LA FIN DU CONCOURS, LA BONNE DÉCISION ? | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018

 

FORMATION

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Murielle Chalot  

L’annonce ministérielle, début juillet, de la réforme du mode de sélection des étudiants admis en études infirmières soulève de nombreuses questions. si la suppression du concours, coûteux et inégalitaire, fait consensus, l’abandon de l’oral inquiète.

Ludivine Gauthier

« Nous plaidons pour demander au candidat quel citoyen il est »

Quels sont les avantages de la suppression du concours ?

Elle répond à notre volonté de démocratiser l’accès aux études infirmières. Le concours, payant, abreuvait des classes préparatoires privées avec, de facto, une sélection sociale, alors même que notre vivier de recrutement est composé de catégories socioprofessionnelles moins aisées que celui d’autres filières paramédicales. Ce modèle dépassé était désavoué par les étudiants et leurs familles. Par ailleurs, le système du concours provoquait un afflux de candidatures, donnant l’impression qu’il y avait beaucoup de candidats pour peu de places. Or, les Ifsi n’étaient pas remplis, c’était malsain. Nous avons l’opportunité de réguler tout ça : l’accès gratuit offre une meilleure visibilité sur le nombre de candidats.

Sans concours, c’est donc le dossier scolaire qui primera ?

Il ne faudra pas regarder que les notes car de nombreuses bases sont reprises à l’Ifsi. Des amies de section littéraire ont obtenu de bons résultats alors qu’elles ne partaient pas avec les mêmes bases scientifiques, tandis que les profils scientifiques à l’esprit très cartésien, si je devais caricaturer, ne sont pas forcément les plus à l’aise en stage. Surtout, il faudra bâtir une grille cohérente pour préserver la pluralité des profils que nous avons aujourd’hui. Bacs S, L, ES, ST2S, techno, pro…, c’est une richesse.

En supprimant l’oral d’admission, ne risque-t-on pas de recruter à l’aveugle ?

L’oral actuel n’est pas un entretien, mais une épreuve avec des questions de connaissance, de méthodologie, et des questions sur soi. La Fnesi dénonçait un oral formaté : ceux qui venaient de prépa étaient démasqués car ils entraient dans un moule, on ne savait pas quel étudiant se cachait derrière. Or, en quinze minutes, on ne peut pas répondre à cette question. Nous plaidons pour demander au candidat quel citoyen il est. Il faut trouver quelque chose pour parler de l’individu, de ses valeurs. Pourquoi ne pas demander au candidat d’écrire un texte sur lui ? Mais attention, il sera toujours possible qu’un jeune se trompe d’orientation, comme cela arrive avec le concours. Certains connaissent des désillusions. Il faut dédramatiser cela et prévoir des passerelles entrantes et sortantes dès le premier semestre d’études. Avec les autres filières paramédicales, mais aussi universitaires, comme la biologie.

Tout comme l’aspirant aux études infirmières pouvait s’inscrire à plusieurs concours, Parcoursup permettra-t-il de candidater à plusieurs Ifsi ?

Tout à fait. Le bachelier peut formuler jusqu’à dix vœux de formation et, pour chacun, dix sous-vœux géographiques avec un maximum de vingt sous-vœux. Autrement dit : dès lors qu’un étudiant aura choisi Ifsi, il pourra demander Rennes, Brest, Vannes, ou une autre région. Pour autant, on ne va pas imposer à un Ifsi d’éplucher 3 000 candidatures, ça prendrait trop de temps. Il est donc envisagé de mutualiser l’étude des dossiers sur un même territoire universitaire(1). Cela suppose l’élaboration d’une méthode commune de classement. Heureusement, les Ifsi ont appris à collaborer dans les groupements de coopération sanitaire (GCS).

Martine Sommelette

« Repérer une appétence pour la relation de soin au service de l’humain »

Supprimer le concours va-t-il grever le budget des Ifsi ?

En théorie, un concours ne doit pas générer de bénéfices. Il y a plusieurs années, le ministère avait préconisé d’organiser les concours d’une région le même jour, pour que les candidats soient obligés de choisir, ce qui allégeait la gestion des listes complémentaires. Mais certains Ifsi ont continué à faire cavalier seul. Dans mon Ifsi de 100 places, je ne dépasse pas 400 candidats. Certains en ont 850. Multipliés par 90 €, ça joue dans les recettes. Mais cet aspect n’est pas le plus soulevé. Ce qui cristallise les remontées des formateurs, c’est la suppression de l’oral. Pour beaucoup, c’est l’épreuve qui permet de bien sélectionner. Je pense au contraire que ce n’est pas un filtre performant. Pour un jeune timide, se retrouver face à un jury de trois personnes, c’est impressionnant. Côté examinateur, la subjectivité existe aussi. Je me souviens d’une candidate recalée dans mon Ifsi par une note orale éliminatoire, puis retenue par deux autres instituts où elle avait obtenu 18 et 19.

Quels critères privilégier ?

Pas seulement les résultats scolaires. Gardons à l’esprit qu’il ne s’agit que de profils : on n’est pas là pour tester des connaissances. Ce qu’il faut, c’est repérer une appétence à s’impliquer dans une relation de soin au service de l’humain. Réfléchir à des éléments de preuves sur l’aptitude à suivre une formation qui requiert de s’exprimer à l’écrit et à l’oral, de calculer, rechercher, analyser. Pour les personnes en reconversion professionnelle, les critères ne peuvent être les mêmes que pour les néo-bacheliers : qu’elles viennent du commerce, de la restauration ou de la gestion, elles ont développé des compétences utiles au métier de soignant.

Ne risque-t-on pas d’avoir une inflation de candidatures ?

C’est possible. C’est aussi pour ça que le maintien de l’oral n’est pas possible. Mais pas de concours, c’est du temps libéré, à employer autrement. Notamment à informer les lycéens et leurs professeurs pour qu’ils aient une vision plus concrète du métier. Par le biais de forums et de journées portes ouvertes plus nombreux et mieux structurés. Grâce à notre maillage très dense(1), nous sommes proches de très nombreux lieux d’éducation. On compte beaucoup sur les relations avec les profs. À cet égard, la mise en place du service sanitaire(2) est une belle opportunité. Cette réforme va nous conduire à travailler davantage en réseau, avec l’Éducation nationale et les autres Ifsi. C’est positif.

Si les Ifsi d’un même territoire mutualisent les candidatures, comment seront répartis les étudiants dans les instituts ?

Le critère géographique importera. Ensuite, quand il y a plusieurs Ifsi dans une ville, il y en a souvent un de la Croix-Rouge. Certaines lettres de motivation invoqueront peutêtre des valeurs humanitaires qui en sont la marque de fabrique. Il faudra travailler en bonne intelligence pour avoir des promos hétérogènes équilibrées avec divers bacs, différents niveaux, des étudiants en reconversion, sans oublier les « oui si », qui sont un des nombreux points encore en suspens : ces étudiants pourraient entrer en formation avec un parcours allégé, faire la première année en deux ans pour consolider des connaissances et être dans une dynamique de réussite. Mais il n’en faudra pas trop car on a besoin d’étudiants prêts à travailler au bout de trois ans

1- Chaque Ifsi est rattaché à une université (entre sept et quinze Ifsi par université).

1- 326 Ifsi en France dont 322 en métropole.

2- En février dernier, le gouvernement a annoncé la mise en place à la rentrée 2018 d’un service sanitaire de trois mois pour les étudiants en santé, dont les esI. Le dispositif vise à familiariser les futurs professionnels de santé aux enjeux de prévention : ils interviendront auprès de la population, notamment en milieu scolaire et universitaire. Voir L’Infirmière magazine, n° 392.

LUDIVINE GAUTHIER

PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ÉTUDIANT.E.S EN SOINS INFIRMIERS (FNESI)

→ 2011-2018 : sapeur-pompier volontaire

→ 2015 : admise à l’Ifsi de Pontivy (Morbihan)

→ 2016 : élue Groupement de coopération sanitaire (GCS) Bretagne pour représenter les ESI du territoire

→ 2016 : élue secrétaire générale de la Fnesi avant d’en devenir présidente en 2017

MARTINE SOMMELETTE

PRÉSIDENTE DU COMITÉ D’ENTENTE DES FORMATIONS INFIRMIÈRES ET CADRES (CEFIEC)

→ 1976 : titulaire du diplôme d’État d’infirmier, débute au CH de Charleville-Mézières (Ardennes), en service de médecine gastro-entérologique

→ 1981 : obtient son diplôme de cadre

→ 1999 : réussit le concours pour diriger l’Ifsi/Ifas de Charleville-Mézières

→ 2013 : master en management des établissements, services et organisations de santé

→ 2014 : élue présidente du Cefiec

POINTS CLÉS

→ En 2009, les Ifsi sont intégrés dans le processus de Bologne qui vise à universitariser les formations (licence-masterdoctorat). Le diplôme d’état est reconnu au grade licence.

→ Actuellement, chaque Ifsi organise un concours d’entrée avec écrits d’admissibilité et oral d’admission. on compte 180 000 candidatures pour 31 000 places, sans que les Ifsi fassent le plein pour autant. selon le ministère de la santé, les candidats déboursent 25 M € en prépas, inscriptions et déplacements.

→ Le 5 juillet 2018, Agnès Buzyn et Frédérique Vidal, ministres de la santé et de l’enseignement supérieur, ont annoncé pour la rentrée 2019 la suppression du concours et le recrutement sur dossier via la plateforme parcoursup.

→ Des procédures nationales harmonisées sont en cours d’élaboration : les parties concernées se réunissent chaque mois en groupes de travail pour déterminer les attendus de la formation ainsi que les critères et indicateurs de sélection.