PSYCHIATRIE : COMMENT SORTIR DU MARASME ? - L'Infirmière Magazine n° 405 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 405 du 01/06/2019

 

POLITIQUE SANTÉ

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

ADRIEN RENAUD  

Grèves à répétition, sous-financement chronique, image négative… La psychiatrie est le parent pauvre de notre système de santé. Le gouvernement montre un certain volontarisme pour sortir de cette situation, mais la profession reste dans l’expectative.

Frank Bellivier

« Une refonte complète du mode de financement »

Beaucoup estiment que la psychiatrie est un secteur sinistré. Est-ce aussi votre diagnostic ?

« Sinistré » me paraît être un terme assez adapté, même si la réalité de terrain est variable d’un endroit à l’autre. Il y a en tout cas un sujet de préoccupation tout à fait objectif, signalé à la fois par les patients, les familles et les soignants. Les restrictions budgétaires de ces dernières années ont concerné l’ensemble du système de soins, mais elles ont touché particulièrement la psychiatrie, ce qui a mené à la situation de gran-de tension que nous connaissons.

Face à ce diagnostic, quels sont les principaux axes de la feuille de route que vous êtes chargé de mettre en œuvre ?

Cette feuille de route a fait l’objet d’une large concertation et s’articule autour de trois axes principaux. Le premier concerne les stratégies de prévention sur de grands sujets de santé publique comme le suicide ou le bien-être au travail, l’idée étant de pouvoir intervenir au plus tôt. Le deuxième axe est centré sur les parcours de soins : nous voulons une meilleure coordination, en particulier pour les patients qui ont des troubles chroniques. Le troisième axe, enfin, vise à améliorer la position sociale du patient porteur d’une pathologie psychiatrique : accès au logement, lutte contre la désocialisation, etc.

Aurez-vous les moyens financiers de donner vie à ces objectifs ambitieux ?

La question des moyens est récurrente. Agnès Buzyn a annoncé d’importants dégels de lignes budgétaires pour cette année et pour l’année prochaine. Mais nous comptons également sur une refonte complète du mode de financement de la psychiatrie. Aujourd’hui, les territoires sont diversement financés, avec de fortes inégalités entre les structures. L’enjeu principal, à mon sens, est donc la réactualisation des projets de soin, en ambulatoire ou en hospitalier. C’est ce qui va déterminer la manière dont les financements supplémentaires vont se déployer.

Plus concrètement, sur quels critères va s’opérer la refonte du mode de financement que vous annoncez ?

Le premier critère est un critère populationnel. La carte démographique a beaucoup bougé, il est donc nécéssaire d’actualiser la dotation en fonction du nombre d’habitants, mais aussi des structures d’âge, des niveaux de précarité, etc. À côté du critère populationnel, il y a des compartiments annexes, qui sont la partie incitative modulable : typologie des files actives, démarche qualité, etc. Il faut bien comprendre que les 37 actions de la feuille de route seront mises en œuvre de manière adaptée aux spécificités de chaque région et de chaque structure.

Quelle sera votre méthode ?

Je dois constituer une petite équipe autour de moi, pour travailler à temps plein sur l’accompagnement. Les grandes directions du ministère, les ARS(1) et différentes commissions sont déjà au travail, et l’un des enjeux sera de faire le pont avec tout ce qui existe déjà. Et je compte bien identifier les forces constructives au sein de la communauté psychiatrique afin de faire avancer la feuille de route dans chaque territoire.

Jean-Paul Lanquetin

« Sans grande loi pour la psy, aucune avancée durable »

Diriez-vous que la psychiatrie se trouve en état d’urgence ?

Il ne s’agit pas d’une urgence mais d’un problème structurel de fond. Regardons l’histoire de ces vingt dernières années : en 2003, les états généraux de la psychiatrie dressent le constat d’une psychiatrie qui va mal. En 2004, le double meurtre de Pau vient, de manière effroyable, rappeler certaines réalités de la psychiatrie. S’ensuit un plan psychiatrie dit « d’urgence », renouvelé pour 2011-2015. La réalité, c’est la tension permanente, la tentation sécuritaire, ce qui ne doit pas faire oublier qu’il y a beaucoup de secteurs où il se passe des choses intéressantes.

Les dernières annonces du gouvernement vous semblent-elles à la hauteur des enjeux ?

En quarante ans de métier, j’ai lu 26 rapports sur la psychiatrie ; je me fie aux actes, pas aux annonces. Dans les années 1980, nous devions prendre le virage du secteur. Dans les années 1990, le virage de l’extra-hospitalier avec le CMP(1) pivot. Dans les années 2000, le virage des territoires. Enfin, dans les années 2010, le virage ambulatoire. De virage en virage, on finit par tourner en rond. J’estime que sans grande loi de santé pour la discipline, on n’obtiendra pas d’avancées durables.

Quel devrait, selon vous, être le contenu d’une telle loi ?

Les sujets à aborder sont nombreux. Je pense qu’on doit notamment continuer à réduire les recours excessifs à l’isolement et à la contention. Par ailleurs, il n’y a jamais eu de grande orientation sur la répartition des moyens entre l’ambulatoire et l’hospitalisation temps plein. Or, il arrive un moment où l’ambulatoire devient la variable d’ajustement de l’hospitalisation.

Diriez-vous que le problème de la psychiatrie est avant tout un problème de moyens ?

Dire que nous manquons de moyens est une manière de mettre tout le monde d’accord et d’éviter de parler du fond. Des moyens, bien sûr qu’il en faut, mais où et pour quoi faire ?

L’attribution de plus de moyens ne permettrait-elle pas de renforcer l’attractivité de la psychiatrie auprès des infirmières ?

Même s’il reste des endroits en forte difficulté, nous ne sommes plus dans la situation de pénurie d’infirmières que nous avons connue par le passé. Et je tiens à dire que la psychiatrie a également des atouts aux yeux des soignants, notamment la qualité de l’accueil qu’ils reçoivent au sein des équipes et le fait qu’il s’agit d’un domaine où le temps de la relation avec les patients reste central.

La création prochaine des infirmières de pratique avancée (IPA) en psychiatrie est-elle également un facteur d’attractivité ?

Oui, pour la première fois depuis vingt-cinq ans et la fin de la formation spécifique pour les infirmiers en psychiatrie, ceux-ci vont avoir la possibilité d’être reconnus pour ce qu’ils sont : des professionnels qui ont des compétences particulières. Et cela se fera dans le cadre d’un statut. Les pratiques avancées ouvriront par ailleurs à des professionnels ancrés dans leur champ disciplinaire la possibilité d’une gestion de deuxième partie de carrière qui n’existe pas actuellement : le seul choix qui s’offre aujourd’hui, c’est la formation de cadre, ce qui signifie s’éloigner de son métier d’origine.

1 - Agences régionales de santé.

1 - Centre médico-psychologique.

FRANK BELLIVIER

DÉLÉGUÉ MINISTÉRIEL À LA SANTÉ MENTALE ET À LA PSYCHIATRIE

→ 1996 : diplôme de docteur en médecine à Paris-Descartes

→ 2006 : nommé PU-PH au CHU de Créteil (94)

→ 2012 : responsable des services de psychiatrie et de médecine addictologique du groupe hospitalier Saint-Louis-Lariboisière-Fernand-Widal, à Paris

→ 2012 : co-dirige une unité Inserm sur les pathologies neuropsychiatriques

JEAN-PAUL LANQUETIN

RESPONSABLE DU GROUPE DE RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS (GRSI)

→ 1976-1978 : formation d’infirmier psychiatrique à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, à Lyon

→ 1987 : infirmier de secteur psychiatrique au CH de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône)

→ 2007 : cofondateur du GRSI, qui se donne pour mission de favoriser la recherche infirmière en psychiatrie

→ 2015 : travaille à temps plein pour la recherche au sein du GRSI

POINTS CLÉS

→ Les derniers mois ont vu se succéder des mouvements sociaux dans le secteur psychiatrique (hôpitaux du Rouvray, d’Amiens, du Havre…), mettant en lumière une situation de grande insatisfaction chez les professionnels, les patients et leurs familles qui dure depuis de nombreuses années.

→ Dès le mois de juin 2018, le gouvernement avait publié une « feuille de route » pour la psychiatrie.

→ Ce « plan global » liste 37 actions visant à « l’amélioration des conditions de vie, de l’inclusion sociale et de la citoyenneté des personnes vivant avec un trouble psychique », ainsi qu’à « l’amélioration de l’accès aux soins et aux accompagnements ».

→ Un geste accompagné d’un certain effort financier, avec l’annonce, en décembre, d’une enveloppe de 50 millions d’euros dédiée à la psychiatrie.

→ Pour mettre en musique la feuille de route, le Pr Frank Bellivier a été nommé délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie.