MAÎTRE DE SON DESTIN, JUSQU’AU BOUT - L'Infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019

 

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« Allo, madame l’infirmière ? C’est pour vous dire que ce ne sera pas la peine de venir demain matin. » J’étais au milieu de ma tournée, en train de regagner ma voiture, lorsque j’ai écouté le message. Même si une petite voix intérieure me chuchotait depuis quelques jours que cela allait arriver, je suis restée clouée sur place. Je savais parfaitement à quoi correspondait le « ce n’est pas la peine ». Il signifiait la fin du combat, l’interruption des soins, parce que la bataille durait depuis trop longtemps déjà et que la lassitude avait pris le pas sur la détermination. Je soufflai un bon coup, pris mon courage à deux mains et composai le numéro. J’entendis sa voix qui n’était plus qu’un souffle : sa décision était prise. Il ne voulait pas continuer. Il voulait voir comment les choses allaient se passer sans « tout cela ». Ce « tout cela » qui s’éternisait depuis des mois : les perfusions, les injections et tout le reste. Ce « tout cela » qui prenait trop de place dans ce qui lui restait de vie. Il m’a raconté qu’après la visite chez l’oncologue, il lui avait fait part de sa décision de ne pas renouveler son ordonnance de traitement. Il en avait discuté avec le médecin mais il restait déterminé. C’était sa décision et personne d’autre ne déciderait à sa place.

Je restai un moment blottie dans le cocon de ma voiture puis continuai la tournée le cœur lourd. Je repensai à l’appel et à celui qui, à l’autre bout du fil, avait fait le choix de dire stop. J’étais désolée de la situation, mais je comprenais sa décision. Les soins devenaient de plus en plus difficiles à supporter, la douleur était plus présente, la maladie gagnait toujours du terrain et grignotait ainsi les dernières forces. L’espoir s’en était allé et il ne subsistait que le désir d’être tranquille, libéré des soins. J’ai plusieurs fois entendu cela durant ma carrière : le désir profond d’être maître de son destin, l’impression de subir le traitement en ayant la sensation d’en être prisonnier. Je l’ai plusieurs fois entendu de personnes dont la vie ne tenait plus qu’à un fil. En tant que soignant, il est toujours difficile de se sentir démuni face à la maladie. On voudrait faire quelque chose mais n’est-ce pas aussi cela notre rôle ? Entendre et respecter la décision de celui dont la vie est en train de basculer. Entendre et soutenir celui qui décide de prendre une autre voie que celle tracée pour lui. Un choix de vie, pour que ses derniers instants lui appartiennent vraiment, la volonté de finir son existence comme il le souhaite.