Des leviers d’action - L'Infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

PRISE EN CHARGE

DOSSIER

Quand l’usage d’un produit devient un problème au travail, de nombreux dispositifs et outils peuvent être mobilisés. Avec le souci du respect de la confidentialité.

Plus l’aide aux personnes qui ont un usage nocif de produits psychotropes sera précoce, plus le risque de la dépendance sera évité, estime le Dr Nicolas Bonnet, directeur du Réseau de prévention des addictions (Respadd). Le site du réseau(1), ou celui d’Addictaide(2), proposent des auto-questionnaires accessibles à tous. Le médecin traitant, celui du travail ou encore un cadre formé peuvent les suggérer lorsqu’ils identifient un besoin. Celui sur l’alcool « induit une diminution de 20 à 30 % de la consommation chez les personnes qui en ont un usage à risque (plus de deux verres par jour pour une femme et trois pour un homme) », ajoute Nicolas Bonnet. Un entretien avec un professionnel formé en renforce les effets. Le Respadd forme d’ailleurs des cadres de santé.

Le choix de l’éloignement

« Les soignants ont du mal à demander de l’aide ou à accepter celle qu’on leur porte », observe Emmanuel Granier, psychiatre à la clinique Belle-Rive de Villeneuve-lès-Avignon, dans le Gard (lire encadré). Ils peuvent pourtant consulter leur médecin traitant, se rendre dans un Csapa(3) ou un Caarud(4). Mais le risque de croiser des patients dans ces structures les empêche d’y recourir. Sur les Web, des infirmiers confient préférer les structures éloignées de leur lieu de vie et de travail… Pas question de consulter les professionnels de leur hôpital. La confidentialité des dossiers médicaux, entre soignants, n’est pas garantie à 100 %… Ce qui freine aussi l’évocation de consommations nocives ou à risque auprès des médecins du travail, pourtant tenus au secret médical. Lors des visites régulières, après un congé maladie ou maternité ou durant une consultation demandée par l’agent, « nous parlons systématiquement de tabac et d’alcool », remarque Maryse Salou, médecin du travail et coordonnatrice adjointe du service central de santé au travail de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Les médecins du travail peuvent pourtant proposer des documents de prévention et des tests d’auto-diagnostic ou orienter vers une prise en charge spécialisée, éventuellement une hospitalisation. À l’AP-HP, les équipes de santé au travail sont formées au RPIB, c’est-à-dire au repérage précoce (d’une consommation excessive de produits) et à l’intervention brève, un des axes du troisième plan santé au travail 2016-2020.

Le rôle du médecin du travail

Lorsqu’un cadre constate une addiction chez un agent sur son lieu de travail, il doit l’orienter immédiatement vers un médecin (d’astreinte, addictologue ou du travail), éventuellement pour l’écarter de son poste. Le médecin peut proposer un bilan sanguin. S’il n’est pas consulté au départ, le médecin du travail rencontre la personne pour évoquer l’addiction et l’orienter vers une prise en charge. Il la revoit systématiquement après un arrêt maladie. Selon le Dr Maryse Salou, ces entretiens ne doivent avoir pour but que d’évoquer la santé au travail de la personne et, au-delà, vérifier son aptitude à occuper son poste. Le médecin peut déclarer une inaptitude, temporaire ou non, organiser une reconversion ou le maintien au travail dans certaines conditions… Il n’a pas à participer à une procédure disciplinaire, menée par la DRH. Pour le médecin du travail, ces deux démarches se déroulent parallèlement.

1- www.respadd.org.

2- www.addictaide.fr

3- Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.

4- Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues.

SOIGNANTS EN SOUFFRANCE

Un seul lieu de soin en France

À la clinique de psychiatrie Belle-Rive, à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), une unité de dix lits – la seule en France – reçoit les soignants en souffrance, notamment pour addiction. Le plus souvent à l’alcool et aux opiacés.

« Notre programme est intensif », explique Emmanuel Granier, psychiatre et responsable de l’unité. En peu de temps, et en plus du suivi médical quotidien, il offre des groupes de parole et relaxation, un travail sur l’affirmation de soi, une prise en charge psychocorporelle…

Un traitement de substitution est parfois initié. « Ils font cohabiter addiction et impératifs professionnels, poursuit le médecin. Et un jour, la “mécanique” est devenue si fragile qu’un grain de sable, dans la vie professionnelle ou personnelle, la grippe. Quand ils arrivent ici, ils n’en peuvent plus. » Se retrouver à la place du patient suscite parfois de la honte ou de la culpabilité. Pour le Dr Granier, mieux vaut « demander de l’aide le plus tôt possible et s’arrêter dix jours, tant que les choses ne sont pas trop marquées. Plus tard, la pente sera plus dure à remonter. »