LA PSYCHIATRIE À BOUT DE SOUFFLE - L'Infirmière Magazine n° 410 du 01/12/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 410 du 01/12/2019

 

RHÔNE-ALPES

ACTUALITÉS

FOCUS

ANNE-GAËLLE MOULUN  

Des soignants de Rhône-Alpes ont fait grève le 14 novembre pour dénoncer les manques d’effectifs et de moyens, qui mettent en danger la santé des patients et épuisent les équipes.

Épuisés et démunis », les soignants de l’hôpital psychiatrique du Vinatier et le collectif inter-hôpitaux lyonnais ont mené une action le jeudi 14 novembre, devant la préfecture du Rhône et devant l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes. En effet, au Vinatier, le deuxième plus gros établissement psychiatrique de France, les services manquent cruellement d’effectifs (voir encadré). « Depuis trois ans, les suppressions de postes se poursuivent, explique Mathieu Berquand-Merle, IDE au Vinatier et élu CGT. Cela crée des difficultés au quo tidien. Les équipes sont constamment réduites à deux infirmières et une aide-soignante pour 25 patients. Notre effectif minimum devient notre quotidien. Nous nous retrouvons en grande difficulté. Et à la moindre absence, la direction fait appel à des intérimaires, qui ne connaissent ni les patients ni l’unité. »

Deux fois plus de travail et de fatigue

Au Vinatier, les services connaissent aussi une pénurie de médecins. Il manque, par exemple, deux postes de psychiatres titulaires dans les services Bonafé et Lasègue, des unités de 24 lits avec une chambre d’isolement en plus. « Nous ne trouvons pas de médecins du fait de la rareté des psychiatres sur le marché du travail et d’une attractivité moindre du service public, estime le Dr Natalie Giloux, chef du service Lasègue au Vinatier. Pour ceux qui restent, cela se traduit par deux fois plus de travail, deux fois plus de fatigue. Nous voyons moins les patients, nous espaçons les rendez-vous et les équipes sont à bout… »

D’autres services dans la métropole de Lyon sont touchés par cette baisse d’effectifs de médecins. « Il y a des secteurs complètement sinistrés, comme ceux de Rillieux-la-Pape ou de Vaulx-en-Velin, qui sont deux banlieues pauvres de Lyon », ajoute Mathieu Berquand-Merle. À Vaulxen-Velin, au centre médico-psychologique (CMP) adulte, il y a eu 13 départs en un an.

Deux ans d’attente pour les enfants

« Il y a quatre mois d’attente pour avoir un rendez-vous avec une infirmière au CMP adulte et deux ans d’attente pour un début de prise en charge pour les enfants. Or, il n’y a pas de psychiatrie libérale à Vaulxen-Velin, donc on demande aux soignants de réorienter vers les médecins traitants… Le médecin responsable du CMP enfants est parti en novembre et le médecin-chef va partir en décembre. Ils n’ont personne pour les remplacer pour l’instant », souligne l’infirmier.

À Rillieux-la-Pape, les soignants épuisés ont envoyé une lettre ouverte pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Le CMP/CATTP des Mercières a ainsi perdu son médecin depuis début novembre, qui n’est toujours pas remplacé à ce jour. « Nous couvrons une zone très large, comprenant un secteur très populaire à Rillieux. Un seul psychiatre libéral est installé dans la ville », explique Cécile Orinel, infirmière au CMP.

Soigner « les plus pauvres et les plus fous »

« Nous avons une mission de service public que nous ne parvenons plus à remplir, déplore Cécile Orinel. Notre chef de pôle nous a demandé oralement de ne plus prendre en charge qu’une personne sur deux et de les orienter par tous les moyens à notre disposition vers le secteur libéral ou des associations. Cela pose le problème du non-respect de nos missions », souligne-elle.

Ainsi, sur une file active de 264 patients, 164 ont été relayés à des médecins traitants non formés en psychiatrie. « On nous demande de trier dans la population », poursuit son confrère Jean-Yves Becquelin, infirmier dans le même CMP. Le projet de pôle précise d’ailleurs noir sur blanc que le CMP se doit de soigner « les plus pauvres et les plus fous »… Inter rogée, l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.

EN CHIFFRES

→ À l’hôpital psychiatrique du Vinatier : effectif total : 2 500 postes non médicaux. 160 suppressions de postes en trois ans, principalement des postes non médicaux (aides-soignantes, infirmières, ASH, secrétaires…)

→ Au CMP de Vaulx-en-Velin : 0,4 équivalent temps plein (ETP) médical, c’est-à-dire un médecin présent à seulement 40 % et 1,8 ETP infirmier. 500 patients ont été renvoyés vers les médecins traitants de Vaulx-en-Velin.

→ Au CMP de Rillieux-la-Pape : 0,9 ETP de médecin répartis sur quatre médecins, pour une file active de 922 patients adultes.

→ Au CATTP(1) de Rillieux-la-Pape : 0 médecin depuis deux ans et demi, depuis que l’équipe a intégré le centre des Mercières.

1 - Centre d’accueil à temps partiel thérapeutique.