Des soins infirmiers bien spécifiques - L'Infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

T. P.  

Les caractéristiques des plaies tumorales impliquent une prise en charge spécifique. L’infirmière s’attachera à soulager les symptômes de type douleur, odeur ou saignements, en vue de favoriser le confort et la qualité de vie du patient.

1. LE LAVAGE DE LA PLAIE

Objectifs

Premier temps du soin, le nettoyage de la plaie et la bonne hygiène de la lésion et de sa périphérie permettent(1) :

– d’améliorer le bien-être du patient ;

– d’atténuer les odeurs éventuelles ;

– de prévenir ou de traiter une infection.

Mise en œuvre

Le lavage de la totalité d’un membre porteur d’une plaie à l’eau savonneuse est privilégié :

– si possible en pression si le patient le supporte ;

– de préférence avec un savon doux, liquide, sans parfum et sans conservateur.

Si le patient ne peut être mobilisé, un lavage à l’eau savonneuse avec une bassine sera plus efficace que les irrigations de sérum physiologique à l’aide d’une seringue. La technique à la seringue, quant à elle, est réservée en dernier recours, de préférence avec une seringue de 20 ml montée sur une aiguille sous-cutanée.

En fonction de son expérience, l’infirmière peut aussi retirer d’éventuelles croûtes à l’aide d’une pince. L’application, quelques minutes avant le soin, de vaseline ou de xylocaïne visqueuse anesthésique va permettre de prévenir le traumatisme et la douleur liée au soin(1), sachant que le lavage d’une plaie tumorale peut s’avérer complexe et/ou douloureux malgré une antalgie.

Comme pour toute plaie, le séchage de la peau périphérique après le rinçage de la plaie est indispensable pour prévenir le risque de macération de la peau périlésionnelle.

2. DÉTERSION PRUDENTE

Un soin adapté

Il ne s’agit pas de rechercher le bourgeonnement en vue de favoriser le processus de cicatrisation comme pour une autre plaie. La détersion d’une plaie tumorale a pour objectifs :

– d’éviter une surinfection en retirant les croûtes ;

– d’agir sur les odeurs désagréables en retirant une nécrose molle avec prudence et à condition d’avoir une bonne maîtrise des soins sur ce type de plaie.

Intervenir avec précaution

« Même la détersion d’une nécrose molle peut provoquer une hémorragie et compliquer le soin », avertit Chrystel Pluviaux, IDE en équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital Lyon-Sud. La détersion mécanique sera donc le plus souvent évitée. « L’objectif du soin est que la plaie ne s’aggrave pas, qu’elle reste propre et d’éviter une infection », rappelle l’infirmière, qui recommande donc d’« éviter les gestes agressifs et de laisser agir les pansements ». Tous les types de pansements sont préconisés en fonction de l’état de la plaie, « à l’exception des hydrocolloïdes, trop adhérents sur ce type de plaie » précise Isabelle Fromantin, infirmière PhD à l’unité recherche, plaies et cicatrisation de l’Institut Curie, à Paris. Quant à la fibrine, elle sera laissée en place, car « elle permet souvent d’éviter les saignements », poursuit l’infirmière.

3. ANTICIPER LA DOULEUR

Un symptôme prioritaire

« La douleur est une question prioritaire, même si certaines plaies tumorales peuvent ne pas être douloureuses », souligne Chrystel Pluviaux. L’IDE précise que « la douleur doit être recherchée avant, pendant et après le soin ». Ainsi, une douleur ressentie avant le soin ou pendant la réfection du pansement fera différer ou interrompre le soin jusqu’à ce que la douleur soit soulagée par un antalgique. L’évaluation de cette douleur permet au médecin d’adapter un traitement antalgique déjà mis en place dans le cadre du cancer. Une douleur est possible après la réfection du pansement et doit être prise en charge. « Si une douleur liée au soin n’est pas soulagée, le patient peut refuser les soins à venir, ou les accepter avec beaucoup de réticence, avec des intervalles prolongés », rappelle Chrystel Pluviaux.

Traitement

La douleur associée aux plaies tumorales est variable mais peut être très forte dans certains cas. Elle justifie alors un recours à l’ensemble des antalgiques de pallier 1, 2 ou 3, ou à une analgésie multimodale. Des co-antalgiques peuvent alors être associés pour potentialiser l’action des antalgiques et améliorer le confort du patient en agissant aussi sur les symptômes associés(1). Concernant les soins locaux, à l’instar des autres plaies chroniques, le retrait du pansement est souvent considéré comme un des gestes les plus douloureux. « Si le retrait est douloureux, ne pas hésiter à mouiller abondamment le pansement pour ne le retirer que lorsqu’il se détache facilement, recommande Chrystel Pluviaux. Même si cela peut prendre du temps sur des plaies souvent adhérentes. » Il est possible de limiter les soins douloureux en espaçant les renouvellements de pansements si les autres symptômes le permettent, en particulier l’exsudation et l’odeur.

4. SURVEILLER L’EXSUDATION

Les plaies tumorales peuvent être dans certains cas très exsudatives. Le renouvellement trop fréquent du pansement n’étant pas recommandé pour le confort du patient, l’infirmière peut associer des pansements absorbants pour espacer les interventions. Par exemple :

– un pansement primaire absorbant, comme un alginate en plusieurs couches si besoin. L’alginate aura à la fois un effet absorbant et un effet hémostatique en cas de saignements. Quelques exemples de produits : Algostéril (Brothier), Algisite M (Smith & Nephew), Biatain Alginate (Coloplast) ;

– un pansement secondaire type hydrocellulaire superabsorbant ou pansement absorbant stérile non adhésif (« pansement américain »). Exemples : Zetuvit (Hartmann), Vliwazell (Lohmann & Rauscher) ou Mesorb (Mölnlycke Health Care).

5. GÉRER LES HÉMORRAGIES

Concernant les plaies tumorales, deux types d’hémorragie sont à distinguer :

– les saignements du lit de la plaie parfois problématiques et difficiles à gérer ;

– les hémorragies massives liées à l’érosion d’un gros vaisseau par la tumeur.

Les saignements du lit de la plaie

→ Un tissu tumoral vascularisé. Hors contexte pathologique, lors du développement d’un tissu ou lors de la cicatrisation, l’angiogenèse consiste en la formation de nouveaux vaisseaux sanguins pour que les nouvelles cellules soient correctement alimentées en oxygène et en nutriment par la circulation sanguine. En situation de cancer, le développement de la tumeur éloigne les cellules cancéreuses de la circulation sanguine, ce qui a pour effet de ralentir ou stopper la croissance tumorale. Pour continuer à se développer, la tumeur acquiert alors la capacité de stimuler l’angiogenèse et de créer un nouveau réseau vasculaire pour alimenter les nouvelles cellules tumorales (voir schéma ci-dessus). La stimulation de cette angiogenèse fait de la tumeur un tissu vascularisé qui, n’étant plus protégé par la peau dans le cas d’une ulcération, est propice aux saignements spontanés ou provoqués par contact lors des soins.

→ Les pansements : les alginates sont le traitement classique des suintements hémorragiques continus. En cas de saignements plus importants, les alginates composés de polymères d’acides alginiques obtenus à partir d’algues peuvent s’avérer insuffisants. Dans ce cas, « l’hôpital dispose de trousses de secours avec des hémostatiques hospitaliers comme les gazes hémostatiques Pangen ou Surgicel, que nous fournissons pour le suivi à domicile », indique Isabelle Fromantin. >

→ Autres moyens hémostatiques :

• La compression. « Le plus souvent, des micro-saignements peuvent être contenus, coagulés, avec un temps de compression si ce n’est pas douloureux », observe Chrystel Pluviaux.

 Hémostase par le froid en appliquant sur la plaie une poche de froid enveloppée d’un tissu non adhérant.

• L’eau oxygénée « est un bon hémostatique », rappelle Isabelle Fromantin. L’eau oxygénée utilisée dans un but hémostatique « n’est pas recommandée sur les autres plaies chroniques à cause de son effet cytotoxique en cas d’usage prolongé. Un critère qui n’est pas forcément en cause dans le contexte d’une plaie tumorale », remarque l’infirmière.

→ En cas de saignements importants dans le lit de la plaie, une radiothérapie à visée hémostatique peut être indiquée, ou encore l’application d’adrénaline lors des soins (méthode utilisée pour l’hémostase endoscopique des hémorragies digestives).

Les hémorragies massives

« Les hémorragies cataclysmiques par érosion d’un gros vaisseau sont extrêmement rares, observe le Dr Paul-Henri Cottu, oncologue et chef adjoint du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie à Paris. Certaines tumeurs de la tête et du cou, avec des ulcérations cervicales parfois très importantes, peuvent atteindre par contiguïté un gros vaisseau comme la carotide et en provoquer la rupture. Ce qui entraînera le décès en quelques minutes. Ce sont des situations mieux contrôlées avec les ressources actuelles, même si ces ruptures de gros vaisseaux peuvent encore être rencontrées. »

« Ces situations sont en général anticipées et prises en charge à l’hôpital, ajoute Isabelle Fromantin. Si ce risque est avéré et que le patient souhaite malgré tout être suivi à domicile, la prise en charge sera assurée par des équipes spécialisées comme la HAD, une équipe mobile ou un réseau de soins palliatifs, et la situation fera l’objet d’un signalement au Samu. »

6. PROTÉGER LA PEAU PÉRILÉSIONNELLE

La peau périlésionnelle d’une plaie tumorale est fragilisée. Elle peut être inflammatoire et indurée par la masse sous-jacente. « La peau autour de la plaie nécessite d’être régulièrement hydratée par un émollient et protégée par des protecteurs cutanés », souligne Isabelle Fromantin. L’utilisation de dispositifs adhésifs sera autant que possible évitée. Le pansement sera de préférence maintenu par :

– un jersey tubulaire de maintien ;

– des bandes de fixation en crêpe de coton avec ou sans fibres synthétiques ;

– un filet tubulaire de maintien élastique ou non, en faisant attention à ne pas trop serrer pour éviter de provoquer des douleurs neurogènes.

7. PALLIER LES ODEURS DÉSAGRÉABLES

Intervenir avec tact

« Les plaies tumorales sont très fréquemment malodorantes sans que cela soit systématique, observe Chrystel Pluviaux. L’IDE doit oser parler de l’odeur tout en évitant de mettre mal à l’aise le patient. » L’infirmière propose d’évoquer ce symptôme des plaies tumorales par des questions du type : « Est-ce que vous percevez une odeur liée à votre plaie ? Êtes-vous gêné par une éventuelle odeur ? Je perçois une petite odeur en enlevant le pansement, êtes-vous gêné au quotidien ? »

« Il arrive que le patient signale une odeur non perçue par l’IDE », remarque Chrystel Pluviaux. Par exemple dans le cas d’une plaie thoracique localisée à proximité du nez du patient. En revanche, « lorsqu’une odeur est évidente, inutile d’interroger le patient sur la gêne occasionnée. Il convient d’adapter le protocole pour tenter d’améliorer ce symptôme. » Sachant que l’évaluation d’une odeur est subjective et que les cellules sensorielles d’une personne exposée de façon prolongée à une odeur peuvent devenir insensibles et l’empêcher de percevoir cette senteur(2).

Détersion mécanique inefficace

« L’évolution de la masse tumorale peut entraîner une hypoxie tissulaire et la formation de nécrose propice au développement de bactéries qui produisent des métabolites volatiles malodorants », explique Isabelle Fromantin. Lorsque des odeurs apparaissent sur des plaies chroniques nécrosées autres que des plaies tumorales, le débridement de la nécrose permet, en plus de favoriser la cicatrisation de la plaie, de réduire ou d’éliminer ces odeurs. Dans le cas d’une plaie tumorale, la détersion mécanique, qui est déjà fortement limitée par le risque hémorragique, n’aurait que peu d’effet sur les odeurs. À la différence des autres plaies, « la nécrose ne se forme pas uniquement à la surface de la plaie mais également au sein du tissu tumoral », précise l’infirmière. Le débridement ne peut donc être effectué jusqu’à une zone saine exempte de nécrose.

Les pansements au charbon

« Les pansements au charbon peuvent aider pour des petites plaies peu odorantes mais se montreront insuffisants sur des plaies tumorales avancées », remarque Chrystel Pluviaux. « Ils sont moyennement efficaces et souvent mal utilisés », ajoute Isabelle Fromantin, qui signale la commercialisation prochaine d’un pansement à base de cannelle breveté par l’Institut Curie (voir encadré p. 44).

→ Indication. Les pansements au charbon sont constitués de différents supports auxquels a été ajouté du charbon actif, dans le but de fixer les molécules responsables des mauvaises odeurs des plaies (adsorption). La HAS les recommande dans l’indication « plaie malodorante, notamment cancers ORL, de la peau ou du sein »(3). Exemples de produits : Askina Carbosorb (B. Braun Medical) ou Actisorb (KCI Medical).

→ Bon usage. « Un pansement au charbon est à la fois adsorbant et absorbant. Il ne doit donc pas être appliqué directement au contact de la plaie au risque d’être rapidement saturé [par l’absorption des exsudats] et de ne plus adsorber les gaz », explique Isabelle Fromantin. Le pansement au charbon est donc placé au-dessus du pansement primaire absorbant, et en quantité suffisante en fonction de l’importance des émanations. La superposition de plusieurs pansements au charbon augmente la surface spécifique d’adsorption, et donc l’efficacité du produit sur une plaie très malodorante(4). Le pansement étant maintenu par une fixation non adhésive, il est possible d’ajouter des pansements au charbon ou de les renouveler s’ils perdent leur efficacité à contenir l’odeur de la plaie.

Les antimicrobiens locaux

La capacité des antimicrobiens, antibiotiques et antiseptiques, appliqués localement, à réduire les odeurs des plaies tumorales par leur action bactéricide est discutable « car les bactéries à l’origine des odeurs ne sont pas localisées uniquement sur le lit de la plaie mais dans l’épaisseur de la masse tumorale, rappelle Isabelle Fromantin. Toutefois, ces plaies présentant des anfractuosités, certains produits appliqués en surface peuvent pénétrer un peu le tissu tumoral et avoir un effet relatif.  »

→ Les antiseptiques. Ils ont une efficacité discutable sur les odeurs, qui demande à être confirmée par des études cliniques(4).

→ Les antibiotiques. Le metronidazole (Flagyl ou Tiberal) est un antibiotique actif sur les bactéries anaérobies qui a montré des résultats globalement positifs sur les odeurs(4). C’est l’antibiotique le plus utilisé pour traiter les odeurs des plaies malodorantes.

Les antibiotiques par voie générale

Ils ne sont indiqués qu’en cas d’infection avérée. Ils sont néanmoins exceptionnellement utilisés par les services de soins palliatifs dans le but de contrôler les odeurs, notamment chez les patients en fin de vie(4). Flagyl (per os) et Tiberal (par IV) peuvent être prescrits. Leurs possibles effets indésirables, notamment des neuropathies centrales ou périphériques lors d’une administration prolongée, peuvent remettre en question leur utilisation dans le cadre d’une prise en charge palliative(4).

Autres traitements des odeurs

De nombreux traitements anti-odeurs, conventionnels ou alternatifs, sont parfois employés pour lutter contre les odeurs désagréables des plaies tumorales (aromathérapie, miel, curcuma et chlorophylle…). La diversité de ces traitements souligne la grande difficulté à prendre en charge ce symptôme. La gestion de l’odeur reste à ce jour un problème complexe sans solution universelle ou unique(4).

1- « Les plaies tumorales », document mis en ligne par la Société française et francophone de plaies et cicatrisation sur sffpc.org à la rubrique « Médiathèque ».

2- C. O’Brien, « Plaies cancéreuses. Prise en charge de l’odeur », Canadian Family Physician, 58 : 3, mars 2012.

3- « Les pansements. Indications et utilisations recommandées », Haute Autorité de santé, avril 2011.

4- « Étude de la flore bactérienne dans les plaies tumorales du sein : incidence des biofilms bactériens sur l’évolution des plaies et le développement d’odeurs », Isabelle Fromantin, thèse de doctorat de l’université de Cergy-Pontoise, décembre 2012.

TÉMOIGNAGE

ISABELLE FROMANTIN infirmière PHD à l’Unité recherche, plaies et cicatrisation de l’Institut Curie à Paris

« L’exsudat épais des plaies tumorales »

« Les pansements composés de cellulose(1) seront privilégiés pour absorber les sécrétions des plaies tumorales. L’exsudat épais des plaies tumorales est plus difficilement absorbé par les pansements polyacrylates purs, qui conviennent mieux aux exsudats limpides des ulcères ou des brûlures. Ainsi, certains pansements restent très propres alors que la plaie produit beaucoup d’exsudat. Dans certains cas, il nous arrive aussi d’utiliser des poches de recueil des exsudats sur des plaies de petite taille si la peau périlésionnelle est assez résistante. »

1- Exemples : les hydrocellulaires superabsorbants Resposorb Super (Hartmann), Drymax Extra (Inresa), Cutimed Sorbion (BSN-Radiante), Tegaderm Superabsorber (3M Santé).

SINESTEAM

Un nouveau pansement contre les odeurs

L’Institut Curie a breveté un pansement à base de cannelle qui devrait être commercialisé en 2020. « La cannelle est un adsorbant comme le charbon, explique Isabelle Fromantin. En associant le pouvoir adsorbant et le parfum de la cannelle, Cinesteam est plus efficace contre les odeurs qu’un pansement au charbon. »

L’AVIS DU SPÉCIALISTE

DR PAUL-HENRI COTTU Oncologue, Chef de département adjoint du Département d’oncologie médicale de l’Institut Curie à Paris

« Des infections plutôt rares »

« Les plaies tumorales sont le site d’une contamination bactérienne importante qui peut aggraver ou générer un phénomène d’odeur extrêmement incommodante, qui n’est pourtant pas un tableau infectieux au sens propre. En clinique, le tissu tumoral n’est pas particulièrement sujet aux infections, et les complications infectieuses graves sont rares. Les septicémies ne sont pas plus fréquentes chez les porteurs de plaie tumorale que chez d’autres patients. C’est le cas par exemple des septicémies dues à la bactérie Pseudomonas aeruginosa aussi appelée « bacille pyocyanique ». C’est assez étonnant et ce n’est pas très bien expliqué. »