Les coulisses de la recherche - L'Infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

FORMATION

MISE EN ŒUVRE

Anne Meyer-Dario*   Emma Martel**  

Se lancer dans la recherche est un long chemin, riche en satisfactions mais aussi semé d’embûches. Le découragement vous guette parfois. Aussi, mieux vaut être bien accompagné et soutenu. Anne Meyer-Dario et Emma Martel nous livrent les clés de la conduite de leur projet de recherche.

1. DES SOUTIENS ET UNE FORMATION

Le soutien des cadres de santé a été pour nous deux déterminant. Leur écoute et la prise en compte de nos questionnements ont permis de nous orienter vers des experts tels que l’équipe pédagogique du DU (diplôme universitaire) de Recherche en sciences infirmières et paramédicales, enseigné à l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped) de Bordeaux, ainsi que le groupe recherche du CHU de Bordeaux. Ainsi guidées, nous avons pu cheminer dans notre projet : journée de sensibilisation à la recherche pour l’une, ateliers de lectures bibliographiques au sein du CHU de Bordeaux et dans le cadre du DU pour les deux.

Le cadre privilégié du DU recherche

Le DU nous a permis de bénéficier d’un cadre propice pour développer nos projets respectifs. La question de recherche et l’objectif ont été définis durant cette formation, qui s’est avérée indispensable pour acquérir la méthodologie et avancer avec précision. Elle a permis à chacune d’avoir une lecture critique des publications scientifiques en lien avec le champ disciplinaire en question, de construire une revue de la littérature et une méthodologie en adéquation avec notre objet d’étude, avec, par exemple, le choix d’une étude randomisée multicentrique pour Emma Martel (lire p. 43). Les différentes techniques d’études et d’enquêtes acquises ont permis de trouver une réponse argumentée au questionnement initial. Nous avons en outre appris à présenter, à l’écrit et à l’oral, nos projets de recherche et à répondre à un appel à projets. Il peut s’agir d’appels de plus ou moins grande envergure, avec des taux de financement variés : projets lancés par le Groupement interrégional de recherche clinique et d’innovation (Girci) ou le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) du ministère de la Santé.

→ En outre, suivre ce DU est une opportunité d’enrichir sa réflexion et de s’ouvrir à d’autres domaines de compétence, les promotions, d’effectifs réduits, étant composées de professions paramédicales diverses : infirmiers, puéricultrices, kinésithérapeuthes, ergothérapeuthes, manipulateurs radio, etc. La rencontre avec d’autres professionnels tournés vers un objectif d’amélioration de la qualité des soins, associée à l’accompagnement par des experts de la recherche, a déclenché l’envie de mettre en place d’autres projets de recherche inspirés par les sujets des étudiants de la promotion ou par des thèmes rencontrés lors des lectures bibliographiques. Cela a pu être réalisé grâce à un accompagnement personnalisé par les formateurs, avec la combinaison d’une approche de terrain et méthodologique (tuteur clinique et méthodologique en lien avec le thème du projet d’étude, ainsi qu’un soutien important maintenant la motivation et l’implication, malgré la charge de travail durant le diplôme et dans les unités).

Des aides au-delà de la formation

Ce soutien a été poursuivi après le DU et assuré par le groupe recherche du CHU de Bordeaux et les tuteurs qui se sont rendus disponibles pour des conseils méthodologiques et des orientations. Par exemple : conseils pour les questionnaires et la réalisation du poster de l’étude Papove (Position assise pour les ponctions veineuses) ou mise en relation avec un biostatisticien et des étudiants en master de la faculté de Bordeaux. Les liens se maintiennent à différentes occasions, avec des colloques ou des interventions dans des Ifsi. La création, en 2018, d’une association regroupant les anciens étudiants du DU de recherche en soins infirmiers de Bordeaux, a permis de construire un réseau soutenant les projets et favorisant la diffusion de la recherche.

2. DES PARTENAIRES

Les partenaires œuvrant aussi pour l’amélioration de la qualité des soins auprès de l’enfant ont été contactés pour justifier, confirmer, étayer : des professionnels (psychologue, psychomotricienne, diététicienne) du CHU se sont rendus disponibles pour répondre aux questions lors des constats et hypothèses, pour obtenir des informations spécifiques à leur domaine. Par exemple : pour comprendre la diminution du stress de l’enfant en position assise, la psychomotricienne est venue observer le soin et conseiller des ouvrages sur le développement psychomoteur. Les associations Sparadrap et Pediadol ont également répondu rapidement aux sollicitations.

→ De même, les équipes soignantes ont participé aux enquêtes : observations sur le terrain pour l’étude sur les pratiques soignantes lors d’une ponction veineuse périphérique (lire p. 40). Les soignants du CHU de Bordeaux ont rempli volontiers les questionnaires et répondu rapidement. Pour les CHU extérieurs, le dépôt des questionnaires a été plus compliqué car il a nécessité des autorisations administratives et des sollicitations téléphoniques. Ce qui implique d’y consacrer beaucoup de temps et d’énergie. Grâce aux liens entre les cadres formés ou sensibilisés à la recherche et le groupe recherche du CHU Bordeaux, les échanges ont été facilités.

→ Pour le tournage de la vidéo, les soignants ont accepté d’emblée d’être filmés, conscients de l’intérêt et de l’amélioration du soin apportés par leur participation. La difficulté a résidé dans le fait de trouver des moments opportuns, en dehors d’une charge de travail importante dans l’unité.

→ Les parents ont répondu aux questionnaires et entretiens, acceptant d’être filmés avec leur enfant. Ils ont compris l’intérêt de la recherche car elle apporte un mieux-être à leur enfant. Leur coopération a constitué un moteur dans l’avancée du travail. La progression de chaque projet a été attentivement suivie, et leur partage d’expérience a été un enrichissement.

→ Quatre étudiants en master de santé publique à l’université de Bordeaux ont contribué à l’analyse des questionnaires, dans le cadre de l’étude Papove (lire p. 40), en utilisant les données recueillies au cours de la réalisation de leur mémoire.

3. DES FREINS ET DES DIFFICULTÉS…

Construire un projet de recherche nécessite une implication personnelle, de l’énergie et de la motivation. Face à la charge de travail intense dans les unités hospitalières et la méconnaissance des soignants du domaine de la recherche, il est parfois compliqué d’être disponibles et soutenues. De plus, certaines représentations des soignants sur la recherche génèrent des freins à leur investissement. Pour certains, ce domaine demeure réservé aux médecins. Pourtant, au travers des mémoires de fin d’étude des formations infirmières et de spécialité, l’initiation à la recherche est existante. Sur le terrain, elle reste peu développée et mal diffusée.

→ La durée de construction des deux projets de recherche, comme toujours, a été longue : réflexion et analyse de la problématique avant le DU durant deux à trois mois, élaboration et rédaction du projet durant la formation de neuf mois, puis mise en place et diffusion sur le terrain. Cette période a été teintée de doute et parfois de découragement. En effet, il a fallu allier la recherche théorique, les cours, les en quêtes et un mémoire avec, en parallèle, le rythme de l’hôpital. Sur le terrain, il a fallu solliciter les soignants, sachant qu’eux aussi sont absorbés par leurs propres tâches. La fatigue nous a parfois amenées à douter de notre résultat : « Aurons-nous l’énergie pour aboutir et convaincre nos équipes ? » Compte tenu de la charge en soins dans les unités, hormis les moments d’observation sur le terrain, le temps de travail a été essentiellement du temps personnel.

→ L’adhésion de l’équipe est indispensable. Il a fallu convaincre l’entourage professionnel et susciter l’intérêt. Le projet de l’unité ambulatoire étant déjà orienté vers le soulagement de la douleur, le sujet de recherche sur la position de l’enfant a été tout de suite reconnu comme utile et investi. L’unique frein pour l’hôpital de jour a été de trouver du temps pour les réunions d’informations et le suivi du projet.

→ Le parcours du chercheur est long et parsemé de frustrations car il faut être précis et fiable. La solitude est là, à chaque étape : revue de littérature, argumentation, traduction d’articles anglais, élaboration des questionnaires et écriture. Ces difficultés ont pu être aplanies avec l’aide des formateurs et tuteurs référents lors du DU et l’implication des équipes qui ont répondu présent, car les sujets abordent une problématique récurrente et parfois dérangeante.

Pour conclure, le parcours recherche nécessite un regard critique sur nos pratiques, de la persévérance, du travail et du soutien. Nos projets respectifs ont favorisé le changement et permis l’amélioration de la qualité des soins de l’enfant.