LA RECERTIFICATION, UN GAGE DE BONS SOINS ? - L'Infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 404 du 01/05/2019

 

LOI DE SANTÉ

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

HÉLÈNE COLAU  

La validation régulière des connaissances et pratiques, prévue par la nouvelle loi de santé, est plébiscitée par les représentants des différentes professions concernées. Toutefois, certains souhaitent que le processus aille encore plus loin.

Jean-François Thébaut

« Il y aura forcément des bénéfices »

Est-ce important de recertifier régulièrement les soignants ?

C’est une nécessité de garantir aux patients qu’ils ont affaire à des professionnels de santé de qualité, à jour des connaissances. En France, aujourd’hui, l’obligation de formation médicale continue est très modeste : il suffit de deux actions tous les trois ans, pour un total de vingt et une heures. On est loin des standards internationaux, de trente à cinquante heures de formation par an. Ce n’est pas tant l’actualisation des connaissances qui compte - même si des recommandations peuvent émerger - que l’adaptation aux nouvelles pratiques. On prône actuellement la pratique pluriprofessionnelle, le développement de la télémédecine… Mais personne n’y a été formé durant son cursus initial ! La recertification permettra d’accompagner ce changement.

Quelle forme pourrait prendre la recertification des IDE ?

Les modalités seront discutées avec les syndicats, l’ordre et les Ifsi, qui devront accroître leur offre. La question du financement, notamment, n’est pas réglée, même si, pour les salariés, il sera assuré par les employeurs dans le cadre du DIF(1). La commission Uzan n’a travaillé que sur les professions médicales, auxquelles elle préconise une recertification tous les six ans. Elle prendra en compte plusieurs facteurs : d’abord, la satisfaction aux obligations de DPC. Puis il faudra s’assurer que l’activité exercée est en adéquation avec la formation du professionnel - une IPA devra par exemple avoir bénéficié d’assez d’heures de formation. L’absence de signaux négatifs, comme une sanction disciplinaire ou pénale, sera aussi considérée. Enfin, l’accent sera mis sur la relation avec le patient, qu’on pourrait évaluer par des questionnaires, comme au Royaume-Uni. Ce dernier point inclut une attention à la QVT(2). Nous pourrions pour cela collaborer avec la médecine du travail, pour savoir si le professionnel est en bonne santé.

Vos recommandations ne vont pas assez loin, disent certains…

Nous n’avons remis qu’un pré-rapport, sans valeur législative. Les modalités d’application de la recertification seront précisées par les ordonnances. Nous n’avons pas prévu de sanction pour les professionnels qui n’effectueraient pas leur recertification, car nous étions davantage pour la négociation. Mais l’insuffisance professionnelle existe déjà, elle peut être déclarée par les ordres ! Nous avons aussi prévu que la recertification ne soit obligatoire que pour les professionnels qui s’installent dès 2021. Toutefois, nous tablons sur un fort taux de volontaires parmi ceux qui sont déjà en exercice : quand tout le monde est certifié, on ne veut pas rester sur le bord du chemin.

Là où elle est en place, la recertification a-t-elle amélioré la qualité des soins ?

Honnêtement, le bilan de 2018 au Royaume-Uni n’a pas mis en évidence d’amélioration notable. Mais sur le long terme, il y aura forcément des bénéfices, même s’ils ne sont pas faciles à montrer. Les re-présentants des professionnels de santé ne s’y trompent pas et ils sont très demandeurs de telles procédures, qui valorisent leur profession. La FNI(3) avait elle-même lancé, dès 2016, un label de qualité pour les cabinets…

Alain-Michel Ceretti

« Un coup d’épée dans l’eau »

Vous semble-t-il important de recertifier régulièrement les professionnels de santé ?

C’était une demande historique des associations de patients. En 2011, alors que nous travaillions sur la formation continue, nous avions constaté que les médecins pouvaient choisir leurs formations dans le cadre du DPC. Or, une question se pose : ont-ils suffisamment de recul pour identifier leurs propres carences ? N’auraient-ils pas plutôt besoin d’une évaluation externe de leurs éventuelles faiblesses, qui permettrait de mieux orienter leur DPC ? C’est pourquoi nous avons proposé que leurs connaissances soient évaluées régulièrement, tous les trois à cinq ans, au moyen d’un questionnaire à choix multiple élaboré par les sociétés savantes. Cela permettrait de vérifier qu’ils ont suivi, entre autres, les évolutions technologiques. C’est une mesure de bon sens, qui existe depuis longtemps dans l’aéronautique.

Aucune évaluation de ce type n’est préconisée par le rapport Uzan…

Pour moi, ce rapport, c’est un coup d’épée dans l’eau. La recertification, telle qu’elle est actuellement proposée, reviendrait à mesurer l’observance des professionnels de santé par rapport au DPC, sans évaluation préalable de leurs connaissances et faiblesses. Quand nous avons été entendus, on nous a dit que le principe du QCM serait trop contraignant, que c’était un « épouvantail »… Par ailleurs, il est très étrange de n’imposer la certification qu’aux nouveaux diplômés et pas à l’ensemble des professionnels ! Même si toute disposition en faveur du DPC est bonne à prendre, quitte à tout remettre sur la table, nous aurions souhaité un dispositif plus contraignant, au sens positif du terme. Car il ne faut pas oublier qu’être soignant, c’est un métier à risque : on a la vie des patients entre ses mains.

Le processus de recertification prévoit une meilleure prise en compte de la relation avec les patients. Était-ce une de vos demandes ?

Tout à fait. La prise en compte de l’expérience patient pour mesurer les résultats médicaux figure dans un rapport que j’ai remis en 2018 et devrait être effective d’ici à cinq ans. Jusque-là, seul le soin de l’« organe » était pris en compte pour évaluer le service médical rendu. Or, poser une prothèse de hanche ne suffit pas, il faut surtout que le patient réapprenne à marcher et retrouve une vie normale ! Sans cela, on perd le sens du soin et cela aboutit à une inadéquation entre l’engagement personnel du soignant et son évaluation par l’administration.

Les patients auront-ils leur mot à dire sur le contenu des ordonnances précisant les modalités de la recertification ?

Aucune nouvelle audition n’est prévue. Si nous sommes interrogés, nous donnerons notre avis, mais je pense que la forme choisie pour la recertification n’est pas la bonne et que tout ce qu’on pourra faire maintenant, c’est du rafistolage. Ça n’a pas de sens de nous intégrer dans un groupe de travail si c’est pour que nos recommandations ne soient pas prises en compte… Pour moi, c’est de la manipulation !

1 - Droit individuel à la formation.

2 - Qualité de vie au travail.

3 - Fédération nationale des infirmiers.

JEAN-FRANÇOIS THÉBAUT

CARDIOLOGUE, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DU DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU

→ 2004 : président du Syndicat national des spécialistes des maladies du cœur et des vaisseaux

→ 2008 : cofondateur du Conseil national professionnel de cardiologie

→ 2011-2017 : membre du collège de la Haute Autorité de santé (HAS)

→ 2016 : président du Haut Conseil du développement professionnel continu (DPC)

→ 2018 : participe à la mission Recertification présidée par le Pr Serge Uzan

ALAIN-MICHEL CERETTI

PRÉSIDENT DE FRANCE ASSOS SANTÉ, FÉDÉRATION DE 72 ASSOCIATIONS D’USAGERS

→ 1997 : crée le Lien, l’association de défense des patients et des usagers de la santé

→ 2004 : entre au conseil d’administration de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam)

→ 2006 : met en place une mission d’information sur la sécurité des soins au sein de la HAS

→ 2017 : prend la présidence de France assos santé

POINTS CLÉS

→ Le 19 mars dernier, les députés ont adopté à une large majorité l’article 3 de la loi de transformation du système de santé, qui autorise le gouvernement à instaurer par ordonnance l’obligation, pour les professionnels de santé, de faire recertifier périodiquement leurs compétences.

→ L’élargissement aux infirmières et à cinq autres professions de ce dispositif, préconisé pour les médecins dans un rapport remis en novembre 2018 par le Pr Serge Uzan, était une revendication des organisations professionnelles. Le rapport envisage une procédure à renouveler tous les six ans, qui « repose sur quinze à trente jours par an de formation (sous toutes ses formes) et moins de trois heures de collecte de données par an ».

→ L’ordonnance sur la recertification des IDE devra être publiée d’ici à deux ans, après concertation avec les représentants de la profession. Elle déterminera les conditions de la mise en œuvre du dispositif et de son contrôle, les conséquences en cas de méconnaissance ou d’échec de cette procédure et les éventuelles voies de recours.

Articles de la même rubrique d'un même numéro