Publier dans une revue : conseils pour se jeter à l’eau - L'Infirmière Magazine n° 400 du 01/01/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 400 du 01/01/2019

 

FORMATION

COMMUNICATION

Yvan Pandelé  

Les travaux de recherche en sciences infirmières tendent à se multiplier, mais publier pour la première fois dans une revue demande un peu de persévérance et une bonne dose de méthode. Voici comment aborder ce continent l’esprit serein.

En un siècle, l’infirmière est passée du statut d’auxiliaire médicale à celui de professionnelle de santé. L’émergence des sciences infirmières comme une discipline à part entière en est une des manifestations. Or, ce processus repose pour bonne part sur la capacité des infirmières à publier dans des revues, afin de construire des savoirs infirmiers propres. Pourquoi publier ? Les raisons de se lancer sont multiples. Pour réfléchir à sa pratique (lire témoignage p. 52) ou par goût de la transmission : publier une recherche est le plus sûr moyen d’en faire état au sein de la profession. Plus prosaïquement, les incitations à publier se multiplient à l’hôpital, via des dispositifs comme les programmes hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale(1) ou le système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques(2). Les mastérisants et doctorants sont aussi de plus en plus souvent amenés à publier leurs travaux.

Édition scientifique ou professionnelle ?

Le paysage de l’édition scientifique est complexe et décentralisé, en sciences infirmières comme ailleurs. Il convient de différencier les revues scientifiques, qui publient des articles de recherche soigneusement validés et calibrés, et les revues professionnelles, qui offrent une plus grande liberté de format et de ton.

→ Les revues à caractère scientifique : elles se caractérisent par la présence d’un comité de lecture, chargé d’évaluer les articles en fonction de leur qualité intrinsèque. Elles ont souvent un facteur d’impact (voir encadré ci-contre) et sont indexées dans des bases de données scientifiques, telles que :

• en anglais : PubMed pour le champ biomédical et Cumulative Index & Allied Health (Cinahl) pour les sciences infirmières ;

• en français : RefDoc (lié au CNRS), la Banque de données en santé publique(3), ou encore les bases d’éditeurs commerciaux Cairn et ScienceDirect.

Les revues de premier plan sont en anglais : The American Journal of Nursing (la plus ancienne), Evidence-Based Nursing (fondée sur les données probantes), The International Journal of Nursing Studies, et bien d’autres… Quelques revues scientifiques existent en français, comme Recherche en soins infirmiers (éditée par l’Arsi) ou La Revue francophone internationale de recherche infirmière (Elsevier-Masson)…

→ La presse professionnelle : les revues professionnelles se caractérisent par un processus éditorial plus souple, même si la plupart d’entre elles ont un comité scientifique chargé d’évaluer la qualité des articles. Ce sont des périodiques comme la revue Soins et La Revue de l’infirmière (Elsevier-Masson), Objectif soins & management, pour les cadres de santé et L’Infirmière magazine (Initiatives santé), Aporia (revue canadienne). Il en existe d’autres dans des domaines précis : Santé mentale, Soins gérontologie ou Jalmalv (soins palliatifs).

Quand vient le moment de rédiger

Les publications scientifiques peuvent s’adosser à différents types de recherches - quantitatives, qualitatives, mixtes - mais ont toujours vocation à fonder des savoirs objectifs. Les écrits trop personnels ou engagés - points de vue, témoignages, tribunes - n’y ont que très rarement leur place.

→ La quasi-totalité des articles scientifiques respectent la structure dite IMReD :

• introduction (« pourquoi j’ai réalisé ce travail ? »), formuler la problématique et le cadre théorique ;

• méthode (« comment ai-je travaillé ? »), exposer le protocole retenu de façon précise et exhaustive ;

• résultats (« qu’ai-je observé ? »), présenter les données recueillies (tableaux, figures, statistiques…) ;

• discussion (« comment peut-on interpréter ces résultats ? »), donner du sens aux résultats obtenus, au regard notamment de la littérature existante ;

• conclusion, pour récapituler le travail et ouvrir des perspectives de projets futurs.

→ Les parties doivent être soigneusement délimitées : pas question d’introduire les résultats dans la section « méthode » ou de peser le pour et le contre dans la section « résultats ». Du point de vue du style, clarté et simplicité sont les maîtres mots. Le vocabulaire doit être précis, le style impersonnel et les phrases courtes : mieux vaut ne pas se perdre en circonvolutions. L’utilisation d’un logiciel de gestion de références bibliographiques, comme Zotero (gratuit), peut grandement faciliter la vie.

Soumettre… et attendre

Pour être accepté dans une revue scientifique, un article doit se conformer à une structure et des normes bibliographiques précises. Il est donc conseillé de suivre scrupuleusement les instructions aux auteurs publiées sur son site. D’ailleurs, mieux vaut en prendre connaissance avant de débuter le travail de recherche, car elles peuvent avoir des répercussions sur le protocole ou le recueil des données. Une fois le texte rédigé, il est temps de le soumettre à une revue scientifique. Le manuscrit anonymisé est évalué par un membre du comité éditorial, puis transmis à deux experts sélectionnés au sein du comité de lecture. Cette évaluation par les pairs décidera du sort de l’article : refus, acceptation, ou accord sous réserve de révisions (de loin le cas le plus fréquent). Ce processus peut prendre plusieurs mois, mais il est déconseillé de jouer l’optimisation en le soumettant à plusieurs revues en parallèle : c’est le meilleur moyen de se faire « blacklister ». « La clé, c’est de suivre les guidelines (lignes directrices) et de se jeter à l’eau », conseille Christophe Debout, rédacteur en chef adjoint de La Revue francophone internationale de recherche infirmière, qui fut un jour primo-publiant. Autre conseil : ne pas prendre les critiques trop à cœur. « Vous aurez toujours des retours critiques, il faut au contraire s’en emparer pour avancer dans sa pratique réflexive. »

1- Créés en 2010 sous un autre nom, les PHRIP financent la recherche sur plusieurs années.

2- Le Sigaps permet aux services hospitaliers de recevoir des financements en fonction de leur production d’articles scientifiques.

3- Le portail BDSP, géré par l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, doit fermer ses portes en juillet 2019.

DÉCODAGE

La bibliométrie pour les nuls

Plusieurs indicateurs ont été développés afin d’évaluer le prestige et l’influence des revues scientifiques.

→ Le plus important est le facteur d’impact (FI).

Il mesure la visibilité d’une revue en fonction du nombre de travaux s’y référant. En 2017, The Lancet avait, par exemple, un FI de 53 : chaque article a été cité en moyenne 53 fois dans les deux ans suivant sa parution. En sciences infirmières, la revue la plus visible, The International Journal of Nursing Studies, a un FI de 3,7.

→ Un autre indicateur bibliométrique courant dans le champ académique est l’indice h (h-index). Associé à un chercheur, il est d’autant plus élevé que les articles de celui-ci sont nombreux et influents. Par définition, un chercheur possède un indice h de 10 s’il a publié 10?articles ayant chacun fait l’objet d’au moins 10 citations.

TÉMOIGNAGE

« Je me sentais légitime à m’exprimer »

BÉNÉDICTE LOMBART* IDE, CADRE DE SANTÉ ET DOCTEUR EN PHILOSOPHIE PRATIQUE

Comment en êtes-vous venue à publier régulièrement ?

Cela a commencé assez vite, quand j’étais infirmière en onco-hématologie pédiatrique. J’assistais à un colloque, et la rédactrice en chef de L’Infirmière magazine a dû dire quelque chose qui m’a énervée : je suis allée la voir pour le lui dire ! Cela a débouché sur un article d’opinion (publié en 1998, NDLR), un peu « coup de gueule », où je racontais mon expérience d’infirmière en hématologie et la nécessité d’avoir du temps pour soigner les enfants. Après cela, j’ai été sollicitée pour écrire sur la prise en charge des enfants cancéreux dans Soins pédiatrie/puériculture, et ainsi de suite.

Est-ce qu’il vous a fallu prendre confiance en vous ? Avez-vous reçu de l’aide ?

J’étais dans un bon environnement professionnel qui, au niveau de l’encadrement paramédical comme médical, donnait de la valeur à la parole des infirmières. J’ai découvert depuis que ce n’était pas le cas de tous les services. Mais surtout, j’avais le sentiment qu’il fallait dire certaines choses concernant notre métier et je me sentais légitime à m’exprimer. Pour mon premier article, j’ai dû me faire relire par ma cadre. Ce n’était pas du luxe : j’étais un peu tout feu tout flamme à l’époque…

Qu’est-ce qu’écrire vous a apporté dans votre pratique professionnelle ?

Coucher sur le papier ses impressions ou son expérience permet d’extérioriser. L’expression orale dans les groupes ou les réunions permet d’y voir plus clair, mais le passage à l’écrit est très précieux pour la construction de l’identité professionnelle et la conceptualisation du savoir-faire. On est encore trop souvent dans le clivage « celles qui font » vs « celles qui réfléchissent ». Mais on fait mieux quand on a explicité sa pensée du soin à l’écrit. J’ai des amies qui travaillent en onco-hématologie depuis vingt-cinq ans, avec un savoir-faire extraordinaire, et qui n’ont jamais témoigné dans une revue. C’est dommage de perdre cette richesse incroyable !

*Bénédicte Lombart est également coordinatrice de la recherche paramédicale aux hôpitaux Paris-Est (AP-HP). Docteur en philosophie pratique, elle publie depuis vingt ans dans plusieurs revues.