L’hôpital se fait mobile pour des soins adaptés - L'Infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019

 

PSYCHO-GÉRIATRIE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Marie-Capucine Diss  

L’équipe mobile de psychiatrie pour personnes âgées (EMPPA) du CH du Rouvray intervient dans trente Ehpad de Seine-Maritime afin d’apporter une réponse rapide aux demandes de soins. Elle peut s’appuyer sur une primo-évaluation infirmière complétée par une téléconsultation avec une psychiatre.

Forges-les-Eaux, 10 h 30. Élodie Boutbien et Sabrina Mélis poussent les portes de la Fondation Beaufils, après quatre-vingts kilomètres de routes sinueuses dans le pays de Bray. Sur le chemin les menant à la salle de soins, les deux IDE saluent les résidents, ébauchent quelques conversations. Florence Bruyninx-Gubin, la médecin coordinatrice, leur fait part de l’attitude des résidents qui préoccupent le plus l’équipe soignante. M. F., déjà connu de l’équipe mobile, se plaint de visions inquiétantes : son voisin, décédé depuis plusieurs années, veut lui faire du mal. Mme R. pleure souvent et manque d’appétit. M. L., admis il y a trois semaines et placé dans l’unité protégée de l’établissement, fait part de sa volonté de se suicider. L’infirmière référente en géronto-psychiatrie de l’établissement, Sarah Pointel, s’est mêlée à la conversation. Les IDE de l’équipe mobile complètent ces échanges par l’examen des dossiers médicaux des résidents. Elles analysent l’état des résidents pour déterminer si une consultation psychiatrique s’impose, et dans quel délai. Sabrina Mélis souligne l’importance de prendre en compte la santé des patients dans leur globalité : « Il ne faut pas passer à côté de troubles somatiques, comme la déshydratation et les fécalomes, dont souffrent souvent les personnes âgées et qui peuvent avoir une incidence sur leur psychisme. Nous devons aussi nous assurer que nous ne nous trouvons pas face à un syndrome confusionnel, ce qui peut être le cas si les troubles du comportement sont apparus de manière soudaine. » « Dans ce cas, complète Élodie Boutbien, nous convenons avec l’équipe de l’Ehpad de réaliser des examens somatiques qui viendront compléter notre évaluation psychiatrique afin d’apporter une réponse plus adaptée. »

Pas de blouse blanche

Ce jour-là, les infirmières de l’EMPPA décident, en concertation avec l’équipe soignante de l’Ehpad, de réaliser deux primo-évaluations. Celles-ci sont formalisées par un protocole d’intervention infirmier découlant du protocole de coopération élaboré par le CH du Rouvray (voir encadré ci-contre). Les Ehpad sollicitent une intervention infirmière dans cinq situations : troubles psycho-comportementaux, anxiété, tristesse de l’humeur, idées suicidaires et trouble du sommeil. La primo-évaluation est décidée quand les IDE estiment que le résident ne peut attendre la visite mensuelle de la psychiatre dans l’établissement. L’entretien de primo-évaluation est réalisé exclusivement sur demande écrite du médecin traitant du résident ou du médecin coordonnateur de l’Ehpad. Il doit être obligatoirement suivi d’une téléconsultation avec une des quatre psychiatres de l’équipe mobile. En fonction de la disponibilité de ces dernières, la consultation a lieu juste après l’entretien infirmier ou dans les jours qui suivent.

Élodie Boutbien se rend dans la chambre de Mme R. Les rideaux sont tirés et la télévision diffuse Les Feux de l’amour. Sur le meuble faisant face au lit de la résidente, une photo aux couleurs passées, dominées par le rouge. Ce témoin des années 1970 montre un couple dans un intérieur coquet. L’infirmière ne porte pas de blouse blanche et ne précise pas son appartenance à un service de psychiatrie : cela pourrait entraîner une défiance de la part de son interlocutrice. Celle-ci est d’ailleurs sur la défensive. Elle répond brièvement aux questions de la soignante, qui lui demande comment elle se sent et qui l’interroge sur son passé. Les questions trop précises valent à l’infirmière un « Vous m’embêtez » de la part de cette résidente, qui ne peut indiquer la date du jour mais qui accepte que l’infirmière la lui donne. Quand elle en prend connaissance, elle fait le lien avec l’anniversaire d’un de ses enfants. Élodie Boutbien interroge Mme R. sur ses accès de tristesse et lui glisse qu’elle est venue la voir pour l’aider à aller mieux. Indécise, Mme R. tente d’écourter l’entretien à plusieurs reprises. Encore quelques échanges et la visite est terminée.

Téléconsultation par écran interposé

L’infirmière rédige alors sa synthèse, indiquant la symptomatologie de la résidente, des éléments de biographie et les extraits les plus significatifs de son dossier médical. Pour étayer leur primo-évaluation, les infirmières de l’EMPPA mêlent à l’entretien des questions leur permettant d’établir différentes échelles : RUD(1) pour le risque suicidaire, Hamilton pour l’anxiété, mini GDS (2) pour la dépression, CAM(3) pour détecter un éventuel syndrome confusionnel. Un test est également effectué afin d’évaluer l’état cognitif de la personne : le MMS(4). Pour compléter ces informations, l’infirmière réalise un inventaire neuropsychiatrique(5). Une salle de l’Ehpad est réservée aux téléconsultations. Au mur, un écran plat surmonté d’une caméra. La liaison est faite avec Rouen. Le visage du Dr Marie Desbordes apparaît à l’écran. Les infirmières, qui ont fait parvenir par écrit leur synthèse à la psychiatre, lui donnent les éléments les plus importants concernant les patients avec lesquels elle va s’entretenir. M. F. attend avec impatience sa consultation. Visage tendu vers l’écran, il fait part à la médecin des visions qui l’accablent. Celle-ci lui propose de corriger à la hausse son traitement. Rassuré, M. F. acquiesce. L’entretien avec M. L. se fait en présence de sa médecin traitant, présente à l’Ehpad. Celle-ci facilite la communication avec le résident et donne des éléments supplémentaires au Dr Desbordes. Estimant que M. L. n’a pas le projet de mettre rapidement fin à ses jours, celle-ci propose à sa consœur de maintenir le séjour du résident en unité protégée tout en faisant évoluer son traitement. Une hospitalisation est évitée. Du moins pour le moment. L’entretien avec Mme R. se fait en présence de Sarah Pointel, qui a conduit la résidente en salle de téléconsultation. La résidente oscille entre défiance et confessions. Des larmes viennent puis elle évoque la présence réconfortante de l’infirmière référente de l’Ehpad, « une petite dame qui me sourit ». La psychiatre lui explique qu’un traitement antidépresseur lui permettra prochainement de retrouver l’appétit et de se sentir moins triste.

Permanence téléphonique

La psychiatre de l’équipe mobile rédige ses conclusions à l’attention des médecins qui suivent les patients de l’Ehpad. Rien ne leur est imposé, mais ces indications sont la plupart du temps suivies. Les IDE rédigent les conclusions de l’entretien, consignées dans leur dossier de transmissions. Élodie Boutbien a bon espoir que la situation de Mme F. s’améliore vite : « Lors de notre prochaine visite avec la psychiatre, nous serons amenées à évaluer l’efficacité et la tolérance des traitements. »

Parallèlement au suivi des patients, les infirmières de l’EMPPA conseillent les équipes des Ehpad. « Nous évoquons avec elles l’importance d’adapter leur approche du résident en fonction de ses troubles ou besoins, explique Sabrina Mélis. Nous pouvons aussi évoquer l’intérêt de prises en charge non médicamenteuses. Il n’est pas nécessaire de sédater des patients qui présentent des troubles du comportement. Nous pouvons, par exemple, discuter avec les équipes de l’intérêt de ménager des espaces de déambulation. » Les IDE de l’équipe mobile assurent également auprès du personnel une permanence téléphonique, ainsi qu’une formation aux spécificités psychiatriques chez le sujet âgé.

1- Risque urgence dangerosité.

2- Geriatric depression scale.

3- Confusion assessment method.

4- Mini mental state.

5- Le NPI permet d’évaluer le degré de gravité, la fréquence et le retentissement sur les équipes de douze symptômes.

ORGANISATION

Un protocole de coopération

> Depuis 1997, le CH du Rouvray dispose d’une unité de géronto-psychiatrie. Complétant l’offre de soin offerte par une unité d’hospitalisation et un hôpital de jour, une équipe mobile de psychiatrie pour personnes âgées (EMPPA) a été créée en 2006. Intervenant dans les Ehpad, elle a pour mission d’améliorer l’accès aux soins des résidents et leur qualité, dans un territoire touché par la désertification médicale.

> Trente établissements ont à ce jour établi une convention avec le service de psychiatrie pour personnes âgées du Rouvray. L’hôpital s’engage à assurer deux visites mensuelles, dont une médicale, à assurer le suivi des résidents et le soutien institutionnel auprès des équipes des Ehpad. En contrepartie, trois lits sont fléchés par les établissements signataires pour les patients suivis au CH du Rouvray.

> Celui-ci a élaboré un protocole de coopération, qui a été reconnu en 2012 par la Haute Autorité de santé (HAS) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Des IDE expertes peuvent, par délégation de tâches, réaliser le premier entretien avec des résidents. Cette rencontre est complétée par une téléconsultation avec une des psychiatres de l’équipe mobile. Avec l’appui de l’ARS, les Ehpad se sont pour cela dotés d’un système de mise en réseau sécurisée avec l’EMPPA.