidant, les revenus des infirmières sont les plus élevés. Le nouveau mode de calcul par points inclura, au contraire, le début de carrière et les modestes salaires qui vont avec.

Tout dépendra en réalité de la valeur du point. Le rapport Delevoye prévoit que chaque point acquis ouvre droit à 0,55 € de pension annuelle. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Le document indique que « la valeur du point ne pourra pas baisser ». Mais quelques lignes plus loin, on lit que la valeur d’acquisition du point sera, « au démarrage de la réforme », de 10 € pour un point, ce qui sous-entend que le prix pourrait monter à l’avenir. Par ailleurs, l’ex-haut-commissaire prenait soin de préciser dans son rapport que « le rendement définitif » ne pourrait être connu qu’en 2024, « en fonction des hypothèses économiques qui prévaudront alors ». Rien d’assuré à ce stade en termes de niveau de pension pour les infirmières, donc.

Brouillard sur l’âge de départ

Et ce n’est malheureusement pas sur la question de l’âge de départ que les blouses blanches cherchant à lire dans le marc de café des retraites trouveront davantage de réponses. Initialement, en effet, l’idée du gouvernement était d’avoir un « âge pivot » fixé à 64 ans : celui qui désirerait partir avant cet âge pourrait le faire (mais pas avant 62 ans), à condition d’accepter que sa pension soit diminuée de 5 % par année non travaillée. Celui qui, en revanche, souhaiterait partir après 64 ans serait quant à lui gratifié d’un bonus de 5 % par année supplémentaire travaillée. Voilà pour la théorie, qui est à peu près claire. Mais dans la pratique, les choses sont quelque peu différentes.

Tout d’abord, à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’âge pivot fait figure de ligne rouge(1), même pour les syndicats les mieux disposés envers la réforme. Il est d’ailleurs critiqué jusqu’au cœur de la majorité présidentielle. Pas sûr donc qu’il se retrouve dans la dernière mouture du texte, qui doit être présentée au Conseil des ministres à la fin du mois de janvier. Mais surtout, on a bien du mal à voir comment la notion d’âge pivot pourrait s’appliquer aux infirmières. Actuellement, celles-ci peuvent partir à 57, 60 ou 62 ans selon leur statut. Avec la réforme, l’âge d’ouverture des droits (avec une décote) passerait à 62 ans pour tout le monde, avec possibilité de partir deux ans plus tôt (sans décote) grâce à l’extension au secteur public du compte pénibilité jusqu’ici réservé au privé. Or, pour l’instant, le gouvernement ne parle que d’un critère pour ce compte pénibilité : le travail de nuit.

Cette vision très restrictive de la pénibilité semble en décalage avec la réalité vécue par les infirmières, du moins si l’on écoute leurs syndicats. « Pour nous, la pénibilité ne peut pas se limiter à cela », estime Bertrand Laisné, de la fédération Santé-sociaux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). « Il n’y a pas que le travail de nuit, abonde Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC). Il faut aussi prendre en compte le travail alterné matin/après-midi, la manipulation de charges lourdes qui entraîne des troubles musculo-squelettiques, la manipulation de produits chimiques… On voit bien à quel point les infirmières sont usées en fin de carrière. »

Le casse-tête de la catégorie B

Et comme si un tel décalage avec la réalité du terrain ne suffisait pas, il faut ajouter au brouillard ambiant la situation inextricable dans laquelle se trouvent les infirmières qui, en 2011, ont choisi de rester en catégorie B, et donc de ne pas bénéficier d’une revalorisation salariale, pour conserver le droit de partir à la retraite à 57 ans. « C’était un contrat : nous avons accepté pour cela de toucher depuis 2010 environ 100 € par mois de moins que nos collègues, à travail équivalent », s’indigne Médéric Roux, infirmier à l’hôpital psychiatrique de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, et auteur d’une pétition sur le site Change.org pour dénoncer la réforme. « Or, maintenant, on nous parle d’un âge de départ à 62, voire 64 ans ! » Pour Médéric Roux, il s’agirait ni plus ni moins d’une trahison. « Nous devions bénéficier de ce qu’on a appelé “la clause du grand-père” : tout le monde reste sur l’ancien régime jusqu’à extinction, estime-t-il. Si on ne la respecte pas, c’est non seulement une injustice pour nous, mais c’est également un signal pour tous ceux à qui on promet actuellement une telle clause. »

Il y a tout de même un point de la réforme qui est assez clair, et qui est salué par de nombreuses infirmières : le Premier ministre a annoncé en décembre que la réforme ne s’appliquerait qu’aux personnes nées en 1975 et après. Les soignantes des générations antérieures continueront donc à cotiser et à percevoir leurs retraites selon l’ancien système. « Cela va permettre à ceux qui sont à vingt ou vingt-cinq ans de la retraite de réfléchir à ce qu’ils vont pouvoir faire pour aller au bout », commente Céline Laville, de la CNI. La gestion des fins de carrière est justement l’un des chantiers sur lesquels une concertation (une de plus !) a été lancée entre le gouvernement et les partenaires sociaux au cours du mois de janvier. Le feuilleton des retraites n’en est pas à son dernier épisode.

1 - À l’heure où nous mettons sous presse, Édouard Philippe a annoncé le retrait provisoire de l’âge pivot à 64 ans. Le projet de loi prévoira « que le futur système universel comporte un âge d’équilibre », a-t-il précisé.

EXERCICE LIBÉRAL

LES IDEL EN COLÈRE

Du côté des infirmières libérales, le projet de réforme des retraites est accueilli diversement selon les syndicats.

Les Idel doivent, elles aussi, être intégrées dans le système universel voulu par le gouvernement. Et ce n’est pas vraiment du goût de l’Union nationale des Idel (Unidel). « Nous sommes une caisse autonome, parfaitement gérée, solidaire. Pourquoi vouloir toucher à quelque chose qui marche et qui est pérenne ? », s’insurge Sylvie Ciron, membre du conseil d’administration de l’association. Principal grief : le taux de cotisation, qui doit s’aligner sur celui des autres professions. « Cela fait augmenter nos dépenses, alors que nos revenus sont encadrés par l’Assurance maladie », proteste la militante.

Autre pomme de discorde : les réserves constituées par la caisse des Idel. Le gouvernement compte les utiliser pour adoucir l’augmentation du taux de cotisation. « L’augmentation aura tout de même lieu, elle sera juste lissée, remarque Sylvie Ciron. Et quand la réserve sera épuisée, non seulement nous n’aurons plus rien dans les caisses, mais nous aurons tout de même l’augmentation. »

Notons que la réforme semble toutefois diviser chez les Idel. L’Unidel fait en effet partie du collectif SOS Retraites, créé par diverses professions libérales pour lutter contre la réforme, aux côtés de deux syndicats : Convergence infirmière (CI, représentatif) et l’Organisation nationale des syndicats d’infirmières libérales (Onsil, non représentatif). Mais ce n’est pas le cas des deux plus importants syndicats d’Idel, qui ont adopté une position plus modérée : la Fédération nationale des infirmières (FNI) et le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil).