À l’origine de la recherche, « un étonnement »… - L'Infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

FORMATION

GENÈSE

Hélène Colau  

Dans les soins infirmiers, les projets de recherche naissent le plus souvent de situations vécues sur le terrain. Ce fut le cas pour Anne Meyer-Dario, puéricultrice(1), et Emma Martel, infirmière(2), exerçant en oncohématologie pédiatrique au CHU de Bordeaux.

1. INTERROGATION SUR LA CONTENTION PENDANT LES SOINS DOULOUREUX…

« Dans la recherche, tout part d’un étonnement, et donc d’une observation. Pour moi, le point de départ, ça a été l’envie de comprendre pourquoi la position dans laquelle se trouve l’enfant lorsqu’on réalise une ponction veineuse semble avoir un impact sur son comportement. » Anne Meyer-Dario n’est pourtant pas une débutante quand elle fait cette découverte empirique. Infirmière puéricultrice en oncohématologie au CHU de Bordeaux depuis 1986, elle a vécu « l’avant et l’après dans l’évolution des soins ». C’est-à-dire l’époque où les soignants se concentraient avant tout sur l’exécution du geste prévu, puis celle où ils ont commencé à accorder davantage d’attention au ressenti des jeunes patients.

La douleur et les moyens de la limiter, voilà un sujet qui préoccupe Anne Meyer-Dario de longue date, bien avant qu’elle ne songe à la recherche. Référente douleur au sein de son établissement, elle met en place, dès 2005, un projet autour de la distraction des patients. Avec ses collègues, elle développe aussi des techniques comme le massage et l’hypnose. « J’étais particulièrement sensible à la prise en charge des enfants, explique-t-elle. Or, dans mon service, j’ai observé qu’on réalisait régulièrement de la contention. Et cela, malgré des procédés médicamenteux, comme l’application de patches anesthésiants locaux, ou non médicamenteux, telle la distraction. Des situations nous obligeaient à maintenir les quatre membres et parfois bloquer le corps de l’enfant pour réaliser une ponction veineuse. » Le véritable déclic a lieu lors de Journées Pediadol, en 2011, quand le sujet de la contention et la violence dans les soins est abordé. Anne Meyer-Dario prend conscience du cercle vicieux dans lequel se retrouvent parfois pris les soignants : plus l’enfant bouge, plus on le tient, et donc plus il bouge à nouveau ! « Cela m’a fait réagir et je suis entrée dans la démarche de chercher des solutions. Je me suis dit qu’il fallait changer les choses, que c’était une question d’éthique. »

D’autant qu’elle a remarqué que l’agitation lors des ponctions veineuses périphériques – très utilisées dans son service – n’était pas une fatalité. Anne Meyer-Dario l’a noté en 2013, lorsqu’elle a dû réaliser ce geste invasif sur une petite fille de moins de 2 ans. « L’âge pic du problème d’agitation pendant les soins se situe entre 15 mois et 2 ans, explique-t-elle. Or, cette fois-là, je me suis rendu compte que la fillette se calmait lorsqu’elle était assise sur les genoux de sa maman. Même quand je la piquais, elle ne s’agitait pas ! On a alors testé plusieurs positions : assise sur sa maman, sur la table d’examen, demi-assise… Dans tous les cas, c’était plus efficace que la position couchée. J’ai dit à ma collègue : “C’est magique !” »

Dans le cadre de sa mission de référente douleur, avec le soutien de sa cadre, elle propose d’abord de développer un projet autour de la question de la contention. Sans formation à la recherche, elle commence par mener une étude comparative informelle. Elle teste toutes sortes de positions sur une vingtaine d’enfants, en utilisant l’échelle d’évaluation de la contention mise au point par des soignants, avec Bénédicte Lombar(3) (lire p. 52). « Cela nous a aussi fait prendre conscience, à moi et à mes collègues, de la situation : nous utilisions régulièrement la contention. Nous n’étions pas satisfaites mais nous n’avions pas d’autre solution car c’est ainsi que nous avions été formées. Il faut du temps pour changer les habitudes. »

Dans le même temps, sa cadre lui parle d’un groupe de recherche au sein du CHU de Bordeaux et l’incite à présenter son projet. Cet accompagnement méthodologique lui permettra d’affiner la question centrale de ses travaux. Ce sera « La position assise et le contact physique d’un parent améliorent-ils la réalisation d’une ponction veineuse chez un enfant âgé de 15 mois à 2 ans comparativement à la contention ? » Cette dernière évoluera ensuite, une fois entrée dans la démarche de recherche proprement dite, dans le cadre du DU de recherche qu’Anne Meyer-Dario suit en 2014, pour devenir : « Comment amener les soignants à utiliser la position assise ? » (lire p. 40). Une formulation qui rejoint sa préoccupation initiale : enfin changer les choses au sein de son établissement et, pourquoi pas, dans les autres centres hospitaliers…

2. … ET LE DÉVELOPPEMENT PSYCHOMOTEUR DE L’ENFANT ATTEINT DE CANCER

Changer les choses, c’est aussi l’envie d’Emma Martel, toute jeune infirmière en pédiatrie au CHU de Bordeaux, qui a également suivi le DU de recherche en soins infirmiers peu après l’obtention de son diplôme d’État, décroché en juillet 2014. « Lors de ma première année d’exercice, dans un service de médecine polyvalente, j’ai appris à réaliser beaucoup de soins techniques, se rappelle-t-elle. Mais il me manquait une dynamique d’apprentissage que j’appréciais tant lors de mes études, je voulais découvrir un nouvel univers. Je suis arrivée en oncohématologie pédiatrique en septembre 2015 et là, tout était nouveau : la pédiatrie et la cancérologie. »

La jeune femme a naturellement tendance à se poser beaucoup de questions. Mais une situation attire particulièrement son attention, peu après son arrivée dans le service. « Nous avons accueilli deux nourrissons de quelques semaines seulement, atteints de leucémie, ce qui est très rare. Cela nécessite de les placer dans une unité protégée, réservée aux enfants immunodéprimés ou qui vont être greffés. » Or, au CHU de Bordeaux, la nuit, les bébés sont séparés de leurs parents. « Dans l’unité, l’hypertechnicité due à la pluralité des traitements administrés aux enfants oriente le regard de professionnels vers l’aspect thérapeutique, mettant au second plan le développement psychomoteur de l’enfant, moins prioritaire pour combattre la maladie grave, déplore Emma Martel. Laquelle nous oblige à pratiquer des soins invasifs répétés, comme des ponctions lombaires, des myélogrammes, de fait perturbateurs pour le nourrisson. » En outre, l’environnement hospitalier ne favorise pas un développement psychomoteur optimal, avec ses bruits et ses lumières agressives. « Résultat : lors des transmissions, on constatait toujours des retards dans les acquisitions. Chez les tout-petits, mais également chez les enfants de 1 à 2 ans, par exemple au niveau du langage ou de la marche ! »

Lors de l’entretien d’accueil avec sa cadre, Emma Martel lui avait déjà mentionné son goût pour la recherche. Quelque temps plus tard, c’est donc elle qui lui parle du DU de recherche en soins infirmiers. À ce stade, même si elle n’a formulé aucune question précise, elle a déjà réalisé les observations qui vont guider sa recherche, entamée en janvier 2017. Elle commence par questionner des soignants d’autres CHU pour comprendre comment se passent les choses ailleurs, notamment là où les parents peuvent rester dormir. Puis elle effectue une revue de la littérature : elle découvre beaucoup de travaux sur la motricité, notamment en néonatologie, mais rien en cancérologie. Partout, les équipes constatent des troubles de l’oralité. « Cela m’a déstabilisée de voir que rien n’avait été fait sur le sujet. Des experts m’ont alors conseillée de m’appuyer sur les travaux réalisés dans d’autres secteurs et de les développer pour la cancérologie. La tâche s’annonçait difficile, mais passionnante ! »

Emma Martel décide immédiatement de s’appuyer sur l’approche sensori-motrice, créée dans le souci du confort du nourrisson. Il s’agit de penser et d’ajuster l’environnement et les soins dans le but de favoriser son adaptation, en utilisant la dystimulation, le positionnement, les sollicitations orales… Toujours avec une notion de plaisir pour l’enfant. C’est ainsi qu’après quelques tâtonnements, Emma Martel aboutit à une question de recherche pointue : « La mise en place d’une approche sensori-motrice des soins de soutien au développement a-t-elle un impact sur la prévention des troubles de l’oralité du nourrisson atteint de leucémie aiguë hospitalisé en secteur protégé ? » Un intitulé qui reprend tous ses questionnements de départ, à savoir comment faire pour que ces enfants malades ne subissent pas un retard dramatique pour leur vie future.

1- Au sein de l’unité pédiatrique d’alternatives à l’hospitalisation en oncohématologie, drépanologie, rhumatologie.

2- Unité d’hospitalisation conventionnelle et protégée.

3- « Audit 2009 réalisé à l’hôpital Trousseau sur l’utilisation de la contention », Revue Pediadol, p. 9, 2011.