Comité d’éthique : la culture de la réflexion - L'Infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018

 

CARRIÈRE

GUIDE

Lisette Gries  

De plus en plus d’établissements se dotent d’un comité d’éthique. Pourtant, les missions de ces instances restent méconnues, alors qu’elles peuvent être des appuis précieux pour développer les bonnes pratiques

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé demande aux établissements de soins de « mener en leur sein une réflexion sur les questions éthiques posées par l’accueil et la prise en charge médicale »(1). Partant, des établissements se sont dotés de comités éthiques. mais ni la composition ni le fonctionnement ni même l’existence de ces instances ne sont régis par des dispositions réglementaires.

Seuls sont obligatoires les espaces de réflexion éthique régionaux (Erer), créés par la loi du 6 août 2004 et organisés selon les modalités déterminées par l’arrêté du 4 janvier 2012. Les Erer, sous la responsabilité des agences régionales de santé (ARS), sont adossés à un cHu. bien qu’indépendants du comité consultatif national d’éthique (CCNE), ils lui transmettent leur rapport d’activité annuel et interagissent régulièrement avec lui. difficile de nier une multiplication des cercles où se concentre la réflexion sur les principes moraux qui s’imposent aux professionnels du soin mais aussi, plus largement, sur les valeurs communes, dans un contexte d’importantes innovations dans le domaine de la santé. les comités d’éthique des établissements doivent donc trouver leur place.

Un règlement interne en l’absence de loi

• Les comités d’éthique traitent aussi bien de cas cliniques précis que de questions plus transversales, « notamment en rendant un avis sur des travaux de recherche que l’on nous soumet », détaille le Pr Yves martinet, président du comité d’éthique du CHRU de Nancy (54). d’autres comités définissent leur rôle comme une aide à la prise de décision médicale difficile ou comme une incitation à développer une culture de la réflexion éthique, notamment à partir de cas concrets. À l’ordre du jour : des sujets sensibles tels que la poursuite de la réanimation chez un grand prématuré, l’évaluation du consentement chez des personnes atteintes de maladie psychiatrique, les soins à maintenir chez un patient en fin de vie ou encore, la place à accorder au respect des pratiques religieuses. « Nous visons une amélioration des pratiques de soins », résume nathalie boit, aidesoignante, membre du comité d’éthique du cH de bourg-en-bresse (ain).

• Afin de fluidifier leur fonctionnement et d’agir en toute transparence, les comités éditent souvent, au moment de leur création, un règlement interne régissant leur composition, leurs missions, le type d’avis rendu, la périodicité des réunions, etc. en l’absence de textes réglementaires, c’est ce document, habituellement public, qui or ganise la vie des comités, mais aussi leurs relations avec le reste de l’établissement, voire avec l’extérieur.

Pluridisciplinarité

• Concernant leur composition, certains comités choisissent d’établir plusieurs collèges : profession médicale, paramédicale, représentants de la société civile, personnels hospitaliers ou non, membres des cultes majo ritaires, etc. d’autres, tout en rassemblant diverses personnalités (lire p. 61), sont moins formalisés. « Nous faisons évoluer notre fonctionnement pour que le collège “société civile” soit le plus représentatif possible, en intégrant un représentant de la laïcité, par exemple, ou encore des internes ou des étudiants en soins infirmiers », explique le pr Yves martinet.

• En général, le comité lance un appel à candidatures quand le mandat de ses membres se termine – certains établissements optent pour une désignation d’un an, d’autres pour plusieurs années. « Nous recevons régulièrement des candidatures de personnes motivées pour participer à notre réflexion sur l’éthique du soin. Nous les étudions toutes, en attendant qu’un siège soit disponible dans le collège correspondant », explique nathalie boit. Dans certains comités d’éthique, les ide sont dans le collège “hospitalier” avec les médecins et les aides-soignantes, dans d’autres, elles sont dans le collège paramédical.

• Une sensibilisation aux questions d’éthique est un plus pour candidater, mais c’est surtout l’envie de participer à une réflexion qui dépasse sa propre pratique qui sera déterminante. Les sièges sont le plus souvent attribués après un vote de l’assemblée générale, des membres du collège concerné ou du bureau. en général, ce choix opéré en interne est validé par une nomination officielle par le directeur de l’établissement.

Cas cliniques et relecture

• En majorité, les comités d’éthique se réunissent tous les deux ou trois mois, selon un calendrier établi en amont, pour débattre des situations de soins. l’occasion, également, de mettre au point des supports de communication. ces temps de plénière sont décomptés du temps de travail des agents. « Nous nous réunissons en urgence si un cas en cours nous est soumis », précise Yves martinet. les cas urgents traitent généralement de la poursuite des traitements ou de l’opportunité de réanimer quand les patients ne peuvent s’exprimer (trop jeunes, inconscients, dépendants…).

• Une grande partie du travail du comité d’éthique d’Yves martinet concerne la relecture pour avis de travaux de recherche, par deux membres dont lui-même, en dehors des assemblées plénières. le comité nancéen anime également des rencontres ouvertes à l’ensemble du personnel, de type “café éthique”. « Ce sont essentiellement des IDE, le plus souvent des femmes, qui assistent à ces rencontres », précise-t-il.

S’ouvrir plus largement

Souvent, les comités d’éthique sont face à un paradoxe : ils reconnaissent être assez peu saisis alors que le personnel, notamment paramédical, veut être associé à une réflexion éthique. « Beaucoup n’osent pas nous saisir, parce qu’ils ne nous connaissent pas ou qu’ils ont peur des conséquences. Or, le comité ne rend qu’un avis consultatif. Et toutes les demandes sont anonymes et respectent le secret professionnel. Ainsi, une AS ou une IDE qui s’interroge, par exemple, sur l’intérêt éthique de maintenir sous perfusion un patient en fin de vie, n’a pas à craindre de répercussions », insiste Nathalie Boit(2).

• Les modalités de saisine sont propres à chaque comité. certains ont une adresse mail dédiée, d’autres ont une boîte aux lettres ou un formulaire de contact sur leur site. certains se contentent d’un courrier explicatif, d’autres exigent des documents assez complets. de même, les avis sont adressés à la personne qui a saisi le comité – plus rarement au personnel. en général, les avis rendus ne sont pas versés au dossier du patient.

• Pour élargir leur spectre d’influence, de nombreux comités, ayant constaté leur fonctionnement “en vase clos”, tentent de toucher un public plus large. certains ouvrent une des assemblées annuelles à tout le personnel, d’autres proposent des formations de quelques heures à la réflexion éthique ou se présentent dans les ifsi et les facultés de médecine. « À Bourg-en-Bresse, nous changeons nos statuts pour pouvoir être saisis par les patients ou la personne de confiance », informe Nathalie Boit. À nancy, une consultation d’éthique est mise en place pour recevoir les patients et soignants. « Aujourd’hui, le personnel médical pense qu’il vaut mieux laver son linge sale en famille et que la loi couvre ses décisions, remarque Yves martinet. Mais le juridique et l’éthique, s’ils sont corrélés, ne peuvent se confondre, et la culture réflexive bénéficie à la qualité des soins. » reste donc au comité à faire comprendre aux soignants ce qu’ils ont à gagner en faisant appel à cette consultation. car, au final, quand les comités parviennent à communiquer sur leurs travaux et à diffuser leur culture, le personnel peut infléchir sa pratique. « Dans mon travail d’AS, je pose beaucoup plus de questions aux médecins qu’auparavant, rapporte nathalie boit. Au début, ils sont déroutés, voire un peu dérangés. Mais au final, c’est toute l’équipe qui prend le réflexe de réfléchir à l’éthique de ses gestes. »

1- la loi a été transcrite dans le code de la santé publique, à l’article l.6111-1. À consulter sur : bit.ly/2ubylYr

2- voir des exemples d’avis sur le site du cHu de bourg-en-bresse sur : bit.ly/2zpwTRO

SAVOIR PLUS

→ Les recommandations de la Haute autorité de santé sur le questionnement éthique dans les établissements et services sociaux et médicosociaux : bit.ly/2nx3Oqw

→ Le rapport des états généraux de la bioéthique 2018 : bit.ly/2xsbe5x

INTERVIEW

AURÉLIE GENG Directrice adjointe de l’espace de réflexion éthique Bourgogne et Franche-Comté, responsable du réseau Cometh(1)

Qu’est-ce qui pousse les établissements à mettre sur pied un comité d’éthique ?

• Dans les années 2000, la majorité des comités d’éthique ont été créés dans le secteur sanitaire, souvent à l’initiative de membres du personnel. depuis les recommandations de l’agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (anesm), qui datent de 2010, on observe que le secteur médico-social s’est également lancé, mais souvent sur décision des directions, parfois pour obtenir une certification.

Quelles sont les recettes d’un comité qui fonctionne ?

• Il n’y a pas de mode d’emploi “clé en main”. On pourra s’assurer d’avoir un représentant de chaque profession de l’établissement, tout en veillant à ce que l’ordre hiérarchique soit aboli. il est intéressant de s’ouvrir à des personnalités extérieures, comme des juristes, des philosophes, etc., sans tout miser sur les universitaires, difficiles à recruter. il faut également garder à l’esprit la régularité des réunions, le rôle central de l’animateur, l’indépendance du comité au sein de l’établissement, ainsi que la communication sur son existence et ses missions.

Les comités d’éthique se justifient-ils dans tous les établissements ?

• Ce qu’on observe dans notre région, c’est que certains établissements ont fait le choix de mutualiser leurs instances éthiques, en créant un comité unique pour deux ou trois centres hospitaliers ou pour quelques ehpad. il arrive aussi que les comités d’éthique soient créés au niveau des organismes gestionnaires, comme la mutualité française, par exemple, et non au niveau des établissements. Enfin, on voit également apparaître des comités ou des groupes de réflexion éthiques indépendants. En tout état de cause, un certain nombre de comités locaux semblent être dans une phase de restructuration ou de renouveau.

Propos recueillis par lisette gries

1- Le réseau Cometh conseille et met en relation les comités d’éthique de la région Bourgogne – Franche-Comté.