La commission médicale d’établissement - L'Infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018

 

CARRIÈRE

GUIDE

Cœur du pouvoir médical, la commission médicale d’établissement évolue à chaque réforme de l’hôpital. Ses missions sont de plus en plus larges, mais elle doit gagner en compétences. Prochaine étape : les GHT.

Depuis dix ans, la place des médecins dans la gouvernance de l’hôpital est mouvante, au gré des soubresauts de l’hôpital. La communauté médicale d’établissement (CME), l’instance qui représente le corps médical dans les établissements de santé, est même de  venue un sujet politique. « Je veux remettre le médecin au cœur de la gouvernance », s’est engagé Emmanuel Macron, le 18 septembre dernier, lors de la présentation de la nouvelle stratégie de réorganisation du système de santé. Voilà qui tranche avec la vision de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, qui a voulu « un vrai patron » à l’hôpital, à savoir le directeur.

Structure managériale

En 2009, la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) a été un choc pour la communauté médicale. L’hôpital est alors réorganisé en pôles, nouvelles structures plus managériales que médicales, dont les chefs sont désignés par le directeur. « Or, tous les chefs de pôle sont membres de droit de la CME, elle est donc devenue très dépendante de la direction, explique Renaud Péquignot, le président du syndicat Avenir hospitalier. Elle perd donc ses pouvoirs sur les restructurations, la stratégie de l’hôpital ou les embauches. Et elle ne peut plus émettre que des avis consultatifs. » « Depuis la loi HPST, beaucoup de médecins se sont détournés de la vie institutionnelle. Car on y parle des gels de postes, des fermetures de lits et de moins en moins du projet de santé », confirme Thierry Godeau, le président de la conférence des présidents de CME de CH.

Compétences élargies

Le besoin d’un rééquilibrage de la gouvernance hospitalière a été entendu par les pouvoirs publics.

• Un décret en 2013, puis la loi de modernisation du système de santé en 2016, ont élargi les compétences de la CME : en plus de se prononcer sur le projet médical de l’établissement, qui est au cœur de sa mission, elle s’exprime désormais sur les orientations stratégiques et le plan de financement, le développement professionnel continu ou le projet de soins infirmiers. « Mais les avis de la CME restent consultatifs », regrette Renaud Péquignot. Autrement dit : le directeur a toujours le dernier mot, ce qui peut conduire à des situations difficiles. « Les difficultés médicales et les conflits à l’intérieur de l’hôpital sont de plus en plus fréquents », précise Thierry Godeau.

• Les CME ont une grande souplesse d’organisation et de fonctionnement, d’un établissement à l’autre. Par exemple, en hôpital psychiatrique, par définition monodisciplinaire, la CME est un lieu de réflexion et d’échanges sur la qualité et la sécurité des soins. « En psychiatrie, les CME travaillent de manière déterminée à une réduction des pratiques d’isolement et de contention, explique le psychiatre Christian Müller, président de la conférence des présidents de CME de CH spécialisé (CHS). C’est le lieu pour faire un point collectivement sur nos pratiques, leur justification clinique et leur harmonisation dans l’ensemble des structures hospitalières et ambulatoires qui forment nos établissements. »

• La CME peut aussi être un lieu d’échange avec les autres professionnels de l’établissement. Celle de l’Établissement public de santé mentale de Lille métropole, présidée par Christian Müller, invite régulièrement « le collège des psychologues, les représentants des internes, mais aussi la direction des soins, détaille le psychiatre. Nous discutons par exemple beaucoup des missions infirmiers manageurs de situations complexes. Et le sujet des pratiques avancées sera bientôt sur la table. »

Des présidents à la peine

Mais la plupart des CME fonctionnent aujourd’hui avec difficulté, comme le prouve une enquête conduite par les trois conférences de présidents de CME de CHU, de CH et de CHS, entre octobre 2017 et janvier 2018. Un tiers des présidents de CME de CH y ont répondu. 84 % jugent que leur fonction n’est pas attractive : en raison d’une charge de travail trop importante (64 %), d’une indemnité insuffisante (46 %), d’un éloignement de l’activité clinique (41 %) ou d’un manque d’emprise sur les décisions (40 %). « Notre enquête prouve que le temps institutionnel n’est pas reconnu, dit Thierry Godeau. Un président de CME sur deux n’est pas formé. C’est comme si une infirmière devait faire son travail de cadre de santé le soir en rentrant chez elle. Les présidents de CME doivent disposer d’un temps dédié, et être formés. » Une enquête complémentaire ayant recueilli 148 réponses confirme les attentes fortes en matière de formation dans les CH : 95 % des répondants pensent qu’elle devrait être obligatoire voire un prérequis (30 %) aux nominations des managers médicaux.

« Leadership » renforcé

Quel est l’avenir de cette institution dans la gouvernance hospitalière ? Le syndicaliste Renaud Péquignot aspire à un « équilibre : le directeur s’occupe de gérer le budget de l’hôpital, les médecins sont responsables du projet médical. Bien sûr, il faut articuler les deux. » Thierry Godeau explique lui aussi être attaché à un « meilleur équilibre médico-administratif ».

• Dans sa stratégie Ma santé 2022, le gouvernement souhaite « renforcer le leadership du président de CME et de l’équipe constituée autour de lui ». Plus largement, Emmanuel Macron s’est engagé à « renforcer la participation des médecins au pilotage stratégique en associant mieux la CME aux décisions médicales. La CME doit peser dans les décisions à l’hôpital et pouvoir d’ailleurs prendre une part de décision propre ».

• Les compétences de la CME devraient être encore élargies, et notamment intégrer un projet social et managérial médical. Car le corps médical a une spécificité à l’hôpital : il n’a pas de représentants syndicaux au niveau de l’établissement, héritage de l’époque où les médecins étaient les « patrons » de l’hôpital. « Actuellement, il n’existe que cinq équivalent temps plein syndicaux pour tout le personnel hospitalier, il n’y a aucune instance pour défendre les droits des médecins », explique Renaud Péquignot. Son syndicat Avenir hospitalier milite pour « une représentation syndicale locale, dans tous les établissements. Mais on s’oriente plutôt vers une commission sociale de la CME. » « Cette commission sociale doit s’occuper de la qualité de vie au travail, des risques psychosociaux, de la santé au travail, de l’accueil et de l’intégration des médecins. Elle doit être aussi une cellule de médiation entre pairs », plaide Thierry Godeau.

Bientôt des CME de GHT

Autre défi pour la CME : trouver sa place dans les groupements hospitaliers de territoire (GHT). C’est un autre engagement du gouvernement : il veut « doter les GHT d’une véritable CME d’ici 2020 pour accompagner leurs projets médicaux » et faire émerger des « projets de santé de territoire ainsi que les nouveaux enjeux de coopération entre ville et hôpital ».

Renaud Péquignot n’est pas opposé à cette évolution mais reste vigilant : « La formation des GHT est une opportunité, autant qu’une machine à broyer. » La conférence des présidents de CME de CH réclame des CME de GHT, mais considère au contraire qu’il y aura un « équilibre à trouver : les CME de GHT travailleront sur le projet de territoire, la formation, les filières médicales ; celles des établissements règleront les problèmes de proximité, la vie interne de l’établissement ou les relations ville-hôpital », explique Thierry Godeau. Sur ce point, il mise sur le « lien entre la CME et les communautés professionnelles des territoires de santé (CPTS) », nouvelle instance d’organisation et de représentation des professionnels de santé de ville. « Nous militons même pour que des représentants des CPTS, médecins généralistes ou spécialistes, participent aux CME. » Mais il met en garde : « Si les GHT restent un chantier administratif, cela ne marchera pas. Cela doit être un chantier médical, piloté par la CME. »

Les missions de la CME

→ La CME est consultée sur les mêmes matières que le comité technique d’établissement, sur les projets de délibération soumis au conseil de surveillance (article L6143-1 du code de la santé publique), pour les orientations stratégiques de l’établissement et son plan de financement pluri-annuel, les modalités d’accueil et d’intégration des professionnels et étudiants, la gestion prévisionnelle des emplois et compétences, le projet médical de l’établissement, la politique de recherche clinique et d’innovation, la politique de formation des étudiants et internes, et de recrutement des emplois médicaux, le contrat pluri-annuel d’objectifs et de moyens, le plan de développement professionnel continu, la politique d’intéressement et le bilan social, le programme d’investissement concernant les équipements…

→ La CME est informée sur le rapport annuel portant sur l’activité de l’établissement, les contrats de pôle, le bilan annuel des tableaux de service, le projet de soins infirmiers, médico-techniques et de rééducation, l’aménagement de locaux ou l’acquisition d’équipements ayant un impact sur la qualité et la sécurité des soins…

SAVOIR PLUS

→ Décret n° 2009-1762 du 30 décembre 2009 relatif au président de commission médicale d’établissement.

→ Décret n° 2010-439 du 30 avril 2010 relatif à la CME.

→ Décret n° 2013-841 du 20 septembre 2013 modifiant les dispositions relatives à la CME.

→ Article 107 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, sur les GHT.

INTERVIEW

CHARLOTTE NEUVILLE, juriste au pôle des ressources humaines de la Fédération hospitalière de France

Quelles sont les grandes missions de la CME et de son président ?

• La loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST) de 2009 a consacré le président de la commission médicale d’établissement en tant que vice-président du directoire. Le président de CME est ainsi étroitement associé à la gouvernance de l’hôpital, on parle même d’une gouvernance bicéphale. Le président de la CME a trois grandes missions : le suivi de la politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, l’élaboration du projet médical de l’établissement et la coordination de tous les sujets qui touchent le personnel médical. Quant à la CME, elle est consultée sur le projet médical, le développement professionnel continu ou encore le projet de soins infirmiers. En revanche, la CME a perdu son droit de regard sur l’évolution des carrières.

La loi HPST n’a-t-elle pas consacré les pouvoirs du directeur ?

• Depuis la loi HPST, la CME a un rôle consultatif. Si elle s’oppose au projet médical, le directeur n’est pas tenu de suivre son avis. Mais selon les textes, le projet médical est bien conjointement élaboré entre le président de CME et le directeur.

Quel est l’avenir des CME, à l’intérieur des groupements hospitaliers de territoire ?

• Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont été créés par l’article 107 de la loi de 2016 de modernisation de notre système de santé. Deux représentations médicales sont possibles au niveau des GHT : soit un collège médical ; soit une véritable CME de groupement, avec un transfert de compétences de la CME des établissements vers celle du GHT. La stratégie du gouvernement à l’œuvre dans le dernier plan Santé prévoit de doter tous les GHT de CME de groupement d’ici 2022. Est également annoncé un élargissement des compétences de la CME sur la formation médicale, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou le projet social et managérial. C’est à construire et les concertations sont à venir. Mais cela répond à des préoccupations fortes de la communauté hospitalière sur le management et la formation.

PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE COQ-CHODORGE