L’émergence du patient traceur - L'Infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018

 

FORMATION

INTRODUCTION

Marielle Marbach Rouillard  

Ingénieur
Hospitalière, Direction de la Qualité et Gestion
des Risques, Hôpitaux Saint-Maurice (94)

L’expérience patient, plus fiable que la seule enquête de satisfaction, se base sur des faits et non des considérations. Elle est à l’œuvre dans la méthode du patient traceur.

1. LE DÉPLOIEMENT DES ENQUÊTES D’EXPÉRIENCE

Pionniers en la matière, les pays anglo-saxons ont la culture de l’expérience patient, que ce soit pour investiguer les soins primaires, la prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques ou l’après-hospitalisation. À titre d’exemple, au Royaume-Uni, pays précurseur, de vastes enquêtes nationales sont réalisées chaque année dans le cadre du NHS (National Health Service) Patient Survey Programme. La première, en 1998, concernait les médecins généralistes. D’autres ont suivi, sur les services d’urgence, de maternité, de santé mentale et, plus récemment, sur les soins hospitaliers de courte durée. Ces études utilisent des questionnaires et des méthodes de collecte de données standardisées, afin notamment de pouvoir comparer les établissements entre eux.

Aux États-Unis, le même type de démarche prévaut dans les enquêtes visant à mesurer l’expérience des patients lors de leur séjour hospitalier, lesquelles sont menées dans le cadre du Consumer Assessment of Healthcare Providers and Systems (CAHPS). Une analyse des initiatives internationales(1), publiée par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2011, nous instruit sur la diversité des thèmes d’investigation retenus par les États, qui concernent des secteurs particuliers tels que la cancérologie ou la chirurgie (mesure de la qualité des soins après une prothèse de hanche ou du genou, etc.).

Comparaisons internationales

À l’échelle internationale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans le cadre du projet HCQI (Health Care Quality Indicators), recueille régulièrement des indicateurs de la qualité des soins à partir d’une quinzaine de questions sur l’expérience des patients. Objectifs de l’organisation : comparer les gouvernances politiques des pays et favoriser ainsi la reporting des indicateurs de qualité et sécurité des soins sur la médecine de ville et les soins à l’hôpital.

Parmi les indicateurs testés figurent notamment ceux relatifs à la sécurité du patient, ou Patient Safety Indicators (PSI), calculés à partir du codage de l’activité -le taux de réhospitalisation en ambulatoire, par exemple. Les travaux de l’OCDE montrent les bénéfices à confronter le point de vue des professionnels à l’expérience du patient. Les thèmes investigués sont, généralement, l’accès aux soins, le respect des préférences des patients, la coordination des soins, l’information et l’éducation, le confort physique, le soutien émotionnel, la participation de la famille et la continuité des soins. Ces dimensions sont déclinées pour tout type de parcours de soin, quel que soit le pays.

La France, qui accuse un retard par rapport à ses voisins anglo-saxons, participe aux travaux de l’OCDE. À partir de 2008, elle a lancé ses premières enquêtes « expérience patient » : l’une sur la prise en charge de l’infarctus du myocarde, l’autre menée avec le Commonwealth Fund (CMWF) pour étudier la perception de la qualité et la sécurité des soins. Elle est conduite alternativement auprès du grand public, de patients porteurs de maladies chroniques ou de médecins généralistes. De 1 000 à 2 000 personnes par pays ont été interrogées dans le cas du public ou des patients, et de 500 à 1 000 dans le cas des médecins généralistes.

Le concept d’expérience patient

Comment expliquer cette suprématie des enquêtes d’expérience ? Selon plusieurs études internationales, la fiabilité des enquêtes de satisfaction apparaît discutable. Elles rapportent des taux de satisfaction globalement très positifs, en décalage avec le vécu du patient, donc surestimés. L’un des biais concerne notamment le moment où le patient remplit le questionnaire : il est content de rentrer chez lui après une hospitalisation et cela influence positivement ses réponses. Comme il est noté dans l’analyse déjà citée de la HAS : « Quand la satisfaction est mesurée, les individus évaluent plus leur perception des soins reçus à partir de leurs propres valeurs et besoins, que la qualité des soins reçus de manière neutre. » Autrement dit : un jugement positif ne renseigne pas vraiment sur la qualité des soins.

D’où l’idée de se tourner vers une nouvelle approche, fondée sur la notion d’expérience patient. Une définition, inspirée par le Beryl Institute(2), la décrit comme « l’ensemble des interactions d’une organisation de santé avec un patient et ses proches susceptibles d’influencer leur perception tout au long de leur parcours de santé. Ces interactions sont façonnées à la fois par la politique conduite par l’établissement et par l’histoire et la culture de chacun des patients accueillis. » Un concept bien distinct, donc, de celui de « satisfaction des patients », car « la satisfaction réfère au sentiment exprimé par les patients et fait partie des résultats des soins, tandis que l’expérience désigne l’interaction réelle des patients avec le système et fait partie des processus de soins (OCDE, 2002) »(3).

Détecter les failles

En s’intéressant non pas au jugement du patient mais aux aspects factuels, les questionnaires d’expérience patient ont démontré leur utilité pour cerner des failles dans l’organisation d’une prise en charge et définir des actions d’amélioration de la qualité des soins. L’enquête s’intéresse à ce qui s’est passé et comment le patient le décrit.

Prenons l’exemple d’un individu insatisfait des repas durant son séjour à l’hôpital. La simple évaluation de satisfaction à l’aide d’une échelle de valeur, allant de « tout à fait satisfait » à « pas du tout satisfait », n’est pas suffisante pour identifier les changements à apporter à la prestation. Une enquête sur l’expérience patient s’attachera à obtenir les causes de l’insatisfaction : est-elle liée aux horaires des repas, au manque de variété dans les menus ou à la température des aliments ? Au cours de l’entretien, le patient s’exprime sur les points problématiques de la prise en charge qu’il a relevés, il pourra aborder le fait que l’horaire du repas du soir, à 18 h, est trop tôt pour lui, surtout que le petit-déjeuner est servi à 8 h. C’est là la complexité de l’entretien avec le patient : les animateurs doivent avoir une écoute active, poser des questions complémentaires (en tiroirs), identifier des marges de progression potentielles pour ce service et en faire la synthèse pour en discuter avec les équipes médicale et soignante.

Pour conclure, les enquêtes expérience patient sont utiles à différents niveaux, notamment pour inspirer les politiques publiques des États, augmenter le pouvoir de choix des patients ou améliorer les pratiques professionnelles. Elles peuvent être conduites à l’échelle d’un établissement ou d’un service. Et c’est cette démarche qui est à l’œuvre dans la méthode du patient traceur.

2. UNE MÉTHODE D’AMÉLIORATION DES PRATIQUES

Depuis la deuxième itération de la certification, la HAS a fait de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) un axe prioritaire. L’EPP consiste à analyser son activité clinique au regard des recommandations professionnelles. Tous les établissements de santé doivent conduire des EPP en fonction de leurs secteurs à risque. La finalité est d’étudier la pertinence d’un acte thérapeutique, de diminuer les risques ou encore de développer un indicateur de pratique clinique.

Une double originalité

Le patient traceur, qui est une méthode d’EPP, vise à diminuer les risques. Il est complémentaire d’autres outils d’amélioration de la qualité et la sécurité des soins tels que la revue morbi-mortalité (RMM), l’audit clinique ou le chemin clinique. Selon la définition donnée par la HAS, il « permet d’analyser, de manière rétrospective, le parcours d’un patient de l’amont de son hospitalisation à l’aval, en évaluant les processus de soins, les organisations et les systèmes qui concourent à sa prise en charge ».

Cette méthode n’a aucune valeur statistique, elle investigue le contexte de la prise en charge d’un patient donné et elle n’est pas une analyse de pertinence des soins. À chaque patient traceur correspond un profil de prise en charge : rééducation d’une infection ostéo-articulaire sur prothèse ; césarienne en urgence ; parturiente à terme suivie en grossesse à risque ; patient insuffisant rénal chronique hémodialysé en médecine ; patient avec cancer digestif traité par chimiothérapie ; patient âgé hospitalisé après une fracture de membre inférieur ; patient âgé hospitalisé en soins de suite et de rééducation (SSR).

Comme le souligne la HAS dans son guide méthodologique(4), la méthode du patient traceur a une double originalité : « Elle prend en compte l’expérience du patient ; elle permet de réunir les professionnels de l’équipe autour de la prise en charge du patient tout au long de son parcours […]. Son approche pédagogique, sans jugement ni recherche de responsabilités, permet l’adhésion des professionnels et donc un déploiement pérenne de la méthode. »

Elle est d’ailleurs reconnue comme méthode de développement professionnel continu (DPC). Elle permet aux équipes d’apprendre, à partir de situations réelles, et favorise les échanges et la communication, d’une part, entre les acteurs de la prise en charge et, d’autre part, avec le patient acteur de celle-ci.

Une utilisation en continu

La HAS recommande aux établissements de santé d’utiliser la méthode du patient traceur en continu pour impliquer les équipes dans une dynamique d’amélioration et de sécurité des soins. Le fait que la méthode soit connue des professionnels de santé démontre que l’établissement a un programme d’EPP. L’avantage est aussi, pour les professionnels de santé, de se familiariser avec les outils méthodologiques, notamment les questions de la grille du patient traceur, proposée en annexe du guide de la HAS (lire pp. 50-52). Interrogés par les experts visiteurs, ils arrivent plus aisément à orienter leurs réponses sur ce qui est attendu lors de la certification.

Cependant la méthode du patient traceur a plutôt été vécue dans sa phase d’expérimentation comme un élément incontournable pour la certification, qui aborde les pratiques exigibles prioritaires (PEP). Ces dernières sont les processus les plus pertinents pour maîtriser la sécurité des patients. Il en existe une vingtaine - par exemple, la vérification de l’identité du patient à toutes les étapes de sa prise en charge ou la prise en charge médicamenteuse.

3. L’EXPÉRIMENTATION DU GUIDE « PATIENT TRACEUR »

Cette nouvelle méthode a suscité des inquiétudes. Que fallait-il en attendre sachant qu’il existait déjà des outils d’amélioration de la qualité des soins tels que les chemins cliniques, les audits processus ou les analyses des risques ? La HAS inventait un nouvel outil, alors que les professionnels du terrain n’avaient déjà plus assez de temps pour l’écoute et la prise en charge des patients…

Les conclusions de l’expérimentation, menée en 2014 par treize établissements de santé, ont en effet révélé que l’appropriation du guide du patient traceur a demandé d’y consacrer du temps, notamment pour former les équipes, s’essayer à l’entretien du patient et à celui avec l’équipe médico-soignante. Certains établissements avaient missionné une personne à temps plein ou encore confié à un stagiaire qualité les tâches de planification des entretiens et la rédaction des documents. Après le temps d’appropriation du guide du patient traceur et la mise au point de documents, les équipes ont reconnu les avantages de la méthode :

- la discussion pluridisciplinaire, bénéfique pour prendre du recul sur ses pratiques ;

- la possibilité d’aborder la prise en charge dans sa globalité et la prise en compte des aspects des droits du patient qui ont pu être laissés de côté ;

- la reconnaissance des points positifs de la prise en charge des patients ;

- l’accueil très positif des patients à qui l’entretien est proposé ;

- les éléments d’analyse propres à un parcours de patient, qui permettent de rechercher des améliorations pour d’autres patients ;

- une approche adaptée à l’analyse de parcours de patients en psychiatrie et santé mentale dont la prise en charge est à majorité ambulatoire ;

- la possibilité de mettre en place des actions d’amélioration, notamment en termes de communication et d’échanges d’informations entre professionnels, évitant ainsi des ruptures dans le parcours.

Ils ont également reconnu les limites de la méthode : -?elle est chronophage : elle nécessite un temps de préparation important pour le coordonnateur de la démarche (rodage et sensibilisation nécessaires) ;

- pour les professionnels de terrain, il est complexe d’adapter les questions de la grille donnée par la HAS pour le patient sélectionné ;

- le lien des conclusions d’un patient traceur avec l’amélioration de la prise en charge pour les autres patients est difficile à faire ;

- la difficulté à réunir l’ensemble des professionnels de la prise en charge d’un patient à cause de leur manque de disponibilité ;

- la reconstitution d’un parcours, remontant à de nombreuses années ou trop complexe, peut être fastidieuse. Elle nécessite un recentrage de son analyse. Une partie du parcours ou un segment de prise en charge peut alors être étudié ;

- la tentation peut être grande de choisir un parcours trop simple ou un patient trop conciliant. Or, la démarche a un intérêt limité si le parcours sélectionné ne répond pas à une situation reconnue comme complexe et problématique par le médecin ou tout autre professionnel en lien régulier avec le patient ;

L’expérimentation du patient traceur, en 2014, a permis une actualisation du guide en apportant des précisions sur l’implication possible des représentants des usagers, sur l’identification des actions d’amélioration et en simplifiant les deux questionnaires « patient » et « équipe pluri-professionnelle ».

1 - « Mesure de l’expérience du patient. Analyse des initiatives internationales », Inserm, HAS, avril 2011.

2 - Définition développée sur : bit.ly/2H5BicB

3 - PDF à lire sur : bit.ly/2EiXCfX

4 - HAS, « Guide méthodologique à destination des établissements de santé - Certification V 2014 ».

REPÈRES

Patient traceur et loi de modernisation

Il existe des liens primordiaux entre les lignes directrices de la loi de modernisation et la grille d’évaluation du patient traceur.

→ L’implication du représentant des usagers : le représentant des usagers (RU) a vu son rôle au sein des établissements de santé considérablement s’étendre au cours des dernières années. Il participe aux réunions des instances, donne son avis sur la politique d’amélioration de la qualité et la sécurité des soins, participe aux commissions des usagers. L’évolution du rôle des RU et des usagers dans le système de santé va dans le sens d’une implication croissante, l’objectif étant que les résultats des démarches d’amélioration des hôpitaux soient visibles des patients eux-mêmes au cours de leur séjour. Le regard de l’usager apporte une analyse pragmatique sur le fonctionnement de l’hôpital. En interrogeant le patient sur son expérience de son séjour à l’hôpital, c’est cette analyse qui est recherchée.

→ Mieux informer, mieux accompagner les usagers dans leur parcours de santé : le décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au projet territorial de santé mentale, fixe des priorités auxquelles doit répondre chaque projet territorial, parmi lesquels l’accès aux soins somatiques des personnes présentant des troubles psychiques. Les établissements de santé concernés par cette prise en charge utilisent la grille du patient traceur de manière à vérifier que le bilan somatique du patient est tracé au cours de sa prise en charge.

→ Renforcer les outils proposés aux professionnels pour leur permettre d’assurer la coordination du parcours de leur patient : la grille du patient traceur comporte une rubrique « coordination des soins ». À l’occasion du patient traceur, les outils mis en œuvre pour la coordination des parcours, telle que la lettre de liaison entre l’hôpital et le médecin traitant ou encore la préparation de la sortie, sont analysés au fil des questions de la grille du patient traceur. En cas d’utilisation du dossier pharmaceutique, ce point est investigué également pour savoir ce que pense le patient de l’information qui lui a été donnée sur son traitement.