Un suivi psychologique sur le long cours - L'Infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

NAZLI LEFÈVRE  

PSYCHOLOGUE CLINICIENNE AU CHU DE REIMS (51), SERVICE DE NÉPHROLOGIE ET TRANSPLANTATION RÉNALE

Nazli Lefèvre, psychologue, accompagne les patients destinés à recevoir une greffe. Car peurs et angoisses peuvent surgir, ou revenir, à tout moment de la prise en charge.

Psychologue depuis deux ans dans le service de néphrologie du CHU de Reims, j’interviens tout particulièrement en transplantation. Je suis amenée à effectuer une évaluation psychologique des patients, à les accompagner en attente de greffe, après la greffe ou en insuffisance rénale chronique (IRC) sur le greffon. Ma fonction est avant tout d’offrir un espace de parole et d’écouter, en toute bienveillance et sans jugement, la souffrance et les problèmes du patient. Je suis là pour entendre, au-delà des mots, ses maux, pour l’aider à y voir plus clair et construire autour des difficultés liées ou aggravées par la ou les maladies chroniques. Les difficultés des patients greffés peuvent concerner l’intégration du greffon, l’image du corps, l’observance du traitement, la prise en charge médicale, les modifications des habitudes de vie, les relations familiales, l’impact sur le travail, etc. Mais, très rapidement, ces problématiques laissent place à des questions plus anciennes.

La greffe, un vrai événement de vie

Ce n’est pas une révélation que de dire que la transplantation est un événement de vie extraordinaire, pour le patient et sa famille. Un événement à la fois espéré, mais aussi redouté. Le patient se réjouit de cette chance offerte par le don et, en même temps, ressent une peur parfois panique des conséquences de l’intervention. Cet événement vient s’inscrire dans une histoire de vie parfois jonchée d’épreuves, de zones de turbulences, voire de traumatismes et de troubles psychiques. Comment faire pour que la greffe, ou du moins l’intégration de la greffe, ne devienne pas, elle aussi, une épreuve traumatique ? Pour qu’elle ne réveille pas, par ailleurs, des éléments traumatiques refoulés ? Il est évident que certains événements sont imprévisibles et les réactions humaines restent singulières. Une greffe réussie n’est pas liée qu’au geste technique, précis et expert. Elle repose sur la prise en charge antérieure du patient, tout au long de sa maladie. Elle débute avec l’annonce et se poursuit par le travail de tous les intervenants aux différents stades de la maladie : médecins, infirmières d’éducation thérapeutique, aides-soignantes, assistante sociale, psychologue, kiné, accompagnement de la famille à comprendre la maladie de leur proche… La greffe est une technique de traitement mais tous les patients ne peuvent pas en bénéficier, ce que tous ont bien compris. « J’ai eu de la chance, parmi les copains de dialyse, je suis celui qui a été appelé… Je suis encore là, certains sont déjà partis… », estiment certains patients. D’autres attendent la greffe avec impatience au point « d’oublier » de vivre, d’occulter voire rejeter les autres options de traitement. Il faut alors accompagner le patient pour qu’il consente aux autres techniques en attendant la greffe. « Ce n’est pas juste, j’ai été appelée une fois, mais j’avais de la fièvre… J’étais malade, on n’a pas pu me greffer et depuis, je n’ai plus jamais été appelée et, aujourd’hui, je ne vis plus que dans cette attente… », déplorait une patiente. Elle a pu choisir sa technique de dialyse, après un accompagnement psychologique et une cohérence de posture de l’équipe médicale et soignante. L’approche étant de respecter son rythme et de la confronter progressivement avec sa réalité. Durant plusieurs mois, elle a pu investir dans son parcours de soin et de nouveau se projeter. Son projet de greffe est retardé à cause d’autres complications somatiques mais elle parvient à mieux faire face car elle se sait aujourd’hui mieux entendue et comprise dans ses craintes par l’équipe.

Des situations de stress à répétition

En tant que psychologue, je m’appuie sur toutes les ressources, celles du patient, de sa famille, et surtout sur l’équipe médicale et paramédicale. Le travail avec les IDE et les autres intervenants d’ETP permet une complémentarité de la prise en charge. La réponse apportée par chaque professionnel rassure la patient à deux niveaux : il est entendu en tant que sujet, il prend alors conscience d’une continuité dans sa prise en charge.

La greffe débute donc avant même l’intervention. Elle commence lors du parcours qui va permettre au patient d’être inscrit sur la liste : à chaque étape, ce dernier va attendre une sentence et donc être mis dans une situation renouvelée de stress. Cette répétition d’exposition à des situations de stress, qui portent finalement en elles un enjeu de vie, le fragilise progressivement. Cette angoisse est également réactivée en post-intervention, avec les visites de contrôle nécessaires. Celles-ci sont intellectuellement comprises par les patients mais elles restent difficiles car, à chaque fois, elles font ressurgir la crainte et l’angoisse de la perte du greffon. Ainsi que le retour vers une option de traitement qui a marqué négativement une majorité des sujets. Néanmoins, nombre de patients seront capables de résilience et parviendront à se réaliser dans leur vie dans une certaine mesure. D’autres y arriveront plus difficilement : nous jouerons alors auprès d’eux le rôle de tuteurs de résilience.

Trois grandes trajectoires

Parmi les patients qui m’ont été adressés, j’ai rencontré différents profils. Chaque histoire est unique et singulière mais on peut noter trois grands types de patients, selon leur maladie et la prise en charge :

– les patients ayant une maladie héréditaire et qui ont vécu la maladie d’un parent. Cette histoire familiale va teinter le vécu du patient, positivement ou négativement ;

– les patients dont l’IRC est la conséquence d’une autre maladie chronique. Cette superposition de maladies et contraintes va fragiliser le patient ;

– les patients qui sont subitement confrontés à une IRC. La prise en charge du choc et la sidération vont orienter la suite des événements et son inscription dans la vie du patient en fonction de la charge potentiellement traumatique.

À ces trois trajectoires de base, il faut ajouter les choix thérapeutiques, la technique de dialyse (hémodialyse, dialyse parentérale) et son vécu, une greffe antérieure. La première chose dont le patient greffé fait le constat est l’indépendance face à la machine que lui permet la greffe. Cette dernière a d’autres contraintes. Lors des entretiens psychologiques, les patients revisitent leur trajectoire en dialyse, ils se remémorent la mise en place de la fistule ou du cathéter. Ils évoquent les séances de dialyse, souvent les moments les plus difficiles, puis quelques anecdotes amusantes. Beaucoup redoutent d’avoir à y retourner. Certains, après la greffe, ne retournent plus dans les salles, évitent de croiser les autres patients. Moins cette période de vie a été vécue comme contraignante, moins le patient est fragilisé.

Le patient ayant bénéficié d’une greffe préemptive (avant le stade terminal) peut par exemple se dire : « Je n’étais pas malade et je suis malade maintenant. Je ne supporte pas cette douleur, tous ces médicaments, venir à l’hôpital toutes les semaines, j’ai l’impression de devenir fou, tout tourne autour de ce greffon, je ne vis plus…. Parfois je regrette ! Ce n’est pas juste car je sais que c’est une chance de ne pas avoir vécu la dialyse, que j’ai de la chance que ce rein soit pour moi, mais c’est trop dur tout ça pour moi, je n’étais pas prêt, je n’étais pas encore malade pour moi… Oui, j’étais fatigué, je ne pouvais plus faire certaines choses mais là, je n’ai plus de vie… »

Pour d’autres, la souffrance est générée par la complexité de l’intervention avec le risque d’un rejet, d’une thrombose, mais aussi d’un greffon qui ne se met pas “en route”, la déception, le désespoir, la douleur psychique et physique… À cela, il faut ajouter les combinaisons suivantes : la précarité, avec la suspension des aides en post-greffe, l’incapacité à retravailler dans son domaine antérieur, la solitude, les addictions, les épreuves de vie, les séparations et traumatismes infantiles, qui peuvent être réactivés par l’intervention… Les patients rencontrés sont reconnaissants envers le donneur et sa famille. Ils ont une pensée pour lui, notamment lors de l’anniversaire de la greffe, s’interrogent parfois sur qui il était, ce qui lui est arrivé… Ils évoquent également les équipes médicales et soignantes : la qualité du vécu du patient sera aussi déterminée par la qualité de la prise en charge et ce, tout au long de sa trajectoire de vie avec la maladie. Les équipes doivent être sensibilisées aux impacts psychologiques des techniques thérapeutiques. Mais elles sont aussi confrontées à beaucoup de souffrances et d’angoisses, et bien qu’elles soient bienveillantes et d’un grand professionnalisme, elles aussi peuvent avoir des moments difficiles qui nécessiteront un accompagnement.