LE TRANSPORT SANITAIRE COÛTE-T-IL TROP CHER ? - L'Infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 402 du 01/03/2019

 

RÉFORME

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

ADRIEN RENAUD  

La récente modification de la rémunération des ambulanciers a remis en lumière l’augmentation des dépenses de transport sanitaire, qui dure depuis de nombreuses années. Un secteur décidément très difficile à réformer.

Thierry Schifano

« Une réforme qui a été mal préparée, qui a engendré des dérives »

On a coutume de dire que le transport sanitaire est trop onéreux. Qu’en pensez-vous ?

Il faut prendre la question différemment. Il est vrai que nous avons aujourd’hui un taux de croissance assez élevé. Il s’agit de savoir si ces dépenses sont justifiées. Si oui, on ne peut pas dire que le transport sanitaire coûte trop cher. Si non, il faut prendre des mesures.

Et les croyez-vous justifiées ?

Au moins en partie, car certains éléments structurels poussent à la croissance. Tout d’abord, l’espérance de vie en mauvaise santé augmente, et il y a de plus en plus d’ALD (affections de longue durée, NDLR). D’autre part, les regroupements hospitaliers conduisent à avoir des établissements éclatés dans plusieurs sites, ce qui multiplie les besoins de transport. Enfin, l’augmentation de l’ambulatoire pousse à davantage de déplacements.

Malgré cette croissance, le secteur ne se porte pas bien…

Nos tarifs n’ont pas été revalorisés depuis 2008, ce qui fait que les marges des entreprises structurées, c’est-à-dire celles qui ont des ambulances et des VSL (véhicules sanitaires légers, NDLR), se situent autour de 1 %. Cette année, nous serions en moyenne déficitaires si le gouvernement n’était pas revenu sur la hausse des taxes sur le carburant. Il faut toutefois noter que les entreprises mono-véhicules se portent mieux.

N’y a-t-il pourtant pas des gisements d’économies ?

Si. Le transport sanitaire n’est pas assez bien organisé. Le taux de remplissage des véhicules est d’environ 40 %. Ceci est la conséquence de multiples dysfonctionnements. Les transports sont insuffisamment anticipés : il n’est pas rare qu’on nous appelle à 11 h 30 pour un transport qui doit être fait à 14 h, et qui est pourtant prévu depuis au moins quarante-huit heures.

On pourrait également gagner du temps en accélérant la dématérialisation : les ambulanciers patientent souvent une demi-heure pour faire les documents administratifs nécessaires à la sortie.

Faut-il que les médecins fassent plus attention à leur prescription de transport ?

Nous soutenons tout ce qui va dans le sens de l’optimisation. Mais il ne faut pas aller vers les dérives que nous connaissons aujourd’hui, où l’on a vu des médecins prescrire des transports assis pour des patients perfusés ou sous oxygène.

La réforme récente (voir encadré) vous semble-t-elle de nature à résoudre certains problèmes ?

C’est une réforme qui a été mal préparée, ce qui a engendré des dérives et des appels d’offres non conformes au code des marchés publics. Nous sommes actuellement dans un temps de pause de cette réforme, le temps que le gouvernement apporte des éclaircissements.

Quant à savoir si cette réforme est une bonne ou une mauvaise chose, je me bornerais à dire qu’on ne pouvait pas continuer comme avant. L’important est d’aller vers un nouveau modèle économique, qui doit porter ses fruits à la fois pour les entreprises, l’Assurance maladie et le patient. Nous avons besoin d’une réforme en profondeur, qui ne doit pas porter sur les seuls transporteurs.

Cyril Lopez

« Une réforme qui va dans le bon sens, au moins en ce qui concerne la finalité »

Vu de l’hôpital, le transport sanitaire est-il une dépense importante ?

C’est quelque chose qui coûte très cher, et c’est un sujet sur lequel tout le monde est conscient qu’il y a des dérives. C’est pourquoi la réforme qui confie la gestion de ce sujet aux établissements en lieu et place de l’Assurance maladie va dans le bon sens, au moins en ce qui concerne sa finalité. L’objectif est une meilleure utilisation des deniers publics.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces dérives ?

Avant cette réforme, qui est d’ailleurs en pause, lorsqu’un patient devait se rendre d’un hôpital A à un hôpital B, c’était l’établissement qui appelait une société d’ambulance, de taxi ou de VSL, et c’était l’Assurance maladie qui payait sur facture, sans avoir sélectionné l’entreprise. Cela pouvait inciter à généraliser le transport par ambulance, qui est plus cher que d’autres moyens (VSL, taxi…). Dès que les établissements paient, ils sont incités à mieux adapter le type de transport à l’état du patient.

Pourtant, malgré ces objectifs louables, la réforme a été critiquée, notamment parce que les établissements n’étaient pas préparés…

Il faut bien comprendre que certains établissements génèrent des dizaines, voire des centaines de courses par jour, ce qui fait autant de factures à gérer à la fin du mois. D’autre part, tous les hôpitaux n’ont pas encore les outils informatiques nécessaires à la régulation des transports sanitaires.

Les transporteurs, eux aussi, ont eu du mal à s’adapter…

Ils avaient l’habitude d’être payés en quarante-huit heures par l’Assurance maladie. Or, les hôpitaux paient cinquante jours après émission de la facture, ce qui peut causer des problèmes de trésorerie. Sans compter les investissements à effectuer pour adapter leur parc de véhicules à la hausse de la demande pour les transports moins chers, notamment le VSL. Ils doivent aussi s’adapter au code des marchés publics, qui se substitue à la règle du tour de rôle qui prévalait souvent avant et qui permettait de faire travailler tout le monde.

Les groupements d’acheteurs hospitaliers auxquels vous appartenez ont-ils des solutions sur cette question ?

Nous avons décidé de travailler sur le volet organisationnel. Nous proposons aux établissements de faire un audit, pour savoir quelle est leur logistique de transport de patients : partent-ils de zéro ? Ont-ils un logiciel ? Une fois cet audit réalisé, nous pouvons leur proposer la mise en place d’une solution et les accompagner dans cette direction. Cela peut concerner des discussions avec les transporteurs, ou avec les prescripteurs, pour qu’ils harmonisent leurs pratiques. Nous avons également un troisième volet, qui concerne l’accompagnement des établissements dans la mise en place de marchés publics pour le transport des patients.

Que va-t-il se passer dans le secteur les prochains mois ?

La réforme actuelle est en pause, elle n’est pas abrogée. L’idée est de laisser aux établissements le temps de s’organiser, et c’est justement pour cela que nous pensons que notre offre d’accompagnement donne aux établissements qui le souhaitent les outils nécessaires pour bien se lancer.

THIERRY SCHIFANO

PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRANSPORTS SANITAIRES (FNTS)

→ 1981 : débute dans le métier du transport sanitaire.

→ 2010 : président de la FNTS, l’un des principaux syndicats du secteur.

→ 2015 : président de l’Interpro santé Paca, une association qui fédère les entrepreneurs de santé de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

CYRIL LOPEZ

ACHETEUR TRANSPORT CHEZ UNIHA

→ 2007 : acheteur transport au CHU de Montpellier (34).

→ 2008 : coordinateur du groupement régional d’achats hospitaliers Resah Languedoc-Roussillon.

→ 2018 : acheteur au sein de la filière transport d’Uniha, coopérative nationale d’acheteurs hospitaliers publics.

POINTS CLÉS

→ Les dépenses de transport sanitaire représentent, selon les données de l’Assurance maladie de 2017, quatre milliards d’euros par an, sur un total de dépenses de 191 milliards.

→ Le taux de croissance de ces dépenses était alors de 4 % (contre un objectif de 2,1 % pour l’ensemble des dépenses d’Assurance maladie).

→ Les dépenses de transport inter-hospitalier (environ 40 % du total), autrefois directement réglées aux transporteurspar l’Assurance maladie, sont depuis l’automne prises en charge par les établissements.

→ La réforme a entraîné de nombreux dysfonctionnements, notamment dans la passation d’appels d’offres par les établissements (qui favorise ceux ayant la capacité d’y répondre) et des retards de paiement, les hôpitaux n’étant pas prêts à gérer cette tâche.

→ Agnès Buzyn a commandé en décembre un rapport sur ce sujet à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Ce dernier, remis en janvier, préconise de marquer une “pause” dans la réforme, ce que la ministre a fait dans la foulée.

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