Défaut d’oxygénation en CEC - L'Infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 406 du 01/07/2019

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

FABRICE BERGER IDE*   MANUELLE PANCZER**  


*perfusionniste en CEC, hôpital Bichat, HUPNVS, AP-HP
**ingénieur biomédical, direction des achats, Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS), AP-HP

Lors d’une intervention nécessitant une circulation extracorporelle (CEC), l’équipe est confrontée à une dégradation de l’oxygénation du patient. Un événement indésirable à déclarer et analyser dans le cadre de la matériovigilance des dispositifs médicaux.

L’INTERVENTION

Un patient présente un rétrécissement aortique calcifié et un anévrisme de l’aorte ascendante. Le traitement chirurgical proposé est une intervention de Bentall(1), qui consiste à remplacer l’aorte ascendante, ainsi que la racine et la valve aortiques. Durant l’intervention, une CEC sera nécessaire pour remplacer les fonctions du cœur et du poumon.

→ 9h20 : le chirurgien incise la peau, pratique une sternotomie, ouvre le péricarde et installe les canules de CEC afin d’assurer une bonne perfusion et oxygénation de l’organisme. L’héparinisation du patient au moment de la canulation aortique assure la prévention de toute thrombose du circuit lors de la CEC.

→ 10h39 : mise en route de la CEC. Le contrôle des paramètres montre l’absence de surpression sur la ligne artérielle à la sortie de l’oxygénateur, une pression artérielle moyenne du patient correcte et stable. Les réglages de la ventilation de la membrane sont à 2,7l/min d’un mélange air/oxygène, avec un taux de 60 % d’oxygène.

→ 10h40 : le perfusionniste constate un défaut d’oxygénation, confirmé par une saturation veineuse en oxygène (SvO2) à 60 %. La FiO2 est augmentée à 100 %, le chirurgien et l’anesthésiste sont informés.

→ 10h42 : clampage de l’aorte. La SvO2 est à 74 % :

– pas de problème particulier identifié sur la CEC ;

– profondeur de l’anesthésie et curarisation correctes.

Le chirurgien décide de poursuivre l’intervention :

– arrêt de la ventilation ;

– clampage de l’aorte et mise en place de la procédure de protection myocardique par cardioplégie. Le cœur est arrêté et cesse d’être perfusé par la CEC ;

– incision de l’aorte pour accéder à la valve aortique.

→ 10h50 : prélèvement d’une gazométrie artérielle avec ventilation à 100 % d’oxygène. PaO2 : 128 mmHg, Hb : 10,9 g/dL, lactate : 2,2, démontrant une anomalie dans l’oxygénation par la CEC, mais sans conséquence pour le patient.

→ 11h44 : chute de la SvO2 à 69 % alors que la CEC est à 105 % de son débit théorique, avec une anesthésie du patient efficace (index bispectral à 38).

→ 11h48 : augmentation du débit de la CEC à 115 %, avec FiO2 à 100 %, sans amélioration de la SvO2. Prélèvement d’un gaz du sang qui confirme la dégradation de l’oxygénation du patient durant la CEC (PaO2 à 60 mmHg, pCO2 à 48,4 mmHg).

→ 11h49 : médecin anesthésiste et chirurgien prévenus. Procédure de recherche de défaut d’oxygénation :

– branchement de la ligne de gaz sur une bouteille d’O2, qui met en évidence que le problème ne provient pas de l’alimentation en gaz de la CEC ;

– suppression du filtre sur la ligne de gaz ;

– augmentation du débit de gaz à 4l/min ;

– FiO2 maintenue à 100 %.

→ 12h09 : l’anesthésiste et le perfusionniste constatent une augmentation de l’oxygénation depuis 11h50 avec une SvO2 à 83 % et une PaO2 à 99 mmHg.

La décision est prise conjointement avec le chirurgien, compte tenu des « bénéfices/risques », de continuer avec le même circuit de CEC, de ne pas effectuer un changement d’oxygénateur.

→ 12h31 : reprise de l’assistance ventilatoire du patient et début de la procédure de sevrage de la CEC.

→ 12h41 : le prélèvement d’une gazométrie artérielle montre une PaO2 à 380 mmHg et une pCO2 à 33,1 mmHg, confirmant, par l’amélioration de l’oxygénation depuis la reprise de la ventilation, que le défaut d’oxygénation était lié à l’oxygénateur.

→ 12h44 : arrêt de la CEC.

L’oxygénateur, la ligne de gaz et le filtre sont isolés et conservés par la pharmacie. Une procédure d’événement indésirable est alors déclenchée par le perfusionniste.

F.B.

APRÈS L’EIG

La matériovigilance fait partie intégrante du dispositif de sécurité sanitaire en place dans les établissements de santé. De fait, elle impose à tout professionnel qui constate un incident grave impliquant un dispositif médical de le déclarer. Dans le cas clinique présenté en exemple, l’IDE perfusionniste a réalisé la déclaration à l’aide de l’outil en ligne Osiris (Organisation du système d’information des risques, lire p. 39).

Le correspondant local de matériovigilance (CLMV) prend alors le relais pour la suite de la procédure et des investigations (lire p. 40).

1. QUE FAIRE EN ATTENDANT LES RÉSULTATS DES INVESTIGATIONS ?

La première réaction, en vertu du principe de précaution, serait de suspendre l’utilisation du dispositif médical (DM) suspect jusqu’à ce que la cause du problème soit identifiée et que les actions correctives soient mises en œuvre. Toutefois, ces investigations et leurs conséquences prennent souvent plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

C’est pourquoi, en raison de l’obligation de permanence des soins, la substitution immédiate du produit incriminé par un autre dispositif équivalent, ou en tout cas correspondant au besoin, doit être effectuée. S’engage alors une course contre la montre !

Un produit compatible… mais plus cher ?

En effet, il faut faire appel aux fournisseurs susceptibles de proposer des produits équivalents, ce qui sous-entend d’une part d’avoir vérifié que le produit de substitution pressenti convienne au besoin, et d’autre part, de connaître la quantité à fournir pendant la durée envisagée de suspension d’utilisation du dispositif médical. La vérification de l’adéquation au besoin relève de la mission du pharmacien ou de l’ingénieur biomédical, qui s’appuient alors sur la documentation technique du produit, sa notice d’utilisation, son certificat de marquage CE, mais aussi sur une vérification de la compatibilité avec les autres dispositifs et, d’une manière générale, l’environnement du DM. En cas de doute sur ces derniers points, on peut demander un spécimen pour vérification en situation réelle. Une fois le produit de substitution identifié et validé, une offre de prix est demandée au fournisseur avec lequel la négociation peut débuter. Bien évidemment, la situation d’urgence et l’absence de mise en concurrence ne facilitent pas la négociation et il faudra s’attendre à un prix supérieur à celui du produit initial, d’autant que l’incertitude sur les délais de suspension, et donc le volume de commandes, constitue un facteur aggravant.

La substitution en urgence du produit initial n’est donc pas aussi anodine qu’il semblerait. Dans le cas le plus favorable, on parviendra à une solution dans un délai raisonnable de quelques heures. Toutefois, la tâche peut s’avérer plus ardue dans certains cas. En effet, certains DM n’ont pas d’équivalent car ils relèvent d’une technologie brevetée. Il faudra alors trouver un dispositif de substitution rendant à peu près le même service que le premier. Dans ce cas, les utilisateurs doivent être avertis et formés quant aux différences entre les deux dispositifs.

Quand le produit n’a pas d’équivalent

La situation peut devenir complexe si le dispositif incriminé est “captif” d’un équipement ou d’autres dispositifs, c’est-à-dire que seul ce dispositif et aucun autre ne peut fonctionner avec l’équipement ou le dispositif médical. Dans ce cas, il faut envisager la substitution de l’ensemble, comme dans le cas clinique précédemment présenté (voir encadré ci-dessous). Un équipement neuf n’étant jamais disponible immédiatement, on sollicitera auprès du fournisseur de substitution un ou plusieurs équipements de prêt, avec des difficultés non négligeables, d’autant qu’il faudra prévoir la mise en service de l’équipement et la formation des utilisateurs.

La situation peut devenir très tendue également si le fournisseur de substitution ne peut pas procurer la quantité voulue. Il faudra alors solliciter plusieurs fournisseurs. Les stocks des industriels étant soigneusement calculés a minima et l’ajustement des capacités de production ne pouvant être immédiat, il n’est pas impossible que la quantité souhaitée ne puisse être fournie au global par tous les industriels. En règle générale, on n’en arrive pas là pour un incident isolé mais, lorsque la situation est similaire pour tous les hôpitaux européens voire mondiaux, elle peut vite dégénérer (voir encadré ci-dessous)

Position intermédiaire

Par conséquent, avant de suspendre l’utilisation du DM incriminé, il conviendra d’en bien mesurer l’impact et la faisabilité. Ainsi l’acheteur expert (pharmacien, ingénieur biomédical) et le correspondant local de matériovigilance devront évaluer le risque de poursuite d’utilisation du DM suspecté au regard des risques liés à la substitution par un nouveau produit. C’est pourquoi, bien souvent, une position intermédiaire est adoptée, consistant à suspendre l’utilisation du lot auquel appartient le DM suspecté.

2. ACHAT DE PRODUITS : LES PISTES D’AMÉLIORATION

Le règlement de la commande publique qui s’impose à toute la fonction publique, permet, en cas de recherche de produits de substitution, de gagner un temps précieux. Bien que souvent considéré comme une lourdeur administrative, le règlement de la commande publique peut se révéler fort utile et, en tout cas, facilitateur dans ces circonstances. En effet, la procédure d’appel d’offres permet d’identifier les fournisseurs de manière exhaustive (tous, à l’exception de ceux qui ne souhaitent pas soumettre une offre et ceux qui n’ont pas eu connaissance de la consultation). Les dossiers techniques demandés permettent de disposer de toutes les informations techniques sur les produits. En ce qui concerne les appels d’offres menés par l’AP-HP, il est demandé aux candidats de fournir des spécimens des produits, qui sont conservés dans une « échantillothèque ». Les dispositifs sont également testés techniquement (selon l’outillage nécessaire) en laboratoire d’essais et en situation clinique dans les services utilisateurs. Les résultats des différents essais et l’analyse des prix conduisent au choix du dispositif présentant le meilleur rapport qualité/prix.

Toutes les informations colligées constituent un bénéfice secondaire non négligeable en cas d’incident lié au produit retenu. En effet, non seulement la recherche d’un produit de substitution sera facilitée mais certaines dispositions du règlement de la commande publique permettront d’éviter les surcoûts. En effet, l’exécution aux frais et risques du titulaire défaillant permet de recourir au fournisseur du choix de l’acheteur en passant avec lui un marché sans formalité préalable, la différence de prix éventuelle entre le produit de substitution et le produit suspect étant prise en charge par le titulaire défaillant.

Le règlement de la commande publique permet aussi de mener des appels d’offres multi-attributaires. On dispose alors de deux fournisseurs ou plus pour couvrir un même besoin, la répartition des montants attribués à chacun devant être précisée et respectée. Si cette disposition paraît séduisante pour pallier les ruptures d’approvisionnement, elle s’avère particulièrement inefficace au plan économique, en raison de l’émiettement du chiffre d’affaires entre plusieurs titulaires. Une autre solution pourrait être d’exiger des fournisseurs la constitution d’un stock de sécurité dont ils risquent de répercuter les frais. En tout état de cause, il est important que l’acheteur soit attentif à la localisation et au nombre de centres de production. Un groupe de travail portant sur les ruptures d’approvisionnement en DM et DMDIV (dispositif médical de diagnostic in vitro) a été constitué récemment par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), réunissant des représentants des établissements de soins et des industriels.

En parallèle de ces travaux, il est conseillé aux hôpitaux d’analyser les risques selon la méthode Amdec (analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité) et de trouver des solutions palliatives, au moins pour les dispositifs médicaux les plus critiques.

M.P.

1- Kostantinos Zannis, Jean-François Deux, Boyan Tzvetkov, Kuniki Nakashima, Daniel Loisance, Alain Rahmouni, Matthias E.W. Kirsch, « Bentall bioprothétique : remplacement de l’aorte ascendante par une bioprothése sans armature prolongée par une tube en dacron. Résultats à court terme ».

À consulter sur : www.sfctcv.net/ftp/journal/jo_2009_3_04.pdf

OXYGÉNATEUR TERUMO BCT

Une substitution impossible

L’oxygénateur est donc un élément constitutif du circuit de CEC. La particularité des circuits de CEC est qu’ils peuvent être produits par les fournisseurs à façon selon le diamètre des tubulures, leur matériau, le type d’oxygénateur souhaité, les éléments supplémentaires comme les filtres artériels et veineux, les capteurs pour le monitorage en ligne des gaz du sang, un éventuel circuit de cardioplégie. La fourniture de circuits stériles, préconnectés, constitue un net progrès quant à l’hygiène et la facilité de montage des circuits. Néanmoins, en cas d’incident mettant en cause tout ou partie du circuit, la substitution par un produit identique ne sera donc pas possible. On ne pourra s’approvisionner qu’avec un circuit similaire mais non identique ; charge aux utilisateurs d’adapter leur technique. De plus, la fourniture de produits à façon présente davantage de risque de rupture d’approvisionnement que la fourniture de dispositifs sur catalogue.

PÉNURIE MONDIALE

Le cas des sondes de température Smiths

La société Smiths medical n’a pas obtenu le renouvellement en temps voulu du marquage CE des sondes de température. Face à l’impossibilité de Medtronic, pourtant géant de l’industrie biomédicale, à fournir les quantités requises et l’impossibilité de parvenir à satisfaire les besoins en ajoutant les quantités de tous les autres fournisseurs potentiels, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a été contrainte d’autoriser Smiths à fournir les sondes non marquées CE, dans l’attente de l’obtention du nouveau certificat. Cette situation, jusque-là inédite, risque de se reproduire, compte tenu de la mise en place du nouveau règlement européen et de la diminution du nombre d’organismes notifiés.

SYSTÈME INFORMATIQUE

Comment traiter l’événement indésirable ?

Au sein des établissements de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’un des axes forts de la politique de gestion des risques est l’outil de déclaration des événements indésirables Osiris(1). Explications.

La gestion et le pilotage de l’outil informatique Osiris, mis en place à l’AP-HP, sont assurés par la direction qualité-gestion des risques du groupe hospitalier. La stratégie de déclaration repose sur l’identification des événements qui ont, ou qui auraient pu, avoir un impact sur la sécurité ou sur la qualité de la prise en charge des patients. L’outil est accessible via un ordinateur en réseau au sein de l’établissement et tout professionnel peut ouvrir une fiche EI.

→ Osiris est articulé autour de quatre typologies de déclaration : « activités médicales et de soins », « organisation des soins-relations avec le patient », « vie hospitalière » et « vigilances ». Pour chacune de ces quatre typologies, plusieurs sous-thématiques sont possibles, toutes en lien avec l’activité de l’établissement.

La déclaration peut donc décrire un événement relatif à une activité de soin stricte (soins médicaux, actes chirurgicaux, médicaments, examens de laboratoire, prise en charge de la douleur, etc.), mais aussi avec l’environnement de la prise en charge du patient (difficultés d’hospitalisation, transport interne, restauration, logistique, outils informatiques, traitement de l’air, etc.).

→ Le référent qualité-gestion des risques du site prend connaissance de l’ensemble des déclarations.

En revanche, compte tenu du nombre de déclarations, l’articulation de leur gestion s’appuie sur un réseau de gestionnaires d’événements dont l’expertise est rattachée à une thématique.

Ceux-ci s’approprient et gèrent les fiches qui leur sont communiquées, à charge pour eux d’apporter une réponse en lien avec le déclarant et l’encadrement du service. La gestion et le suivi des événements indésirables graves (EIG) font l’objet d’un traitement particulier.

Ce traitement est assuré par le référent qualité-gestion des risques du site qui va hiérarchiser son action sur ces déclarations. Tout événement décrivant une situation dont la survenue a eu des conséquences graves sur un ou plusieurs patients est traité en bureau d’étude et analyse (BEA).

Par « conséquence grave », la Haute Autorité de santé définit un événement inattendu qui a entraîné la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent, la mise en jeu de son pronostic vital immédiat ou qui a entraîné son décès(2).

Constitué de représentants de la direction, de la direction qualité, direction des soins, du médecin médiateur et relations avec les usagers, ce bureau classe les événements identifiés selon la gravité et la définition de la Haute Autorité de santé. Tout événement identifié comme grave fait l’objet d’une demande d’analyse sous forme de REX (retour d’expérience) ou RMM (revue mortalité-morbidité), d’une déclaration à l’ARS selon les modalités exigées par l’agence, ainsi que d’un suivi du plan d’actions.

L’organisation du traitement des événements indésirables est un travail de cohésion entre les différents acteurs. L’amélioration de la gestion et du suivi des événements indésirables contribue à l’amélioration de la qualité de la prise en charge du patient, à garantir sa sécurité et celle des professionnels.

Dr Marie-Pierre Dilly, directrice qualité-gestion des risques-droits des patients, et Anne Rappaport, ingénieur biomédical en charge de la qualité-gestion des risques, hôpital Bichat, HUPNVS, AP-HP

1- Organisation du système d’information des risques.

2- Décret n° 2016-1606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins et aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients.