Une prise en charge pluridisciplinaire - L'Infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019

 

FORMATION

TECHNIQUE CHIRURGICALE

Dr JEAN-POL DEPOIX  

anesthésiste-réanimateur, référent circulation extracorporelle, médecin médiateur, hôpital Bichat, HUPNVS, AP-HP

La circulation extracorporelle (CEC) mobilise plusieurs professionnels de santé, dont un chirurgien, un anesthésiste et un perfusionniste pouvant être IDE. Chacun a son rôle à jouer et ses responsabilités propres, notamment en cas d’événement indésirable.

La prise en charge de la circulation extracorporelle (CEC) a beaucoup évolué. Dans les années 1950, la première CEC réalisée à l’université du Minnesota mobilisait pas moins de quinze personnes : quatre chirurgiens, deux anesthésistes, quatre techniciens de CEC, une personne chargée de la gestion des prélèvements, deux techniciens pour surveiller le monitorage et deux infirmières qui complétaient l’équipe. Il a fallu attendre 1960 pour que la CEC ne soit réalisée que par un seul perfusionniste, pas toujours IDE, en sus de l’équipe de chirurgie et d’anesthésie.

Actuellement, que dit la réglementation (1) ? Pour toute CEC, la règle de l’art implique la présence :

- obligatoire d’un technicien perfusionniste ;

- permanente d’un médecin ayant la pratique de la CEC, celui-ci en assumant la responsabilité médico-légale. Il peut s’agir du médecin anesthésiste-réanimateur qui dispense l’anesthésie et bénéficie de l’aide d’une infirmière anesthésiste diplômée d’État (Iade) et d’un technicien perfusionniste IDE. Durant la CEC, il est présent en salle d’opération et assume la surveillance et la responsabilité de la CEC.

Qui est responsable de quoi ?

Le champ de responsabilités a été défini le 30 janvier 1998 par les sociétés savantes et les syndicats des médecins impliqués. Il est considéré que la CEC se divise en un acte chirurgical et un acte médical, où chacun assume sa part de responsabilité.

→ Le chirurgien assure l’acte chirurgical de mise en place et de conduite de la CEC :

- décision de la CEC : indication de faire ou de ne pas faire, choix de la technique ;

- mise en place et ablation des canules, décision de mise en marche et d’arrêt de la CEC ;

- choix du niveau d’hypothermie ;

- choix du débit, tout au long de la CEC ;

- décision d’arrêt circulatoire ;

- définition des protocoles de remplissage (priming) ;

- décision de cardioplégie ;

- décision d’assistance circulatoire.

→ Le médecin responsable de la CEC assure l’acte médical de la réalisation pratique et de la surveillance :

- choix du circuit de CEC et de l’oxygénateur en accord avec le chirurgien ;

- réalisation et surveillance de l’hypothermie ;

- surveillance et maintien de l’équilibre acido-basique ;

- anticoagulation (réalisation, monitorage) ;

- surveillance et maintien de l’équilibre hémodynamique (remplissage, examens biologiques…) ;

- conduite et réalisation de la protection myocardique.

→ L’infirmier perfusionniste : pour assurer la conduite de la CEC, il faut être IDE. Une Iade ou Ibode (infirmière de bloc opératoire diplômée d’État) peut assurer cette fonction. Sa mission est de préparer la machine de CEC avant la chirurgie :

- installation de l’oxygénateur ;

- raccordement divers : électricité, fluides médicaux ;

- mise en place des systèmes de monitorage et alarmes… ;

- chargement de l’oxygénateur avec le volume d’amorçage.

Le tout sera contrôlé avant utilisation par la réalisation d’une check-list. Certains éléments de surveillance sont obligatoires en CEC. Ils doivent être mis en œuvre par le perfusionniste pour chaque CEC.

• Pendant l’acte de CEC, il est impératif que l’infirmier perfusionniste reste à son poste, devant la console de CEC. Tout incident, quelle que soit sa gravité, doit être signalé immédiatement au médecin responsable de la CEC, au chirurgien et à l’anesthésiste.

Une correction rapide doit être faite et permettre de régler l’incident. Le perfusionniste doit faire approcher les matériels de secours. La notification des incidents/accidents en CEC est à la charge de l’IDE/perfusionniste. Elle sera faite au niveau de la base de données institutionnelle. Tout incident/accident sera enregistré de façon précise sur la feuille de CEC.

• Si le matériel est en cause, une déclaration de matériovigilance (lire p. 40) sera faite par le perfusionniste, l’anesthésiste ou le chirurgien (en fait une personne ayant été impliquée dans l’incident/accident).

Le perfusionniste est en charge des premières mesures conservatoires : conserver en état le dispositif médical (DM) en cause ; noter les circonstances de l’événement ; des schémas et des photos peuvent être une aide appréciable.

→ L’anesthésiste peut également être responsable de la conduite de la CEC. Au titre de cette responsabilité, sa présence physique est obligatoire pendant la durée de la CEC et une Iade doit être présente. Si, dans l’organisation de l’équipe, un médecin est dédié à la CEC, la responsabilité de l’anesthésiste sera limitée aux périodes précédant et suivant son déroulement.

Y a-t-il une différence entre référent CEC et responsable CEC ?

Il y a souvent confusion dans les établissements hospitaliers. On parle fréquemment de responsable de la CEC, alors qu’en fait, on veut dire référent. Le référent est le plus souvent un médecin de l’équipe qui a une réelle expertise en CEC. Son rôle est de s’assurer que les techniques utilisées soient conformes à « l’état de l’art », que les différents systèmes sécuritaires existent et soient utilisés. Il participe à la rédaction des protocoles, en collaboration avec les perfusionnistes et chirurgiens. Des fiches décrivant la conduite à tenir lors de l’utilisation ou en cas d’événement indésirable en CEC doivent être disponibles et réactualisées tous les quatre ans. Le responsable, quant à lui, assure la responsabilité de l’acte de CEC lors son utilisation. Il doit être présent en salle d’opération pendant toute la durée de l’acte, quelle que soit sa spécialité médicale. On voit ici que la différence est fondamentale dans la mission de chacun.

Rôle des autres intervenants

→ Comment est assurée la gestion des médicaments durant la CEC ? Au cours de la CEC, les médicaments peuvent être injectés sur la machine de CEC. L’IDE perfusionniste peut effectuer l’injection. Bien entendu, les règles de base de l’administration médicamenteuse doivent être respectées. Il existe des règles de préparation et d’administration des médicaments en anesthésie. L’infirmier perfusionniste ne doit pas administrer un produit préparé par un collègue si le produit n’est pas correctement identifié (étiquette avec code international de couleur). Une erreur médicamenteuse au cours de la CEC peut avoir des effets catastrophiques (ex : injection de protamine en place d’héparine). L’idéal serait de n’administrer que les médicaments préparés par la personne qui les administre, ce qui n’est pas toujours réalisable. Les injections médicamenteuses se font sur prescription médicale. Aucune injection ne peut être faite sans l’accord du médecin responsable de la CEC.

→ La surveillance biologique : les mesures en continu sur la console de CEC, les laboratoires délocalisés, qui est responsable ? Ces examens sont effectués par des médecins non biologistes ou du personnel soignant, en dehors des laboratoires de biologie, mais pas hors du contrôle des biologistes. « Le rôle des biologistes est de former le personnel soignant à l’utilisation du matériel, de vérifier le maintien de son habilitation, d’assurer la maintenance des appareils, le contrôle des équipements, de sécuriser la traçabilité des résultats » (norme NF-ISO 22870). La mise en œuvre nécessite en fait une collaboration étroite entre l’équipe de bloc opératoire et les biologistes, malgré les contraintes et les impératifs.

→ Le pharmacien a-t-il un rôle ? Il est un acteur essentiel, tout comme l’ingénieur biomédical et le responsable des services économiques. Il participe à la gestion des dispositifs médicaux. Il assure l’articulation entre l’utilisateur (équipe chirurgicale) et les fournisseurs. Le plus souvent, en milieu hospitalier, le pharmacien assure les commandes en veillant à la réglementation, au marquage CE des dispositifs à usage unique, au respect des procédures d’appel d’offres si cela est nécessaire. L’article L. 5126-5-4 du code de la santé publique indique que « la pharmacie à usage intérieur est chargée d’assurer, dans le respect qui régit le fonctionnement de l’établissement, la préparation, le contrôle, la détention et la dispensation des médicaments ainsi que des dispositifs médicaux stériles ». Dans la CEC, l’oxygénateur et les circuits associés sont des DM stérilisés par le fabricant. Le pharmacien a la responsabilité du DM stérile à usage unique pendant le stockage jusqu’à la mise à disposition auprès de l’équipe chirurgicale.

→ Et l’ingénieur biomédical ? La CEC fait partie des dispositifs médicaux soumis à l’obligation de maintenance (1). La bonne gestion de la maintenance du matériel de CEC est capitale pour la continuité de fonctionnement. L’arrêté du 3 mars 2003 rend obligatoire la maintenance de certaines catégories de dispositifs médicaux depuis le 1er janvier 2005. Dès la procédure d’acquisition, un certain nombre de points seront analysés : marquage CE, formation des utilisateurs, durées et conditions de garantie, programmation des visites de maintenance. De nombreuses informations seront partagées avec d’autres services (lire ci-dessous). L’ingénieur a en charge tous les équipements « lourds » de la CEC : console, pompes de secours, mélangeurs de gaz médicaux, échangeurs thermiques…

La communication interservices

Comme indiqué dans le guide pratique « Maintenance des dispositifs médicaux - obligations et recommandations », la communication interservices est capitale. « Afin de pouvoir s’assurer de la bonne utilisation des dispositifs médicaux installés, il est important de partager les informations entre les services concernés :

- services réalisant l’achat : service biomédical, service économique, pharmacie… ;

- services utilisateurs ;

- services assurant la maintenance : service biomédical, service technique, service économique (gestion des contrats) ;

- Clin, services d’hygiène et de stérilisation, pharmacies : procédures de retraitement des DM (nettoyage, désinfection, stérilisation) ;

- service informatique si utilisation du réseau ou de logiciels associés. »

Conclusion : la CEC nécessite bien une prise en charge multidisciplinaire. Au-delà de l’IDE perfusionniste, du chirurgien et de l’anesthésiste, éventuellement d’un médecin supplémentaire assurant la responsabilité de la CEC, beaucoup d’autres professionnels interviennent : pharmacien, biologiste, ingénieur biomédical, services économiques. Une bonne connaissance de chacun et une bonne articulation entre professionnels permettent de gérer au mieux le bon déroulement de la CEC et les événements indésirables, qu’ils soient graves ou non, pouvant survenir. On s’aperçoit alors que le nombre des participants mobilisés se rapproche beaucoup des descriptions faites lors des premières CEC dans les années 1950.

1- Décret n° 2001-1154 du 5 décembre 2001 et arrêté du 3 mars 2003.

Le métier d’infirmier perfusionniste

Prendre le relais du cœur et/ou des poumons de certains patients pendant une opération, tel est le rôle des infirmiers perfusionnistes. Le point sur les compétences.

Le perfusionniste est un métier qui figure maintenant au répertoire des métiers de la fonction publique (code métier 05L50). Son statut est défini dans chaque établissement. Il n’existe pas de décret de compétence mais une certification par une société savante de référence (European Board of Cardiovascular Perfusion).

SURVEILLER LES FONCTIONS VITALES

Le travail de l’infirmier perfusionniste ne se résume pas à brancher une machine. En collaboration avec le médecin responsable, il doit surveiller les fonctions vitales du patient pendant toute l’opération. Pour cela, il dispose de nombreux éléments de surveillance (gaz du sang, température, pression artérielle, NIRS, BIS), qu’il doit vérifier, analyser et équilibrer tout au long de l’intervention.

PRÉVENIR LES ACCIDENTS

On recense un accident pour 200 CEC en France. Le perfusionniste, afin de prévenir tout accident, dispose de nombreux dispositifs et procédures de sécurité qu’il doit mettre en œuvre ou respecter :

checklist obligatoire avant le départ de la circulation extracorporelle ;

- procédure de débullage ;

- alarme de niveaux ;

- alarme de bulle d’air ;

- alarme de pression ;

- alarme de température ;

- procédure de contrôle d’anticoagulation du circuit ;

- procédure en cas de désamorçage de la ligne veineuse ;

- procédure en cas de surpression sur la ligne artérielle ;

- procédure de changement de circuit en cas de dysfonctionnement de l’oxygénateur, thrombose du circuit.

SAVOIR-FAIRE REQUIS

→ Analyser les conditions de qualité et sécurité et déterminer si nécessaire la mise en place de mesures appropriées pour une prise en charge optimale du patient.

→ Analyser, adapter son comportement et sa pratique professionnelle, notamment face à des situations d’urgence.

→ Participer à la conception et la mise en œuvre des modes de prise en charge des personnes, adaptées aux techniques choisies et aux situations spécifiques à son domaine d’activité.

→ Concevoir et mettre en œuvre des formations dans son domaine d’activité. Réaliser les différentes étapes de la circulation extra-corporelle (CEC).

→ Transférer un savoir-faire, une pratique professionnelle.

→ Travailler en équipe pluridisciplinaire/en réseau.

QUELLE FORMATION ?

Il est nécessaire d’être titulaire du diplôme d’État d’infirmier, qu’il convient ensuite d’étayer en suivant une formation pratique et théorique sanctionnée. Un diplôme universitaire (DU) de circulation extracorporelle peut compléter cette formation. Il y a en France environ 240 perfusionnistes, qui sont dans leur majorité réunis en société (Sofraperf). Une formation pratique et théorique, au minimum d’un an, est nécessaire pour commencer à se familiariser avec cette profession, avant de préparer le DU. Il faudra ensuite suivre des formations continues, des stages validés par les sociétés savantes de référence et justifier d’une activité minimale en CEC, pour recevoir l’accréditation de l’European Board of Cardiovascular Perfusion, débouchant sur le titre de « praticien en CEC ».

FABRICE BERGER