La matériovigilance, comment ça fonctionne ? - L'Infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

XAVIER ARRAULT*   DR BRUNO DE LA FORTERIE**  


*pharmacien responsable des DMS, correspondant local matériovigilance, hôpital Bichat, HUPNVS, AP-HP
**Directeur des ventes et marketing, division chirurgie, Terumo France

Cheville ouvrière de la politique de sécurité sanitaire, la matériovigilance s’appuie sur la réglementation française et européenne. Sa mise en œuvre repose sur un acte essentiel : la déclaration d’événement indésirable résultant de l’utilisation d’un dispositif médical.

La matériovigilance s’inscrit dans l’ensemble du dispositif de sécurité sanitaire français au sein des vigilances. Elle a pour objet la surveillance des incidents, des effets indésirables, ou des risques d’incidents ou d’effets indésirables, pouvant résulter de l’utilisation de dispositifs médicaux (DM) après leur mise sur le marché. En France, l’article R. 665-62 du code de la santé publique (CSP), issu du décret n° 96-32 du 15 janvier 1996, fonde la matériovigilance exercée sur les DM. Elle accompagne la mise en place de règles de mise sur le marché de DM, adoptées par les états membres de l’Union européenne, par le marquage CE, tel que défini initialement par la directive européenne (93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux DM).

1. LA DÉCLARATION, FONDEMENT DE LA MATÉRIOVIGILANCE

Fondamentalement, la matériovigilance comporte plusieurs phases :

– signalement des incidents ou de risques d’incidents ;

– enregistrement, évaluation et exploitation de ces informations dans un but ultime de prévention ;

– réalisation et suivi des actions correctives entreprises.

C’est sur cette base fondamentale déclarative que repose le fonctionnement de la matériovigilance.

Le dispositif de déclaration

Tout personnel médical ou paramédical ayant constaté un incident grave avec un DM doit le déclarer auprès du correspondant local de matériovigilance (CLMV). Un correspondant et un suppléant sont nommés dans chaque établissement de santé (article R. 5212-12 du CSP). Ils servent de relais entre les utilisateurs, le fournisseur et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). En France, la matériovigilance est organisée en deux niveaux : localement, par un réseau de correspondants locaux nommés dans les établissements de santé publics et privés ; au niveau national (central), qui est piloté par l’ANSM.

Dans le cadre de la réforme de l’organisation régionale des vigilances sanitaires (article 160 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016), l’ANSM et certaines agences régionales de santé (ARS) ont déjà mis en place, à titre expérimental, un niveau régional de matériovigilance, dans huit régions pilotes. L’objectif principal étant de renforcer les échanges d’informations ascendantes et descendantes entre les différents acteurs.

→ Situation clinique : l’incident constaté (lire p. 36) avec le circuit de circulation extracorporelle (CEC) a été déclaré en interne par un des perfusionnistes à l’aide du système d’information en ligne Osiris (Organisation du système d’information des risques), déployé sur tous les sites de l’AP-HP (lire p. 39). Le CLMV a pris connaissance de cette déclaration par voie de courrier électronique.

• Sur la base des éléments complémentaires recueillis auprès des professionnels et à l’aide d’un logigramme établi par l’autorité compétente, le CLMV a décidé de transmettre une déclaration, via un formulaire Cerfa auprès de l’ANSM. Un accusé de réception, qui comporte notamment le numéro d’enregistrement, est alors émis. En parallèle, une copie a été adressée à l’industriel (Terumo). S’il le juge nécessaire, le CLMV peut être amené à préconiser des mesures conservatoires locales temporaires (par exemple : mise en quarantaine, suspension de l’utilisation de l’équipement ou diffusion de recommandations). S’agissant ici d’un incident ponctuel, le CLMV n’a pas mis en œuvre de mesures conservatoires particulières.

• La récupération du DM en cause, ainsi que la connaissance de la dénomination commerciale, du modèle, de la référence, du lot et du nom du fabricant du dispositif, sont des conditions de base pour identifier avec précision le DM impliqué dans l’incident. Il convient également de conserver en l’état les prothèses ayant fait l’objet d’une explantation dans des conditions de conservation aptes à en permettre l’expertise. Ainsi, l’oxygénateur incriminé a pu être conservé pour expertise par le fabricant.

Des compléments d’information peuvent aussi être demandés au déclarant. Dans le contexte de l’incident qui s’est produit, Terumo a demandé (lire p. 42) un certain nombre de précisions (type d’intervention, nécessité de transfusion, temps de céphaline activée, antécédents du patient…). La rapidité du recueil d’informations est essentielle car ces dernières sont beaucoup plus difficilement récupérables à distance de l’incident.

• L’oxygénateur incriminé a pu être testé par Terumo sur différents critères techniques. Ainsi, les résultats du test des transferts des échanges gazeux ont montré des résultats conformes aux spécifications de l’usine et aucune non-conformité n’a été détectée pour les transferts de gaz. À la lumière de ces résultats, l’origine du problème n’a pu être déterminée avec certitude.

→ Pour renforcer la vigilance en matière de sécurité sanitaire et simplifier les démarches de signalement, et comme prévu par la loi de modernisation de notre système de santé, un site permet aux usagers de signaler directement en ligne aux autorités sanitaires tout événement indésirable ou tout effet inhabituel ayant un impact négatif sur la santé. Ce site est ouvert depuis le 13 mars 2017(1).

→ Pour les incidents majeurs, un rapport final standardisé (de type Meddev)(2) est transmis à l’ANSM par le fabricant sous soixante jours, ce qui permet de suivre l’expertise. Dans le cas clinique, le formulaire a été reçu par le CLMV mais sa transmission auprès de l’établissement déclarant n’est pas obligatoire. Pour les autres incidents, on peut constater des délais supérieurs à six mois. Ces délais longs peuvent être des freins significatifs à la déclaration.

Le fait de signaler un incident ne doit jamais être interprété comme une prise de responsabilité pour l’incident et ses conséquences. À l’inverse, des sanctions lourdes peuvent être infligées en cas d’abstention de signalement pour tout personnel de santé ayant eu connaissance d’un incident, ou risque d’incident, ayant entraîné la mort ou la dégradation grave de l’état de santé du patient : emprisonnement de quatre ans et/ou amende de 45 000 € (art. R. 5461-1).

La décision de l’ANSM

En lien ou non avec l’industriel, l’ANSM va décider de mesures correctives temporaires ou définitives, allant de la publication de recommandations à la décision de police sanitaire avec suspension de commercialisation. Dans notre exemple, Terumo a réalisé quelques rappels de bon usage, qui font principalement référence à la notice d’utilisation du circuit de CEC, à savoir augmenter le débit du gaz et ne pas utiliser ce dispositif médical sur des durées supérieures à six heures. À ce jour, l’ANSM a clôturé cet incident de matériovigilance. Une veille et un suivi statistique sont assurés sur cette référence à l’échelon national.

2. DES RÈGLES DE TRAÇABILITÉ SPÉCIFIQUES AUX DISPOSITIFS MÉDICAUX

La matériovigilance comporte (art. R. 5212-36 du CSP), pour les DM dont la liste est fixée par arrêté du ministre de la Santé, des règles de traçabilité spécifiques, depuis leur réception dans l’établissement jusqu’à leur utilisation chez le patient (décret n° 2006-1497 du 29 novembre 2006). Ces DM correspondent, dans la grande majorité des cas, à des implants ou prothèses. Ainsi, dans notre exemple, les circuits de CEC ne sont pas directement concernés.

Depuis la publication dans les médias de plusieurs scandales sanitaires avec certains implants (prothèse mammaire PIP, implant stérilisation tubaire Essure, « Implants files »…), cette réglementation et les règles de traçabilité associées trouvent ici plus que jamais leur justification.

→ Ces règles ont pour objet de permettre d’identifier rapidement :

– les patients pour lesquels les DM d’un lot ont été utilisés, par exemple en cas d’alerte sanitaire (matériovigilance descendante) ;

– les lots dont proviennent les DM utilisés chez un patient, en cas de constatation d’un incident grave de matériovigilance (matériovigilance ascendante).

→ Le représentant légal de l’établissement fixe une procédure écrite (art. R. 5212-37), après avis de la Commission du médicament et des dispositifs médicaux, décrivant les modalités selon lesquelles les données nécessaires à la traçabilité sont recueillies, conservées et rendues accessibles. Les données sont conservées pendant une durée de dix ans. La durée de conservation est portée à quarante ans pour les DM incorporant une substance qui, si elle est utilisée séparément, est susceptible d’être considérée comme un médicament dérivé du sang.

→ Le pharmacien, (art. R. 5212-38) chargé de la gérance de la pharmacie à usage intérieur, enregistre l’ensemble des données suivantes relatives à la délivrance des DM :

– identification de chaque dispositif médical : dénomination, numéro de série ou de lot, nom du fabricant ou de son mandataire ;

– date de la délivrance du DM au service utilisateur ;

– identification du service utilisateur.

Ces données sont transmises au service utilisateur lors de la délivrance du DM.

→ Enfin, à l’issue des soins, l’établissement doit porter dans le dossier médical du patient (art. R. 5212-40) un document mentionnant (art. R. 5212-42) : l’identification du dispositif médical, la date d’implantation et le nom du médecin utilisateur.

Un nouveau règlement européen 2017/745, publié le 5mai 2017, va entrer en application dès le 26mai 2020 et renforcera encore les exigences de la mise sur le marché, et notamment la matériovigilance. Une base européenne sera mise en place avec obligation faite aux fabricants de produire des résumés périodiques de sécurité. Elle va permettre de vérifier facilement la régularité de la présence sur le marché d’un produit donné et, enfin, de donner accès à des informations sur les produits, avec un résumé des caractéristiques pour les DM de classe III, classe la plus à risque. Cette base sera accessible par tous, y compris par le grand public.

X.A.

1- Voir : http ://social-sante.gouv.fr/grands-dossiers/signalement-sante-gouv-fr

2- Le guide Meddev 2.12/1 « rev. 8 medical devices vigilance system » et les autres guides Meddev sont accessibles sur le site : bit.ly/2Q6KQZn

REPÈRES

Qu’est-ce qu’un incident grave ?

Tout effet indésirable qui peut entraîner :

→ une incapacité permanente ou importante, une hospitalisation ou une prolongation d’hospitalisation ;

→ la nécessité d’intervention médicale ou chirurgicale ;

→ une malformation congénitale ;

→ la menace du pronostic vital ;

→ le décès du patient ;

→ tout effet indésirable jugé comme tel par le professionnel de santé.