Les infirmières du ciel - L'Infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019

 

AÉROPORT PARIS-CHARLES-DE-GAULLE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

CÉCILE BONTRON  

Le service médical d’urgence de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle prend en charge toutes les urgences des passagers mais aussi des vaccinations, des consultations de premier recours, des contrôles sanitaires et une certaine médecine légale du vivant. Reportage dans ce concentré de nations.

Les saignements ont repris, la patiente a été transférée dans la salle des urgences vitales. Il y a quelques heures, elle était encore dans la moiteur de Singapour, enceinte de plus de quatre mois. Mais sa grossesse s’est arrêtée. Elle a quand même voulu venir à Paris. Et dans l’avion, elle a perdu beaucoup de sang. Le Samu l’a donc dirigée directement au centre de secours médical d’urgence de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle. Quand l’IDE Lætitia Marto a pris sa garde de vingt-quatre heures, la jeune femme était stabilisée, dans l’une des trois chambres du centre. Mais son état s’est dégradé. Pose de perfusion, transfusion de sang… la jeune infirmière énergique a pu re-stabiliser la patiente, avant qu’elle ne soit transférée vers l’un des hôpitaux voisins, le CHI Robert-Ballanger à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ou le CH de Gonesse (Val-d’Oise).

Un monde à part

Le service médical d’urgence de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle assure toutes les urgences qui peuvent survenir : traumas de chute dans l’escalator, embolies à la sortie de l’avion, ainsi que tous les accidents de la route ou de chantier inévitables dans cette ruche incessante. C’est la mission première de ce service de soin hors normes visant les voyageurs - plus de 90 000 personnes qui travaillent directement dans les 3 200 ha de l’institution, 120 000 si on inclue ceux qui y travaillent indirectement, à l’image des chauffeurs de taxis. Créé en même temps que l’aéroport, en 1974, le service médical d’urgence a été mis en place par le groupe Aéroports de Paris (ADP). Reconnu par le Samu, l’Ordre des médecins ou encore l’agence régionale de santé (ARS), il n’a obtenu son statut juridique de service médical d’urgence et de soin qu’en avril 2017 - la veille sanitaire aux points d’entrée du territoire étant, après Ebola, apparue finalement intéressante -, à travers un décret qui lui infère trois missions : l’offre de soins de premier recours, la participation à l’aide médicale d’urgence, régulée par le Samu, et au contrôle sanitaire en cas d’épidémie aux points d’entrée du territoire.

En outre, le SMU est également un centre de vaccination internationale. Chaque année, l’équipe composée de 46 personnes, dont 18 infirmières, traite plus de 51 000 passages, dont 32 000 en consultation médicale. Soit 140 patients par jour. Sur des gardes de vingt-quatre heures, de 8 h à 8 h, les journées sont souvent bien rythmées pour les deux infirmières de garde et l’infirmier coordinateur.

Des urgences aux vaccins

Dans la petite salle des urgences vitales, un paravent sépare la voyageuse de Singapour et son voisin, également perfusé. « Nous avons souvent des personnes qui arrivent très déshydratées », souligne Lætitia Marto, évoquant les infections qui provoquent des diarrhées ou des vomissements sévères. « Ce sont des pathologies de voyage. »

Même si l’aéroport est un monde en miniature avec ses spécificités, le travail infirmier ressemble beaucoup à celui des urgences. Un service dans lequel Lætitia Marto a travaillé, avant de le quitter. « Je me suis usée », assure-t-elle en évoquant des conditions de travail « trop compliquées ». Elle a donc tenté l’intérim à l’aéroport d’Orly et a finalement obtenu une proposition de poste, d’abord à Orly puis à Roissy. Une opportunité qu’elle n’avait pas cherchée mais qui lui a plu. « J’ai retrouvé les urgences, mais aussi les consultations simples et les interventions… C’est très varié », affirme-t-elle.

À l’accueil, au bout du terminal2F, les patients se succèdent. Un homme vêtu d’un blouson orange se présente. « Je me suis fait renverser par une chargeuse », explique-t-il. Mal de tête mais pas de perte de connaissance. L’infirmier d’accueil et d’orientation l’envoie en consultation médicale. Puis deux personnes désirent « le vaccin pour aller en Arabie saoudite ». Pas de pathologie en cours, pas de vaccin réalisé récemment, l’une des deux infirmières va pouvoir leur administrer le Nimenrix. C’est l’un des deux vaccins assurés par le SMU de Paris-Charles-de-Gaulle. Celui contre la fièvre jaune est réalisé par les médecins, tandis que celui contre les infections à méningocoques l’est par les infirmières. En tout, le SMU assure plus de 8 800 vaccinations par an.

Un IAO multitâche

Derrière la longue console d’accueil, Jean-Luc Caron garde un œil sur ses écrans de contrôle, la barrière à lever pour les ambulances, les tableurs de gestion des patients. Ses gardes infirmières, également de vingt-quatre heures, comportent une bonne part d’administratif mais moins d’action que ses collègues de la salle de soin. L’infirmier d’accueil et d’orientation (IAO) a beaucoup évolué depuis ses débuts dans l’ambulance. « Je trouvais que j’étais limité dans les actes que je pouvais réaliser, se rappelle-t-il. Devenir infirmier a été une vraie étape dans ma carrière car les responsabilités varient, le travail est complètement différent. »

Outre l’accueil et l’orientation, Jean-Marie Caron gère aussi… la caisse du SMU. Des clients pour des vaccins ? L’IAO entre toutes les données dans le logiciel, encaisse 60 € et sort le reçu de paiement. Un accident du travail ? Jean-Marie Caron dégaine la feuille ad hoc avec le tampon de l’aéroport pour l’Assurance maladie. L’infirmier est multitâche. « En étant un ancien ambulancier, j’avais la connaissance du terrain et tous les permis de conduire. Cela m’a permis de prendre le poste de coordinateur, explique-t-il. Je fais l’accueil et si un crash aérien intervient, je vais sur place. »

Outre les (très) rares crashes aériens, les IDE peuvent intervenir sur les pistes en cas d’alerte rouge : un camion qui percute une aile d’avion, ou encore un soupçon d’incendie, mais également en cas de rapatriement ou de couloir sanitaire, en allant directement accueillir les patients à la sortie de l’avion.

Polyglottes au quotidien

Pouvoir être appelé à rouler près des puissants monstres d’acier est un privilège qui fait toujours rêver. Passionné d’aviation, Christophe Guiban relaie Jean-Luc Caron sur le poste IAO. Il est, lui aussi, un ancien ambulancier. Fasciné par les 747, puis par les 777, l’infirmier goûte à la proximité avec les engins qu’il admire et peut parfois voir s’envoler. « Il y a une ambiance particulière dans un aéroport, confirme Lætitia Marto. Certains patients parlent de leurs voyages, nous pouvons avoir des échanges formidables. » Tokyo, Saint-Pétersbourg, Sao Paolo… entre amoureux des voyages, patients et soignants partagent les bonnes adresses ou les endroits insolites le temps d’un test d’hémoglobine ou de palud. « Parfois, on se dépêche pour que les patients puissent prendre leur avion, raconte l’IDE. Nous rendons les gens heureux, d’une autre manière. » Et elle ajoute : « La prise en charge est la même qu’à l’hôpital, mais nous pouvons avoir une reconnaissance différente. »

Dans un service amené à soigner des voyageurs venant du monde entier, du Chili à la Pologne, du Japon à la Namibie, la communication peut pourtant se révéler problématique. L’équipe assure avec les “classiques” anglais et espagnol. Et Lætitia Marto parle même portugais. Pour le coréen, le japonais ou toute autre langue, elle fait appel aux compagnies aériennes. Mais parfois, c’est un peu plus compliqué. « Certaines personnes âgées parlent créole, kabyle ou géorgien, témoigne l’infirmière. Mais on arrive à se débrouiller avec la famille, la compagnie aérienne ou même ADP. Il y a toujours quelqu’un pour aider à la traduction. »

Collaboration avec les pompiers et policiers

Au bout du couloir, deux policiers ont pris place devant la chambre 2. Ils restent debout, plantés devant la porte, impassibles. Une scène assez banale pour les soignants du SMU : l’aéroport est la dernière étape pour les reconduites à la frontière. Le service médical soigne ainsi les symptômes de stress, comme le vomissement du patient de la 2, ou des malaises avec une surveillance rapprochée. Si le SMU soigne les personnes placées sous la responsabilité de la police, sa collaboration avec les forces de l’ordre va plus loin. Elle l’amène à réaliser ce que le Dr Patrick Thomas, chef du service, appelle une « médecine légale du vivant », c’est-à-dire répondre à des demandes d’expertise médicale judiciaire ou administrative.

Dans quelques jours, le chef du SMU va faire une présentation du service à des étudiants. Il compile donc quelques images des “prises” et sur l’ordinateur défilent différents types d’empilements de dizaines de boulettes de cocaïne, parfois dans un estomac, parfois dans un colon. Car le SMU abrite un équipement de radiologie appartenant aux douanes, qui peut être manipulé soit par les médecins soit par les infirmières (bien qu’un seul IDE s’en charge aujourd’hui), la radiographie étant toujours lue et interprétée par un médecin.

La police est un partenaire récurrent des soignants du SMU, tout comme les pompiers de l’aéroport. « Je viens ici 20 à 25 fois par jour, sourit Frédéric Brail, sapeur-pompier de Paris-Charles-de-Gaulle. On se connaît très bien ! » Pompiers et IDE ont les mêmes gardes de vingt-quatre heures, parallèles. Les deux équipes travaillent donc un peu en binôme. « Quand c’est calme, on prend un café ensemble, raconte le pompier. Et quand on connaît bien les gens, on sait comment chaque personne travaille. C’est bien plus efficace. »

Un petit mot de Christophe Guiban à l’accueil, et le pompier installe sa victime, prise de vertiges, dans la salle de soin, attenante à celle des urgences vitales, pour un petit bilan. Frédéric Brail est pompier salarié d’ADP depuis 2002, un statut un peu particulier, partagé par les soignants du SMU, également employés par le groupe. « Par rapport aux autres pompiers, nous avons en plus une sorte de “relation clientèle”. Ici, l’exploitation est importante, nous devons le prendre en compte. »

Un mot est vite parti sur les réseaux sociaux… Et l’exploitation ne s’arrête jamais vraiment. Les avions doivent pouvoir décoller et il faut satisfaire la clientèle. La valse des avions marque normalement une pause nocturne de 00 h 30 à 4 h. Mais l’aéroport ne connaît aucun répit : entre les avions en retard, les travaux sur les pistes ou les voies circulatoires extérieures, les activités dans les hôtels… Dans les salles du SMU, l’activité pourra baisser légèrement, avec peut-être un peu plus de patients désorientés, un peu comme à l’hôpital, mais toujours avec cette petite nuance d’ailleurs.

Près de 50 % des patients sont des personnels travaillant dans l’aéroport, 35 % des passagers et leurs accompagnants, et 15 % des riverains ou des visiteurs TGV(1). En 2018, le service a enregistré 26 décès et deux naissances.

1- Une gare TGV se trouve dans le terminal 2 de l’aéroport Charles-de-Gaulle.

EN CHIFFRES

UNE RUCHE DE LA TAILLE D’UNE VILLE.

Les chiffres de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle ont de quoi donner le tournis.

→ 72,2 millions de passagers accueillis en 2018 ;

→ 480 945 mouvements d’avion (décollage ou atterrissage) en 2017 ;

→ Le 10e aéroport mondial, le deuxième aéroport européenet le premier aéroport français ;

→ 325 destinations, dans 115 pays ;

→ 152 compagnies aériennes (avec plus de 12 mouvements par an) ;

→ 3 257 hectares (soit un tiers de Paris intra-muros) ;

→ Siège de 700 entreprises et 90 000 emplois directs.