Une place à gagner - L'Infirmière Magazine n° 410 du 01/12/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 410 du 01/12/2019

 

PARCOURS

DOSSIER

C. C.-C.  

En 2020, Karima Lakhlalki-Nfissi va réintégrer en tant qu’IPA son équipe de soins palliatifs. Elle tente de se projeter dans son nouveau rôle, qui exige l’assentiment des médecins.

Les premières infirmières de pratique avancée (IPA) ont toutes un riche parcours. C’est le cas de Karima Lakhlalki-Nfissi, qui « a développé des compétences pointues », admet le Dr Marine Sahut d’Izarn, pneumo-oncologue et médecin en équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital Ambroise-Paré (Boulogne-Billancourt, AP-HP). À la sortie des décrets sur les pratiques avancées en 2018, l’infirmière travaillait depuis douze ans dans cette petite unité, qui intervient dans de nombreux services, auprès de patients atteints de cancer. « La seule perspective d’évolution de carrière était pour moi le passage par l’école des cadres. Or, je ne souhaitais pas sortir de la clinique, relate Karima Lakhlalki-Nfissi. La formation d’IPA représentait une opportunité “sur-mesure”. J’ai immédiatement posé ma candidature en septembre 2018, soutenue par mon équipe, ma direction et l’agence régionale de santé. Tout est allé très vite. »

Consultations de la tête aux pieds

L’infirmière devrait être diplômée en 2020 et se prépare à retrouver son service. Dans un premier temps, elle n’y fera « rien de révolutionnaire ». Car au sein de l’équipe de soins palliatifs, elle exerçait déjà des missions « de formation, de recherche et de leadership », qui sont des missions d’IPA. Et elle touchait aux limites de ses compétences. « Cela devenait difficile d’assumer mon expertise, explique-t-elle. Par exemple, quand j’avais en face de moi un patient dont j’estimais le traitement sur ou sous-dosé, je passais un temps fou à trouver un médecin et à le convaincre de le modifier. »

Dans ce poste, où « la parole de tous compte », elle a cependant été « encouragée à prendre l’initiative : j’ai appris à m’exprimer en staff, en argumentant, à porter la parole du patient. J’ai aussi développé une capacité d’écoute active, pour réaliser une anamnèse complète. Je m’intéresse à l’histoire du patient avant et pendant la maladie, à celle de ses proches, de ses aidants… Je consacre le temps qu’il faut, au moins une heure, à mon premier entretien, qui est une vraie consultation, même si les médecins se réservent ce terme. Puis je conduis un examen clinique complet, de la tête aux pieds, jusque dans la bouche, en me concentrant sur les zones douloureuses. Et je pose des questions simples. Souvent, la mort habite l’esprit du patient. On n’aborde pas le sujet directement, mais on permet au patient de s’exprimer, s’il le souhaite. On essaie de se projeter dans une situation catastrophique, même si c’est difficile. »

Relation avec les médecins

L’infirmière est « très attendue dans le service, affirme le Dr Marine Sahut d’Izarn. Mais il y a probablement autant de projections que de médecins intéressés par ce nouveau métier. » L’IDE et le médecin partagent cependant le souhait commun d’un positionnement de la future IPA sur les soins palliatifs précoces. « C’est un maillon manquant que les médecins ne peuvent pas aujourd’hui assumer seuls, estime le Dr Sahut d’Izarn. Cela consiste à intégrer les prises en charge oncologique et palliative, dès le début de la maladie, en tissant un lien de confiance. On peut ainsi améliorer la qualité de vie du patient, des aidants, probablement organiser les choses plus paisiblement à l’heure des choix difficiles, limiter les traitements inutiles en fin de vie… »

Karima Lakhlalki-Nfissi rappelle qu’elle devra « trouver des oncologues qui adhèrent au dispositif, et acceptent de rédiger un protocole d’organisation en collaboration. Ce protocole permet de ne pas sortir du cadre, de rassurer les médecins. En France, les infirmières sortent de la cuisse des médecins. On a un train de retard par rapport aux autres pays. Il faut qu’on arrête de se dévaloriser, que l’on s’autorise à sortir du rôle que l’on veut bien nous donner. Notre autonomie est à gagner. Mais c’est bien parti. Le cursus universitaire va nous donner une assise académique. » Le Dr Sahut d’Izarn met, elle, en garde contre « une potentielle lutte des classes ».