PEUT-ON DÉNONCER LES MALTRAITANCES ? - L'Infirmière Magazine n° 389 du 01/01/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 389 du 01/01/2018

 

VIOLENCES INSTITUTIONNELLES

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Hélène Colau  

Après avoir rapporté des violences sur des enfants handicapés dans un institut médico-éducatif, une lanceuse d’alerte vient d’être relaxée par la justice. Un procès qui pose la question du signalement des maltraitances institutionnelles.

Laurence Mazé

« Il ne faut surtout pas court-circuiter l’échelon de l’établissement »

Que dit la loi sur le signalement des maltraitances dont on est témoin ?

Un récent arsenal(1) est venu renforcer l’incitation à signaler les événements indésirables graves dans les établissements médicosociaux, qui existait déjà depuis 2002. Un protocole est désor mais inscrit dans la loi : tout salarié, soignant ou non, qui cons tate une maltraitance, doit immédiatement avertir son supérieur hiérarchique, qui en informe le directeur d’établissement, lequel doit déterminer ce qui relève ou non de la maltraitance. La situation est donc analysée en interne, idéale ment en cellule de crise, et en entendant toutes les parties concernées. En fonction de la gravité, celui-ci peut réaliser un signalement à l’ARS ou au conseil départemental. Et selon les éléments à disposition, ils peuvent décider d’informer le procureur de la République, qui peut diligenter une enquête de police.

Et si cela ne suffit pas ?

Dans certains cas, le signalement à la hiérarchie n’est pas suivi d’effets. Le soignant ou le membre de la famille se doit néanmoins de porter assistance à la personne qu’il sait en danger. Si on donne l’alerte plusieurs fois et qu’il ne se passe rien, on a le devoir d’insister et remonter au directeur général de l’association gestionnaire de l’établissement qui, lui, a l’obligation d’agir. S’il ne le fait pas, il existe un risque d’inspection, voire de médiatisation de la situation : chercher à la masquer peut se retourner contre lui.

Sensibilisez-vous vos équipes au sujet de la maltraitance ?

C’est un point à travailler collectivement au sein des établissements. Connaître le processus de signalement est important, mais c’est encore mieux de réfléchir ensemble, en amont, à ce qu’est la maltraitance. Sa définition est assez large : la violence physique, par exemple, est très repérable, mais elle peut aussi être psychologique, voire médicamenteuse – par exemple, abuser de traitements neuroleptiques pour éviter des troubles du comportement. En fonction de ses croyances et valeurs, on n’a pas tous le même regard sur une situation.

Peut-on décider de s’affranchir de la procédure et devenir  lanceur d’alerte ?

La remontée de ce type d’événement doit suivre la voie prévue pour que les mesures destinées à protéger la victime et les personnes potentiellement exposées puissent être prises rapidement. C’est l’objectif prioritaire ! C’est pourquoi il ne faut surtout pas court-circuiter les échelons de l’établissement et de l’association, habilités à agir. Par ailleurs, les collaborateurs ont une obligation de confidentialité quant aux informations à leur disposition. Et pour les soignants, il existe un secret profes sionnel. Pour autant, si on a fait remonter un dysfonctionnement à maintes reprises, qu’on l’a formalisé par écrit et qu’il ne se passe rien, on a le droit d’en référer aux autori tés s’il y a mise en danger d’une personne vulnérable. Mais le statut de lanceur d’alerte obéit, lui aussi, à un circuit d’information défini : on ne peut pas se prévaloir de cette étiquette tous azimuts. Si le cadre actuel me semble suffisant, on peut envisager des dispositifs complémentaires sur le volet préventif, comme des analyses de pratique, pour voir ce qui peut faire basculer un soignant dans une situation de maltraitance malgré lui.

Alain Koskas

« Les lanceurs d’alerte doivent à tout prix être protégés »

Quelle doit être l’attitude d’un soignant témoin de maltraitances ?

D’abord, il faut apprendre à les repérer. Au domicile, c’est parfois complexe car les maltraitances sont souvent le fait d’un proche, d’un « ami », et une intervention pourrait être perçue comme une rupture du contrat familial et amical, avec pour effet de replonger la personne dans la solitude. Depuis les récentes lois, parler est cependant devenu obli ga toire. Si l’on travaille dans une ins ti  tution, il faut signaler à son supérieur tout soupçon de maltraitance, voire au procureur de la République ou à la police en cas de risque avéré pour la vie de la personne. Ce n’est pas un problème car, dans ce cas, la loi libère le professionnel de tout secret professionnel.

Les soignants réalisent-ils beaucoup de signalements au 3 977 ?

Les appels proviennent plutôt de proches ou du voisinage, mais parfois aussi de soignants. Ceux-ci ne sont pas seulement les appelants, ils peuvent aussi être les prédateurs ! Mais le coup de fil n’est que le début d’un long processus, car un signalement ne veut pas forcément dire qu’il y a eu maltraitance : sur les 55 000 à 60 000 appels que nous re cevons chaque année, la moitié concernent en réalité une simple souffrance. Pour y voir clair, nos écoutants – souvent d’anciens soignants – doivent prendre le temps d’analyser la situation. L’enquête peut durer des mois, le temps de dresser un tableau précis de la situation. Il est difficile d’avoir de vrais chiffres sur la maltraitance, qui me semblent aujourd’hui très sous-estimés. Quoi qu’il en soit, la maltraitance physique est en augmentation et l’on voit aussi apparaître des « cocktails », combinant violence physique et psychologique.

Que pensez-vous de la prise en charge des personnes vulnérables dans les établissements français ?

Il va falloir changer de paradigme. Le manque de temps du personnel laisse peu de place au lien social, celui-là même qui permet de parler. Si l’on donnait davantage de temps au personnel soignant, cela éviterait qu’il se réfugie dans une logique de technicien et laisse de côté l’essentiel, le care. Ce serait le seul moyen d’entendre les souffrances, d’avoir les dispositions mentales de les écouter. Pour dénoncer les maltraitances, il faut un émetteur et un récepteur.

Les lanceurs d’alerte ont-ils un rôle à jouer ?

Ils doivent à tout prix être protégés par la loi, car ils sont très rarement de mauvaise foi. Il existe des procé dures de signalement, certes, mais sont-elles toujours efficaces et con nues ? Comment faire quand on constate que rien ne bouge et qu’on voit des situations se chroniciser ? La lutte contre la maltraitance est un défi qui se pose aujourd’hui aux gouvernements. Il y a des mesures à mettre en place, à commencer par reconnaître que les aidants ont be soin de plus de temps. Par ailleurs, il faut changer nos habitudes d’accompagnement : souvent, dans les Ehpad, c’est la course le soir car il faut que tout le monde soit couché à 21 h, ce qui peut mener à des maltraitances… Or, on peut décider de mieux étaler les activités sur la journée ! Certains pays, comme le Canada, l’ont bien compris. Nous gagnerions à travailler sur les at ten tes des personnes vulnérables, dont les priorités ne sont pas forcément celles qu’on croit.

1- En particulier le décret de décembre 2016 : bit.ly/2iz8QDD

LAURENCE MAZÉ

ADJOINTE DE LA DIRECTRICE DU PÔLE GESTION DES ORGANISATIONS DE NEXEM

→ 2000 : responsable qualité dans une clinique en Vendée

→ 2002 : conseillère qualité à la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles (Fegapei)

→ Janvier 2017 : rejoint Nexem, organisation professionnelle des employeurs du secteur social et médico-social

ALAIN KOSKAS

PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION 39 77 CONTRE LA MALTRAITANCE

→ 2011 : président du Réseau Euro-Québec de coopération autour de baluchon Alzheimer

→ 2013 : président de la Fédérationinternationale des associations de personnes âgées (Fiapa)

→ 2016 : président de la Fédération 39 77 contre la maltraitance

POINTS CLÉS

→ Le 21 novembre, le tribunal correctionnel de Toulouse a relaxé Céline Boussié, ex-salariée de l’institut médico-éducatif de Moussaron (Gers), poursuivie pour diffamation après avoir dénoncé les conditions d’accueil des enfants handicapés dans cet établissement. En 2015, sur Europe 1, elle regrettait que l’ARS Midi-Pyrénées donne à l’IME un agrément pour créer un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad). « Je ne souhaite à aucun parent que des enfants en situation de handicap vivent ce calvaire, avait-elle déclaré sur LCI. Je parle de décès, de manque de soins, de camisole chimique, d’enfants attachés, enfermés. »

→ Cette « maltraitance institutionnelle » n’a donné lieu à aucune sanction pénale : les plaintes des salariés et des résidents ont été classées sans suite. Ce procès posait donc la question des « lanceurs d’alerte », qui attirent l’attention sur les violences institutionnelles d’une façon non prévue par les textes.