SERVICE SANITAIRE : UN DÉMARRAGE INÉGAL - L'Infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018

 

ÉTUDIANTS EN IFSI

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LISETTE GRIES  

Pour sa première année, le service sanitaire obligatoire pour les étudiants en santé doit son relatif succès à la bonne volonté des différents acteurs, qui ont mobilisé des ressources et modifié leurs plannings, parfois en urgence.

Depuis la rentrée universitaire, près de 47 000 étudiants en médecine, pharmacie, odontologie, kinésithérapie, maïeutique et soins infirmiers, ont démarré, bon an mal an, leur service sanitaire. Dans le cadre de ce volet un peu particulier de leur formation, ils seront amenés à intervenir ensemble dans les Ehpad, les établissements scolaires ou les entreprises, pour mener des actions de promotion de la santé et de prévention. Quatre thématiques ont été retenues : l’alimentation, l’activité physique, les addictions et la santé sexuelle. En amont de leurs interventions sur le terrain, ces étudiants bénéficieront de cours théoriques sur la prévention primaire, la gestion de projet ou l’intervention en public. Au total, ce service sanitaire correspond à six semaines de formation, réparties sur l’année en fonction des besoins des lieux d’intervention, mais aussi des possibilités des organismes de formation.

Les infirmiers pas toujours associés

Car c’est bien là que, pour cette première année, les difficultés se sont fait ressentir. Dans les régions où l’on a attendu la parution des décrets d’application, en juin 2018 (voir encadré), le service sanitaire s’est organisé dans l’urgence et sans toujours associer tous les partenaires au comité régional de pilotage ou aux groupes de travail locaux. « Dans certaines régions, les Ifsi ont été insuffisamment informés et n’ont pas été conviés aux instances de préparation, que ce soit du côté des formateurs ou des étudiants », observe Cyrielle Garreault, vice-présidente de la Fnesi(1). Si l’association étudiante explique qu’en se manifestant, les filières infirmières ont été mieux prises en compte, cette intégration tardive n’a pas été sans conséquence. « Il était plus compliqué ensuite de faire coïncider les emplois du temps des différentes formations », note Cyrielle Garreault. En effet, l’interprofessionnalité est l’un des principes du service sanitaire : les étudiants des différentes filières doivent bénéficier des mêmes cours et monter leurs actions ensemble. « C’est une formidable opportunité de les faire travailler en commun, sans rapport hiérarchique, d’autant plus dans une situation où il n’y a pas l’enjeu du soin », apprécie le Pr Emmanuel Touzé, doyen de l’UFR santé de l’université de Caen. Cet objectif n’a cependant pu être atteint que quand le travail de préparation et de coordination a débuté bien en amont.

En Normandie, où les étudiants en médecine participaient déjà aux maraudes sociales, les premières réunions se sont tenues dès mars 2018, avec les référents des formations : l’ARS, l’Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (Ireps) et les autres acteurs de la prévention. Les professionnels du secteur ont accepté de mettre à disposition leurs ressources. « Toutes les filières concernées par le service sanitaire ont été impliquées, soit 2 400 étudiants, se félicite le doyen. Les groupes ont été vite formés, ils ont démarré leur préparation théorique et leur projet, en lien avec leur lieu d’action, pour des interventions pratiques courant mars. » Au sein des petits groupes, des étudiants de formations différentes sont associés, même si leur nombre varie de quelques dizaines pour les sages-femmes à plusieurs centaines pour les ESI.

Des ressources en ligne

Ailleurs, l’interprofessionnalité a été plus compliquée à mettre en œuvre. Pour faciliter les choses, les Ireps ont souvent été sollicitées. « En Bourgogne-Franche-Comté, la situation était complexe : il y a une ARS mais deux universités et deux rectorats avec qui travailler pour trouver des lieux d’action. Les Ifsi de Franche-Comté travaillaient déjà en partenariat avec l’université de Besançon, donc l’interprofessionnalité s’est mise en place assez facilement. En Bourgogne, à l’inverse, tout ou presque était à construire », expose le Dr Isabelle Millot, directrice de l’Ireps locale. Afin d’harmoniser la formation, l’Ireps a mis à disposition des ressources en ligne, qui correspondent à quatorze heures d’enseignement en promotion de la santé et prévention primaire. Les étudiants y ont accès via un mot de passe et suivent donc une partie de la formation théorique en e-learning. L’Ireps de Bourgogne-Franche-Comté a également un rôle déterminant pour trouver des lieux d’action, répartis dans toute la région, et pour accompagner les formateurs référents du service sanitaire. « Nous montons aussi, un peu en urgence, des dossiers thématiques sur les sujets retenus, afin de fournir des ressources aux étudiants », ajoute Isabelle Millot.

Malgré cet appui pédagogique et logistique de l’Ireps, neuf des onze Ifsi de Bourgogne n’ont pu rejoindre le service sanitaire en interprofessionnalité cette année. Leur cas n’est pas isolé dans le territoire. « Quand cela n’a pu aboutir, les Ifsi organisent le service sanitaire seuls, souvent en poursuivant des actions de promotion de la santé déjà engagées auparavant », rapporte Cyrielle Garreault. De l’avis général, les Ifsi ont en effet une petite longueur d’avance sur d’autres filières. « Nos étudiants interviennent dans des écoles pour des séances de prévention depuis deux ans », confie ainsi Sandrine Buston, directrice de l’Ifsi-Ifas Croix-Rouge de Nice. Le service sanitaire s’est donc inscrit dans la continuité de ce projet. « Nous avons développé plus d’outils interactifs, nous avons aussi renforcé notre collaboration avec le rectorat pour trouver des lieux d’action et pour s’assurer que nos interventions s’insèrent dans le projet des écoles, détaille Sandrine Buston. Pour nous, le service sanitaire est une reconnaissance de ce que nous faisions déjà. »

Miser sur l’expertise des Ifsi

La faculté d’odontologie de Nice a d’ailleurs pu s’appuyer sur cette expertise, en s’associant à l’Ifsi, même si toute la promotion n’a pu être mobilisée pour des raisons logistiques. « C’est une filière où la dimension prévention est aussi présente et nous avons travaillé ensemble assez facilement », ajoute la directrice. Ils se sont notamment mis d’accord pour prévoir des interventions dans les classes tous les mardis, pendant cinq semaines. « Un autre jour est consacré à la préparation, et un troisième au compte-rendu, complète Sandrine Buston. C’est l’organisation qui nous semblait la plus pertinente du point de vue pédagogique, au regard de notre expérience. » C’est aussi un des aspects qui a freiné l’interprofessionnalité avec d’autres filières, qui ne souhaitaient pas adopter ce fonctionnement. « De façon générale, la Fnesi - et plus largement les étudiants en soins infirmiers - sont très favorables à l’interprofessionnalité, à condition toutefois qu’elle ne soit pas synonyme de dégradation de la qualité pédagogique. Des choses très bien se font déjà dans les Ifsi en termes de promotion de la santé, il ne faudrait pas les remplacer par des modules moins intéressants, comme cela a été proposé parfois », renchérit Cyrielle Garreault.

Avec le service sanitaire, les Ifsi ont donc une belle opportunité de faire valoir leur richesse pédagogique. « En travaillant avec les cadres formateurs des Ifsi, nous, professeurs d’université, avons découvert des choses très intéressantes, que ce soit leurs contenus, leurs méthodes pédagogiques ou encore l’organisation des études, apprécie le Pr Emmanuel Touzé. Ce n’est que le début d’une histoire commune. » Alors que les études en soins infirmiers sont amenées à s’intégrer à des parcours universitaires, le service sanitaire aura donc peut-être une vertu imprévue : défendre les particularités des Ifsi.

1 - Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers.

DATES CLÉS

→ Printemps 2017 : Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle, présente son projet de service sanitaire pour les étudiants en santé, dans l’objectif de « conduire la révolution de la prévention ».

→ Février 2018 : le Pr Loïc Vaillant remet au gouvernement son rapport sur le service sanitaire, commandé en septembre 2017, dans lequel il détaille les modalités possibles de sa mise en œuvre.

→ Juin 2018 : les décrets et arrêtés fixant les modalités du service sanitaire paraissent.

→ Rentrée 2018 : 47 000 étudiants en santé (médecine, odontologie, pharmacie, kinésithérapie, maïeutique et soins infirmiers) sont concernés par le service sanitaire, qui s’inscrit dans leurs formations et fait l’objet d’une validation nécessaire pour l’obtention de leur diplôme.

→ Rentrée 2019 : d’autres filières en santé seront ajoutées (ergothérapie, orthophonie, etc.) et 50 000 étudiants seront concernés.