Le bon lit au bon patient - L'Infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018

 

IDE D’ORDONNANCEMENT

CARRIÈRE

PARCOURS

ISABEL SOUBELET  

Grâce à une bonne connaissance du terrain, alliée à leur expertise en raisonnement clinique, les infirmières d’ordonnancement, chef d’orchestre de la gestion des lits, apportent une vraie plus-value pour le parcours patient.

Décloisonner, coordonner, programmer, gérer les lits et, surtout, trouver des places… Les professionnels de santé sont quotidiennement confrontés à ces problématiques, auxquelles il faut rapidement apporter une réponse. Cette dernière peut être trouvée dans l’urgence ou de manière plus anticipée. La cellule de coordination est la première étape sur la voie des solutions, avant la cellule d’ordonnancement.

L’ordonnancement peut se définir comme un élément d’amélioration de la gestion des flux et de la maîtrise de l’activité par une meilleure corrélation des ressources. Les activités au sein des cellules d’ordonnancement sont de trois ordres : la programmation, qui est planifiée au regard des ressources ; la gestion prospective et quotidienne des lits ; la coordination de ces deux premières activités, qui s’exerce avec les cadres de santé et les médecins. Cette cellule apprend donc à gérer les aléas, elle est un lien entre les services mais aussi avec l’extérieur.

Une fonction transversale

Bien sûr, tout cela ne se met pas en place facilement. Il faut une réelle volonté institutionnelle et l’engagement de toutes les équipes de terrain. C’est aussi un cheminement qui implique un changement de paradigme. Cela demande de considérer dans sa globalité et de manière pratique la prise en charge du patient, et de mettre à disposition les ressources coordonnées. Ainsi, les lits n’appartiennent plus à un service mais sont mis à disposition d’un service pour répondre à un besoin. Le CHU de Nantes s’est engagé dès 2007 dans l’optimisation du parcours patient en mettant en place des cellules d’ordonnancement. De 2012 à 2015, elles ont été développées de jour sur différents périmètres et, en 2016, une cellule d’ordonnancement de nuit a été instaurée. Cet établissement est clairement une référence en la matière. « La cellule d’ordonnancement au sein de l’établissement concerne les pôles et les services, elle est transversale », souligne Catherine Licois-Véron, cadre supérieure de santé au CHU de Nantes, missionnée depuis 2013 sur l’ordonnancement et l’ambulatoire. « C’est quelque chose de très horizontal dans une structure qui est verticale. Je fais le lien entre la politique et l’opérationnel, entre les cadres de santé et la direction. Je suis garante de l’harmonisation des processus. Il n’y a pas de transpositions de modèles mais des transpositions de principes. Ainsi, toute hospitalisation programmée l’est à partir d’une prescription médicale, inscrite sur une fiche type avec des critères précis. Les IDE et les cadres d’ordonnancement sont là pour réguler les situations difficiles et cela libère les médecins de certaines tâches. Quand un patient sort de sa consultation pour une opération chirurgicale, il a son programme avec tous les rendez-vous précis. C’est une véritable plus-value. Et nous sommes convaincus que ce sont les infirmières qui sont les plus à même de personnaliser le parcours du patient. Elles sont expertes en raisonnement clinique et disposent d’une vision globale de leur secteur. À partir de ces éléments, elles prennent la meilleure des décisions. Et plus le périmètre s’étend, plus l’expertise devient nécessaire et importante. »

Le Raisonnement clinique comme base

Mais qu’implique clairement ce dispositif innovant au service de l’organisation, en termes de compétences, de métiers, d’échanges entre les professionnels médicaux et paramédicaux mais aussi entre tous ceux qui peuvent intervenir auprès du patient ? Si la mise en place se fait par étape, les compétences requises s’acquièrent pour certaines aussi avec le temps. Valérie Pannier, IDE au CHU de Nantes et présente dès les balbutiements de la première cellule d’ordonnancement en chirurgie en 2007, témoigne : « Nous avons essuyé les plâtres. Maintenant, l’ordonnancement se déploie dans l’établissement. Il n’y a pas de formation diplômante sur ce sujet mais j’ai accompagné le processus pour plusieurs cellules, et il en ressort des compétences et des bases communes, pour une spécialité donnée et sur un périmètre précis. » Gestion des lits depuis les urgences, connaissance de plusieurs logiciels, création des règles d’hospitalisation et d’orientation sur les différents périmètres…, il faut maîtriser tout cela. « C’est grâce à notre raisonnement clinique que nous pouvons faire venir le patient au bon moment, au bon endroit, c’est-à-dire que nous choisissons le meilleur pour lui », poursuit-telle. Aurélie Tesson, IDE dans la cellule d’ordonnancement urgences-médecine, fait davantage de gestion de lits que de programmation. Elle confie : « Ce métier me permet d’être au cœur de l’institution et de mettre en valeur le métier d’infirmière avec la place du raisonnement clinique. Je suis la porte d’entrée du patient. Comme je connais l’organisation et le service, quand j’ai le patient au téléphone, je sais quoi lui dire. Il a souvent beaucoup de stress et de peur. Je suis son premier interlocuteur, et c’est important. »

Diplomatie et maîtrise du stress

Être infirmière d’ordonnancement demande une certaine force et de réelles qualités de diplomatie. « Il faut savoir tenir la décision prise, même face aux médecins, précise Catherine Licois-Véron. Je recrute toujours des IDE qui sont très positionnées avec les médecins. Elles doivent être légitimes, faire passer l’information sans être frontales dans leurs propos. À mon sens, il faut avoir au minimum cinq ans d’expérience professionnelle et certaines dispositions. Ces profils ont toujours existé chez les IDE, mais le grand changement, c’est l’ouverture de territoire. Et là, c’est une révolution ! »

Une autre qualité importante pour occuper ce poste est de savoir gérer le stress quotidien. Celui des infirmières bien sûr, mais aussi celui des autres professionnels avec lesquels l’IDE d’ordonnancement est régulièrement en relation. « Il faut savoir prendre du recul par rapport aux pressions contextuelles, comme les périodes de forte activité ou de manque de lits », explique Peggy Vaillant Galisson, IDE à la cellule d’ordonnancement de nuit, qui couvre un large périmètre (chirurgie, médecine, pédiatrie). « Mais il faut aussi savoir gérer l’agressivité de nos interlocuteurs car nous sommes en lien permanent avec les équipes médicales et paramédicales. Par exemple, dans une situation complexe, le médecin urgentiste peut très vite communiquer son stress, notamment par rapport au manque de lits, tout comme une infirmière de service peut pointer la charge de travail dans son unité. Il faut alors apporter une réponse professionnelle et globale face à l’exigence de ses interlocuteurs. »

Autonomie, organisation, rigueur, maîtrise de soi, adaptation, expertise terrain sur son périmètre, diplomatie et capacité à dire « non »… La palette de qualités professionnelles est immense. Il faut aussi se faire « accepter » des IDE des unités de soins. Car infirmière d’ordonnancement, c’est réellement un autre métier. « Nous sommes là un peu comme un consultant extérieur mais mieux accepté, explique Aurélie Audouit(1), cadre supérieur de santé, missions transversales ordonnancement et ambulatoire à l’hôpital Nord-Laennec de Nantes. Je suis extérieure au service mais interne au CHU. Je sais ce que je peux proposer aux médecins et trouver le bon équilibre en termes de distance pour faire travailler les gens ensemble. Les IDE d’ordonnancement sont des infirmières expertes. »

Au cœur du système, l’IDE d’ordonnancement est en contact avec les cadres, les institutions, les collègues, la direction. Sa relation avec le patient se fait dans un lien de confiance en vue de réduire son temps d’attente, aussi bien aux urgences qu’à l’hôpital. Utiliser sa capacité cognitive d’analyse dans des situations complexes, analyser une grande quantité d’informations dans un cadre de fortes règles, afin de trouver LA solution, c’est le quotidien de l’IDE d’ordonnancement. Une sorte de Sherlock Holmes de la santé.

FORMATIONUn éventail de compétences

Fort de son expérience, le CHU de Nantes a établi une liste de connaissances attendues pour exercer le métier d’infirmière d’ordonnancement et propose donc des formations spécifiques. On y trouve : gérer son stress, prévenir les troubles liés au travail sur poste informatique, communiquer par téléphone et accueillir le patient, développer des collaborations constructives, maîtriser les logiciels de programmation et de gestion de lits (le temps consacré à la lecture des écrans peut atteindre 95 %), apprendre à réagir face à l’agressivité et la violence extérieure. Tout cela vient s’ajouter à une expertise du métier, une expérience clinique et une bonne connaissance des pathologies acquises après plusieurs années d’expérience. La question de l’évolution de carrière de l’IDE d’ordonnancement se pose mais sans trouver à ce jour de réponse précise. « Cette fonction donne un positionnement fort, transversal et institutionnel. Il est difficile après de se retrouver uniquement en soins infirmiers, certains ont le projet de devenir cadre », souligne Isabelle Rondeau, cadre de santé à la cellule d’ordonnancement urgences-médecine. À terme, il sera aussi question de faire reconnaître et valoriser cette fonction, qui est un maillon indispensable dans l’organisation du parcours patient. Dans ce métier en perpétuelle évolution, beaucoup de choses sont encore à déterminer.