« La même qualité qu’en face à face » - L'Infirmière Magazine n° 408 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 408 du 01/10/2019

 

INTERVIEW : Dr Pierre Simon Néphrologue, consultant en télémédecine et ex-président de la société de télémédecine (SFT-ANTEL)

DOSSIER

ANNE-GAËLLE MOULUN  

Co-auteur du rapport sur « la place de la télémédecine dans l’organisation des soins » en 2008, le Dr Pierre Simon expose les apports de la télémédecine au système de soin et ses limites.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle est la place de la télémédecine dans l’organisation des soins ?

PIERRE SIMON : La médecine du XXIe siècle est une médecine qui va être de plus en plus à distance. Le poids croissant des maladies chroniques va conduire à développer des alternatives à l’hospitalisation avec des surveillances à domicile. La télémédecine se développe pour améliorer l’accès aux soins. Les jeunes médecins veulent un exercice regroupé et ne veulent plus travailler dans les zones rurales. Elle apporte des réponses, même si elle ne les apporte pas toutes. Elle occupe donc une place complémentaire. Le dernier avenant de la convention médicale précise que les téléconsultations doivent être alternées avec des consultations en présentiel.

L’I.M. : Quels sont les bénéfices de la télémédecine pour les patients ?

P. S. : On a aujourd’hui des patients de plus en plus âgés, et ce sont souvent ceux qui habitent dans les zones rurales. Pouvoir leur offrir des solutions de télémédecine dans les pharmacies d’officine, par exemple, leur évite de parcourir vingt ou trente kilomètres pour voir leur médecin traitant. Ce relais est une très bonne chose car les patients âgés et polypathologiques ont des relations privilégiées avec leurs pharmaciens. Outre leur rôle d’expert sur le bon usage du médicament, ils peuvent être de bons intermédiaires entre les patients et les médecins ou les IDE. De même, en équipant les Ehpad de solutions de télémédecine, on permet à des personnes âgées et isolées de bénéficier de consultations. L’Assurance maladie soutient ces évolutions car la plupart du temps, la seule façon d’aller chez le médecin est d’appeler une ambulance. Par ailleurs, la LFSS 2018 a imposé que la téléconsultation se fasse par vidéotransmission et non plus par téléphone. Cela a apporté de l’humanité dans la relation entre le patient et son médecin.

L’I.M. : L’utilisation de ces nouvelles technologies ne risque-t-elle pas de déshumaniser la prise en charge du patient ?

P. S. : Une téléconsultation exige la même qualité qu’une consultation en face à face. Si elle est réalisée dans une forme dégradée, bâclée, les patients jugeront très vite que c’est déshumanisant. Et là, la télémédecine peut échouer. Une téléconsultation doit avoir la même durée qu’en présentiel, soit en moyenne dix-huit minutes aujourd’hui. Pour les personnes atteintes de maladies chroniques, il faut accepter qu’elle puisse être longue, d’autant que le médecin peut obtenir de l’Assurance maladie le financement accordé aux consultations complexes en cabinet. Il y a des médecins qui pensent que la téléconsultation ne s’adresse qu’à la “bobologie”, ils ont tort. Pour les affections bénignes qui vont encombrer les urgences, il faut faire du téléconseil médical, écouter les gens, les rassurer, les orienter. Des plateformes ont lancé des initiatives relevant de ce type de prestation. Mais ce n’est pas de la téléconsultation telle quelle est définie dans l’avenant 6 de la convention médicale. Aujourd’hui, il y a une certaine confusion.

L’I.M. : Quelles sont les limites de la télémédecine ?

P. S. : Il ne faut pas chercher à tout faire, par exemple, on ne fera pas une consultation qui nécessite un examen clinique ou en phase aiguë. Et puis, il faut laisser le choix au patient. Il faut qu’il soit consentant après une information claire et adaptée. D’où l’importance de passer du temps à expliquer en quoi cela consiste, que la téléconsultation améliore le suivi des patients. Je ne crois pas beaucoup à la télémédecine de l’urgence. On perd du temps et il y a une perte de chance.

L’I.M. : Que pourraient penser les patients du télésoin ?

P. S. : C’est un sujet nouveau pour les patients même s’ils ont déjà des relations très proches avec les infirmières. Je pense qu’il faudra qu’elles expliquent, elles aussi, à leur patientèle qu’elles peuvent faire des soins à distance. Sans quoi il y a un risque de déshumanisation si le télésoin apparaît comme une solution qui ne permet plus au patient de voir régulièrement son infirmière.

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