LE DÉPISTAGE DOIT-IL ÊTRE UNIVERSEL ? - L'Infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020

 

HÉPATITE C

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

HÉLÈNE COLAU  

Alors que les hépatologues français se sont fixé pour objectif d’éliminer le virus d’ici à 2025, la Haute Autorité de santé (HAS) vient de se prononcer contre la mise en place d’un dépistage universel.

Christian Saout

« Un ratio coûts/résultat peu intéressant »

Quelles sont les « populations à risque » et pourquoi limiter le dépistage à ces personnes « cibles » ?

Les populations à dépister sont définies par une recommandation formulée en 2001 par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes). Celle-ci inclut, entre autres, les personnes ayant reçu des produits sanguins avant 1992, celles ayant utilisé au moins une fois dans leur vie des drogues par voie intraveineuse, les enfants nés de mère séropositive pour le VHC, les patients hémodialysés, les sujets découverts séropositifs pour le VIH, les partenaires sexuels et membres de l’entourage familial de sujets contaminés par le VHC ou encore les personnes originaires ou ayant reçu des soins dans des pays à forte prévalence du VHC (Asie du Sud-Est, Moyen-Orient, Afrique, Amérique du Sud). Les travaux de la HAS n’avaient pas pour objet de réviser cette liste mais de rendre un avis médico-économique sur le rapport coûts/efficacité du dépistage universel.

Pour cela, nous nous sommes appuyés sur de nombreuses études françaises et internationales. Nous en avons conclu qu’il n’y aurait pas d’avantages à généraliser le dépistage, car le ratio différentiel coûts/ résultat, qui est le marqueur de l’évaluation en santé publique, passerait alors de 31 000 € par Qaly(1) à 281 000 €.

Vous dites que l’exemple du VIH a montré les limites du dépistage universel. Quelles sont-elles ?

D’abord, aucun pays, actuellement, ne pratique le dépistage universel de l’hépatite C. Pourquoi la France serait-elle différente ? Une des limites de ce type de dépistage tient à son acceptabilité par les patients et par les professionnels de santé, chargés de le recommander auprès de la population.

En France, s’agissant de l’hépatite C, le taux d’acceptabilité par les professionnels ne dépasse pas les 30 %. S’il est aussi faible, c’est en raison de la stigmatisation sociale liée à la maladie : les médecins ne se sentent pas forcément en situation de proposer le test à leurs patients, car il reste difficile de parler de comportements sexuels ou d’usage de produits stupéfiants, même dans le cadre d’un cabinet.

Par ailleurs, les personnes les plus à risque de contamination sont souvent éloignées du système de soin… Même si le dépistage était généralisé, elles n’en bénéficieraient pas forcément.

N’existe-t-il pas des catégories de population potentiellement concernées par l’hépatite C actuellement exclues du dépistage ciblé ?

Pour nous, la liste de l’Anaes inclut l’essentiel des personnes concernées. D’ailleurs, la prévalence de l’hépatite C est à la baisse en France : elle est passée de 0,42 % de la population en 2011 à 0,30 % en 2016, contre 1 % en moyenne dans le monde (en 2014). Cela semble prouver que la stratégie actuelle est efficace. Toutefois, nous prévoyons, dans un second volet de notre évaluation, de mieux définir les modalités du dépistage ciblé.

Nous pourrions, à l’horizon d’un an, repérer de nouvelles populations cibles ou encore réfléchir aux moyens de mieux atteindre celles qui se trouvent éloignées du système de soin.

Hélène Fontaine

« Se donner les moyens d’éliminer le virus »

Êtes-vous plutôt en faveur du dépistage ciblé ou universel ?

Avec le dépistage ciblé, on commence toujours par demander au patient de citer ses facteurs de risque - consommation de drogue, transfusion sanguine… Or, certaines personnes n’ont même pas conscience d’en présenter un : on ne sait pas toujours, par exemple, qu’on a été transfusé à la naissance ! Par ailleurs, il n’est pas toujours facile de révéler à un professionnel de santé qu’on a eu un comportement à risque, comme consommer du crack, surtout s’il s’agit de son médecin de famille.

L’avantage du dépistage universel, c’est qu’il permet de diagnostiquer toutes les personnes porteuses du virus de l’hépatite C, y compris celles qui n’ont aucun facteur de risque - on estime que c’est le cas de 30 % des malades. C’est pourquoi nous considérons que seule une généralisation donnerait à tous la liberté d’être dépisté.

La HAS s’appuie sur de nombreuses études pour conclure que le dépistage ciblé serait le plus efficient…

Tout dépend de ce que l’on recherche. La France vise l’élimination de l’hépatite C d’ici à 2025, un choix ambitieux de politique de santé. Or, il est illogique d’afficher cet objectif sans se donner les moyens de l’atteindre ! Dans cette optique d’éradication, une étude publiée en 2018 par Sylvie Deuffic-Burban(1), chargée de recherche à l’Inserm, a montré que le dépistage universel permettait le meilleur ratio coûts/efficacité. Car, pour éliminer la maladie, il faut réduire le nombre de nouveaux cas de 90 % et donc s’attaquer au “réservoir”, c’est-à-dire aux malades qui ignorent leur statut et qui contaminent de nouvelles personnes.

Dans le cas de l’hépatite C, il est particulièrement difficile de les repérer sans dépistage universel, car la phase asymptomatique peut durer des dizaines d’années.

Quelles catégories de population, pourtant concernées par le VHC, passent actuellement entre les mailles du filet ?

En 2014, 75 000 personnes en France ignoraient leur contamination ; aujourd’hui, selon les estimations, il y en aurait toujours au minimum 26 000. Il s’agit en partie de personnes relativement âgées, qui ont subi des actes de chirurgie dans des conditions moins sécurisées que de nos jours et ont pu être contaminées de façon nosocomiale. Dans les années 1950, même un soin dentaire était à risque ! Certains migrants passent aussi à côté du dispositif de dépistage ciblé car on leur demande s’ils ont voyagé dans un pays à risque… Mais pour eux, vivre ou rentrer dans leur pays, ce n’est pas “voyager”. En outre, certaines populations défavorisées ne sont pas bien prises en compte dans les études car elles ne disposent pas toujours d’un domicile et d’un numéro de téléphone. Une simple redéfinition des populations cibles, telle qu’elle est envisagée par la HAS, ne pourrait suffire à corriger ce problème. Car la façon dont on procéderait n’est pas claire… On a parlé d’un âge seuil à partir duquel le dépistage serait généralisé, qui se trouverait entre 30 et 40 ans. Cela permettrait effectivement de diminuer les transmissions et le nombre de patients infectés, mais cela ne va pas dans le sens d’une élimination.

1 - Indicateur économique visant à estimer la « valeur » de la vie, une année en bonne santé correspondant à un Qaly de 1.

1 - À voir sur : bit.ly/2N0TB6W

CHRISTIAN SAOUT

MEMBRE DU COLLÈGE DE LA HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ (HAS)

→ 1993 : volontaire au sein de l’association de lutte contre le sida Aides

→ 2004 : devient membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie

→ 2006-2010 : président de la Conférence nationale de santé

→ 2007-2012 : président du Collectif interassociatif sur la santé

→ Depuis avril 2017 : membre du collège de la HAS, dont il préside la commission Évaluation économique et de santé publique

HÉLÈNE FONTAINE

HÉPATOLOGUE, MEMBRE DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L’ÉTUDE DU FOIE (AFEF)

→ 1997 : devient hépatologue à l’hôpital Necker (AP-HP) dans l’équipe du Pr Stanislas Pol

→ 2000 : est chargée de l’activité de liaison d’hépatologie de l’hôpital européen Georges-Pompidou et participe à la recherche sur les hépatites au sein de l’Agence nationale de la recherche sur le sida et les hépatites virales

→ 2006 : rejoint l’hôpital Cochin (AP-HP)

→ 2016 : membre du conseil d’administration de l’Afef

POINTS CLÉS

→ Selon les objectifs fixés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le virus de l’hépatite C, contre lequel on dispose aujourd’hui de traitements efficaces, ne devrait plus représenter une grave menace de santé publique d’ici à 2030. Or, en France, on estime que 133 000 personnes sont atteintes d’hépatite C chronique, dont 19 % seraient porteuses sans le savoir. La question du dépistage de la maladie est donc primordiale.

→ C’est dans ce contexte que, fin novembre, la Haute Autorité de santé (HAS) a estimé que la mise en place d’un dépistage universel en France ne serait pas efficient. Elle conseille plutôt de renforcer les actions de dépistage dans les populations les plus à risque de contamination et de transmission. Pour rendre cet avis, la HAS s’est appuyée sur une étude médico-économique poussée.

→ Cependant, certains hépatologues considèrent au contraire qu’un dépistage universel permettrait de lutter plus efficacement contre la maladie et de l’éradiquer.