Les enfants d’abord - L'Infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019

 

DOSSIER

PARENTS HOSPITALISÉS

Ils sont en principe interdits d’hôpital. Dans les faits, les enfants viennent quand même rendre visite à leurs proches, mais leur accueil fait l’objet d’aménagements.

Les règlements des hôpitaux sont presque tous unanimes : pas d’enfant de moins de 12, voire 15?ans, dans l’établissement afin de limiter les risques sanitaires et de préserver la tranquillité des patients. Les équipes soignantes encouragent plutôt des rencontres à la cafétéria, dans des salons d’accueil, voire dans le parc de l’hôpital quand c’est possible. Mais bien souvent, ces règles sont ignorées et les enfants s’invitent malgré tout dans les couloirs des services. « Il nous arrive de devoir rappeler aux familles avec de jeunes enfants que l’hôpital est un lieu de calme », remarque Guylaine Payo, cadre du pôle cardiologie du CHRU de Nancy (54).

Maintenir le lien avec le parent

En réalité, les équipes elles-mêmes sont souvent “complices” de ce contournement du règlement. De fait, quand un parent est hospitalisé et se voit séparé de ses enfants, les soignants se trouvent face à un dilemme. « Certes, il y a un risque de contamination par les enfants, et pour les enfants, reconnaît Brigitte Bertotto, directrice des soins de l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris. Mais je crois qu’il faut parfois prendre des risques pour éviter les conséquences délétères d’un éloignement prolongé. » Afin de favoriser le bien-être du patient, les services s’arrangent pour qu’il puisse accueillir ses enfants dans sa chambre. « Même pour une suite de greffe, où les enfants sont en principe totalement interdits de visite, on peut s’arranger quand il s’agit d’une mère ou d’un père », explique Guylaine Payo.

De plus, permettre aux enfants de venir à l’hôpital apaise leurs angoisses, ce qui a également des répercussions sur le moral du parent-patient. « Pour les enfants, c’est la triple peine d’avoir un proche hospitalisé : leurs parents sont moins disponibles pour eux, ils passent plus de temps gardés par des voisins ou en collectivité et ils ressentent une grande inquiétude », remarque Émilie Valy, ancienne IDE et fondatrice de l’association Familien(1). Or, si on leur cache des choses ou si on ne leur permet pas de venir voir par eux-mêmes, leur imagination comble ce vide en envisageant des choses souvent pires que la réalité.

Des visites anticipées

Pour autant, ces visites enfantines nécessitent certains aménagements, pour que tout se passe pour le mieux. « La première chose à faire pour les soignants, c’est de demander au parent hospitalisé, en amont, s’il est à l’aise pour cette visite et quelles sont les informations qu’il a transmises à l’enfant, conseille Émilie Valy. Ensuite, quand l’enfant est là, ils peuvent le saluer en lui demandant son prénom et son âge. » Cet accueil, qui peut sembler anodin, est important pour un enfant : il se sentira reconnu, pris en compte. Il est aussi utile de lui expliquer quels gestes il peut faire avec son parent, surtout si celui-ci est perfusé ou sous oxygénothérapie : peut-il le serrer dans ses bras ? S’installer sur ses genoux ?

Les équipes ont rarement le temps de formaliser davantage la visite des enfants, mais elles demandent néanmoins à être prévenues. « On sera encore plus vigilant à ce que le patient soit présentable et à éviter la réalisation de soins qui pourraient être choquants pour ces jeunes visiteurs », détaille Guylaine Payot. L’association Familien a également édité un livret intitulé L’Hôpital, en vente en ligne et dans certaines librairies, adapté aux enfants de 3 à 6 ans. On y détaille l’environnement d’une chambre d’hôpital, l’importance de bien se laver les mains en arrivant et en repartant ou encore les différents métiers que l’enfant peut rencontrer. Plusieurs pages sont aussi réservées aux émotions de l’enfant. D’autres versions, axées sur des services spécifiques, sont en cours d’élaboration.

Accueil sur-mesure

Il arrive aussi que des services prennent très à cœur l’accueil des enfants et qu’ils mettent au point un protocole particulier. Ainsi, au CH de Morlaix (29), les enfants dont un parent est hospitalisé en réanimation sont reçus par une IDE et un médecin avant leur première visite. « Les soignants s’assurent que les enfants sont d’accord pour participer à cette visite et leur donnent quelques explications sur ce qu’ils vont voir dans la chambre et sur la pathologie. L’équipe prend vraiment le temps nécessaire pour que les enfants soient à l’aise, raconte Sandrine Paugam, cadre dans le service. Ensuite, ils les accompagnent jusque dans la chambre pour répondre encore aux éventuelles questions. » Cette organisation, très appréciable pour les familles, demande aux équipes une disponibilité particulière, et implique que tous adhèrent au projet.

« C’est dans la mission des soignants d’accompagner l’entourage », souligne Carol Savaris, cadre dans un établissement de soins psychiatriques. L’unité hospitalière qu’elle supervise n’est pas adaptée aux enfants, qui pourraient être exposés à la violence potentielle des patients, mais aussi aux manifestations cliniques choquantes de certains troubles mentaux. « Nous recevons quand même les enfants dont un parent est hospitalisé, mais uniquement quand l’état du patient est stabilisé, explique-t-elle. Parfois, nous demandons aux familles de différer leur visite. » Les visites se déroulent dans un lieu plus neutre de l’établissement, par exemple dans une salle mise à disposition. « Mais nous restons toujours disponibles pour répondre aux questions des enfants », ajoute Carol Savaris.

Petits-enfants, fratries, amis…

Cette proposition de lieux neutres assortis d’un accompagnement est aussi au cœur du projet de l’association Familien. « Nous avons imaginé des temps d’accueil patient-enfant : les établissements peuvent mettre une salle à notre disposition, sur un créneau précis, que nous aménageons avec des jeux et des livres afin de proposer aux familles un cadre plus agréable pour se retrouver, détaille Émilie Valy. Nous, membres de l’association, sommes à leur disposition pour répondre aux questions ou faciliter la communication, mais sans rien imposer. » Lors de ces temps d’accueil, l’association propose aussi de garder les enfants seuls pendant que les parents rendent visite à leur proche. Pour l’instant, ce volet de l’action de Familien peine à prendre son essor, alors qu’il répond à une demande des familles. En cause : le manque de moyens. « Nous développons un partenariat avec le médipôle de Lyon-Villeurbanne, qui vient d’ouvrir ses portes, et où nous devrions pouvoir proposer cet accueil prochainement », se réjouit Émilie Valy.

De nombreux services semblent donc avoir pris conscience de l’importance de préserver le lien parent-enfant pendant l’hospitalisation. Cette démarche d’ouverture commence même à s’élargir à d’autres relations. « Nous ne nous limitons pas aux relations filiales : à partir du moment où l’enfant est proche de la personne hospitalisée et souffre de son absence, il est le bienvenu », explique Sandrine Paugam. À Nancy, des visites de petits-enfants sont autorisées au cas par cas. « Quand on accueille un grand-parent qui tient ce rôle très à cœur, nous demandons à la famille s’il est possible d’organiser une visite avec les petits-enfants », précise Guylaine Payo. Et quand il s’agit d’inviter la fratrie en pédiatrie, un peu de préparation permet de faciliter ce moment. « En expliquant auparavant aux parents que cette visite sera plus centrée sur leurs autres enfants, leurs questions et leurs réactions, plutôt que sur l’enfant hospitalisé, on parvient à limiter le bruit et l’agitation », conseille Myriam Blidi, chargée de projet et de formation à l’association Sparadrap.

1 - Ressources sur le site de l’association : https://familien.fr