La sexualité, un sujet sous silence à aborder - L'Infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018

 

FORMATION

AU QUOTIDIEN

Héloïse Rambert  

Maladies chroniques mais aussi maladies de l’intime, les Mici peuvent considérablement altérer l’image corporelle et la vie sexuelle des personnes atteintes. La santé sexuelle n’est pas assez abordée par les équipes médicales, mal à l’aise avec la question.

On n’en parle pas. C’est tabou », admet Mireille, déléguée régionale Lorraine de l’AFA(1) et patiente experte. Les répercussions des Mici sur la vie sexuelle demeurent sous silence. Les patients parlent souvent plus facilement avec leur médecin et leur infirmière des conséquences de leur maladie sur le travail, les activités sportives ou la vie sociale. Leur libido et la qualité de leurs relations sexuelles peuvent pourtant aussi en pâtir. « Comme toute maladie chronique, les ma ladies inflammatoires de l’intestin sont potentiellement perturbantes pour la vie intime, explique Muriel Baccigalupo, sexologue à Montpellier. Mais ce ne sont pas des pathologies qui altèrent directement, pour des raisons physiologiques, les fonctions érectiles ou de lubrification, ou la libido. Elles ont plus fréquemment un impact secondaire sur la vie sexuelle. »

Sentiment de honte

Les douleurs et la fatigue, qui sont le lot quotidien de bien des malades, les rendent généralement peu disponibles, physiquement et psychologiquement, pour la sexualité. Mais les particularités des Mici, qui touchent aux intestins et aux selles, et donc à l’intime, compliquent encore les choses. L’image corporelle et l’estime d’eux-mêmes des patients peuvent être sapées. « Ils peuvent avoir des lésions ano-périnéales, susceptibles d’altérer les relations sexuelles », rapporte la patiente experte. « Ce qui revient dans les propos des malades, c’est la peur des écoulements et des odeurs pendant les rapports. Ces appréhensions génèrent l’évitement de certaines caresses intimes ou de certaines positions, complète la sexologue. Ce sont en effet des choses qui arrivent. Les peurs des malades sont donc légitimes et tout à fait compréhensibles. » Il est aussi fréquent que les personne atteintes de Mici ressentent un sentiment de culpabilité à “imposer” à leur partenaire un corps malade qu’elles ne jugent pas désirable, ce qui ne les aide pas à avoir une vie sexuelle épanouie.

La santé sexuelle bientôt en ETP ?

Cet aspect des Mici n’est pas abordé par les gastrœntérologues. « Ils n’ont pas de temps à y consacrer tant ils ont de choses à évoquer en consultation. De toute façon, ils ne se sentent pas à l’aise avec le sujet », constate Mireille. Les autres soignants, non formés à ces questions, ne le sont pas plus. Au final, bien souvent, personne ne demande aux patients comment ils vont sur le plan sexuel et ils restent avec leur peur d’en parler, alors que beaucoup sont demandeurs.

En prise en charge médicale quotidienne, la sexologue recommande d’oser aborder le sujet. « Les IDE sont parfaitement légitimes pour demander aux patients si, depuis le diagnostic de Mici, ils ont constaté des changements dans leur vie sexuelle, assure-t-elle. Ils retiendront que s’ils ont envie d’en parler, ils ont la possibilité de le faire. » Et si les patients expriment des difficultés, les IDE doivent se demander si elles peuvent, à leur échelle, les aider. « Sinon, la chose à faire est claire : en référer à un sexologue. » À noter que les professionnelles formées à la sexologie pourront prendre en charge ces aspects.(2)

Muriel Baccigalupo travaille aussi depuis cette année avec l’AFA sur un atelier d’éducation thérapeutique (ETP) qui aborderait la question de la santé sexuelle. « Le mieux, dans les ateliers collectifs, c’est de partir d’un cas clinique représentatif, et donc de les amener à parler d’eux à travers une personne fictive. La parole est plus facile et circule mieux. » Ces ateliers en sont encore à l’état de concept : dans la réalité, la santé sexuelle n’est pas abordée en ETP, malgré les recommandations. Mireille souhaite vivement qu’elle finisse par trouver sa place. « Espérons que cela soit le cas dans deux ou trois ans », conclut la sexologue, optimiste.

1- L’association François-Aupetit est l’association nationale de malades et proches pour vaincre la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique.

2- Lire l’article « Infirmière sexologue. Combattantes de l’intime », paru dans L’Infirmière magazine n° 389, de janvier 2018.