LE CALME APRÈS LA TEMPÊTE - L'Infirmière Magazine n° 408 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 408 du 01/10/2019

 

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Ça commence comme une gigantesque gifle. Qui nous secoue au moment où l’on s’y attend le moins. Nous nous apprêtions à passer la main à la relève de nuit. De la routine, rien que de la routine. Malheureusement, c’est souvent dans les routines que se terrent les pires galères. Une admission sur notre lit « sup’ » était en route. Les infos que nous avions reçues étaient trop laconiques pour nous inquiéter. Jeune femme de 20 ans, retard mental, adressée pour séjour de rupture par son IME. Personne ne nous avait mis en garde contre son hétéro-agressivité, contre le risque d’automutilation.

Personne ne nous avait parlé de son syndrome d’alcoolisme fœtal, de son babillement en guise de langage ou encore de son repli autistique. Alors ce fut une déflagration quand elle débarqua. Avec le développement physique d’une gamine de 10 ans et le mental d’une de 2, elle retourna le service en quelques minutes.

Elle projeta tous les objets de son environnement, se blessant au passage. Il nous fallu vider en urgence sa chambre pour ne laisser qu’un triste matelas au sol. À trois, on tenta de l’immobiliser au sol mais déjà, le mal était visible.

Dans sa colère, elle s’était blessée. Au nez, aux genoux. Les autres patients affluaient, inquiets de la tournure des événements. Il y avait du sang, des cris, de la panique. Alors que je voulais l’empêcher de se mordre, elle me décocha un violent coup de pied dans le visage. On fit venir des renforts soignants. Parfois, prendre soin, c’est agir contre ses valeurs : ce n’est pas agir pour le mieux, mais agir pour le moins pire. Après l’appel au médecin de garde, on déclencha le « SCI », pour sédation, contention, isolement. Terrible, mais dans le quotidien de la psy publique, on est loin des bureaux feutrés des décideurs. Ce soir-là, on repartit avec la mine des mauvais jours. D’avoir vu une personne démunie et apeurée, sans avoir pu l’aider. Personne ne lui avait expliqué son transfert et les raisons de celui-ci. De quoi se sentir abandonné par le système, non ? Alors il paraît qu’après l’ombre vient la lumière. J’ai appris à ne pas trop croire à ce genre de proverbe, pourtant quand deux jours plus tard, je revins dans le service, je fus ravie de la voir déambuler librement dans les couloirs. Et quand le lendemain, j’apportai une balle en mousse et que nous jouâmes pendant vingt-minutes, je vis son sourire à maintes reprises égayer son visage et je sus. Aussi mince soit-il, un rayon de lumière était entré dans le service. Ce rayon, c’était celui du soin rendu possible.