Hôpital, formule gîte et couvert - L'Infirmière Magazine n° 389 du 01/01/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 389 du 01/01/2018

 

CONFORT

DOSSIER

Clarisse Briot  

La concurrence, le développement de l’ambulatoire et les exigences des patients incitent les établissements de santé à renouveler leur approche du confort et des services hôteliers. Avec quels bénéfices ?

Des « cocons » plutôt que des box, des espaces évoquant l’« univers lounge et l’atmosphère feutrée » de l’hôtellerie, avec des « matériaux nobles » et une ambiance « comme à la maison » : bienvenue dans l’espace de chirurgie ambulatoire de l’hôpital privé du Confluent, à Nantes. « On donne au patient un déshabilloir, comme au spa, puis il rejoint son alvéole, décrit Fanny Séguin, directrice marketing et relation client du groupe. Après son intervention, il a accès à une salle de collation digne d’une salle de petit-déjeuner d’un hôtel. Les patients n’en reviennent pas : ils n’ont pas l’impression d’être à l’hôpital. » Cet espace innovant, répondant aux codes hôteliers plus qu’hospitaliers, fait des émules. « Des délégations françaises et étrangères viennent nous voir, y compris du public », se félicite-t-elle. Il faut dire que ces cocons ne sont pas que cosys. « En passant des blocs à ces alvéoles, on réduit les temps de parcours donc on augmente la rotation et la capacité d’accueil. »

Tarification à l’activité, virage ambulatoire, séjours plus courts et recherche de recettes nouvelles : dans cet environnement contraint, les hôpitaux jouent de plus en plus la carte du confort et des services aux patients. « Dans un contexte de compétition accrue au plan national mais aussi international, les établissements publics comme privés doivent trouver le moyen de se différencier, décrypte Xavier Pavie, professeur d’innovation à l’Essec et qui écrit sur l’expérience client appliquée au domaine de la santé. Ils ne peuvent ni le faire sur le plan technique ni par le prix. Reste donc une option : apporter quelque chose d’autre au patient. Du confort, un bon accueil, le plaisir d’être dans un lieu… » Des motivations économiques qui rejoignent une évolution sociologique. « Aujourd’hui, le patient-client a un avis sur tout, pointe le spécialiste. Quand il sort de l’hôpital, ce qu’il retient, ce n’est pas seulement que son opération s’est bien passée, mais que les infirmières étaient sympas, le repas chaud. Et il le répète, le partage sur les réseaux sociaux. Il est encouragé à le faire dans tous les compartiments de sa vie. Alors, pourquoi pas sur son séjour à l’hôpital  »

De nouveaux services « tendance »

Les critères non médicaux pèsent ainsi de plus en plus dans l’expérience patient à l’hôpital, même s’il restent secondaires au regard de la qualité de la prise en charge(1). Le secteur privé a pris les devants, proposant des chambres haut de gamme, avec room service, soins esthétiques, repas gastronomiques ou peignoir personnel. Plus récemment, les établissements privés à but non lucratif et les hôpitaux publics, culturellement plus imperméables à la notion de marketing, s’y mettent.Venu de l’hôtellerie, Philippe Mayjonade a ainsi débarqué au CHRU de Lille il y a quatorze ans avec un challenge : y créer une division hôtelière. « L’établissement voulait proposer une offre hôtelière de qualité, se souvient le directeur hôtelier. On ne le formulait pas encore ainsi, mais c’était les prémisses d’une stratégie d’attractivité. » À son arrivée, il découvre « un petit hôtel de 3 000 lits » et prend la mesure du défi. Du simple rafraîchissement des chambres - « j’ai bataillé pour obtenir une enveloppe financière dédiée » - à l’attention portée à la qualité de la literie, au design du mobilier, à la luminosité… Un travail sur le confort est mené. Aujourd’hui, le directeur hôtelier mise sur l’amélioration des lieux de vie autour des boutiques ainsi que des zones d’attente et de circulation dans l’hôpital. « Je suis chargé de créer des espaces d’évasion du monde médical », résume-t-il. Le CHRU n’a pas non plus oublié de prendre le virage numérique, installant, dès 2009, 2 000 terminaux multimédias au pied des lits des patients.

Les services numériques sont, avec les prestations de conciergerie (livraison de colis en chambre, soins bien-être, organisation de garde d’enfants ou d’animaux, etc.), les deux services « tendance » auxquels les établissements s’intéressent. Des start-up l’ont bien compris. « Le patient souhaite retrouver à l’hôpital les services qu’il utilise tous les jours chez lui, comme Spotify ou Netflix », explique Julien Artu, fondateur du réseau social My Hospi Friends et initiateur d’un livre blanc qui explore les attentes des patients en matière de services non médicaux. Créé en 2013 pour pallier l’ennui, My Hospi Friends est présent dans une soixante d’établissements, publics et privés, et propose désormais, outre un espace de discussion gratuit, des services pratiques et de divertissement, certains payants(2). L’hôpital Foch, dans les Hauts-de-Seine, a été le premier à l’adopter. Un « déclic », selon Valérie Moulins, la directrice de la communication, pour engager une réflexion globale, avec des projets d’aménagement et de numérisation, comme une application mobile de réclamation active de 8 h à 20 h, en lien avec le service Qualité. L’idée étant d’accélérer la prise en compte des problèmes, quelle que soit leur nature. « Les patients souhaitent une chambre à un lit mais aussi tous les services que l’on trouve hors hôpital, confirme Stéphane Pardoux, directeur général du CHI de Créteil. La conciergerie nous permet de proposer un large panel de prestations et, ainsi, de valoriser nos chambres. » Comme une trentaine d’établissements en France(3), l’hôpital de Créteil a fait appel à Happytal(4), une plate-forme de conciergerie conçue pour l’hôpital public par deux entrepreneurs. « Nous avons en tête les contraintes d’hygiène et de sécurité, indique Pierre Lassarat, son co-fondateur. Ainsi, avant chaque rendez-vous bien-être, on s’assure que la personne peut rester assise pendant une heure. Et nos tarifs sont accessibles au plus grand nombre.(5) »

Bénéfices pour les patients et les soignants

Si les éléments de confort hôtelier sont des leviers d’attractivité, ils présentent aussi - on l’oublierait presque - des bénéfices pour le soin. « La stratégie hôtelière est souvent vue sous le prisme de la rentabilité à court terme. Ce n’est pas notre approche, souligne Thibaut Tenailleau, directeur de l’hôpital Forcilles-Cognacq-Jay qui accueille, en Seine-et-Marne, des patients atteints de maladies chroniques lourdes. Nous n’essayons pas d’aller chercher de petits bouts de recettes ici ou là. » Racheté en 2015 par la Fondation Cognacq-Jay, l’hôpital, qui bénéfice d’un cadre naturel verdoyant, veut seulement proposer des chambres particulières et de beaux parcs. « C’est un postulat : le confort a un impact sur le stress. L’environnement participe de la thérapeutique. »

Les soignants tirent aussi avantage de conditions hôtelières et des services proposés aux patients. « La conciergerie facilite la relation soignant-soigné, observe Élisabeth Deletang, coordinatrice générale des soins à l’hôpital de Créteil. Il a aujourd’hui une solution rapide à donner au patient pour les questions relatives à son confort. Avant, le soignant ne savait pas répondre. » Des locaux neufs, modernes, vastes et lumineux, de la décoration ou des aménagements influent aussi positivement sur le travail des soignants. « On est tellement dans un contexte où il faut aller vite que, plus les patients se sentent bien, mieux c’est pour nous, car ils sont mieux disposés aux soins, témoigne Alexandra, infirmière aux urgences pédiatriques à l’hôpital d’Argenteuil, satisfaite de l’arrivée de jeux, de plafonds colorés et de lecteurs DVD dans le service. L’hôpital est anxiogène, austère. De petits bonus peuvent changer la prise en charge. »

Quel coût ?

L’amélioration des standards de confort et les nouveaux services ont un coût. Les hôpitaux publics, dont les investissements sont contraints, doivent diversifier leurs ressources et faire preuve d’inventivité (lire p. 24). Quant aux patients, d’aucuns peuvent craindre des inégalités de traitement, en raison des prestations que le malade sera en mesure, ou non, de s’offrir. La chambre particulière est un exemple criant. « Pour pouvoir vivre, l’hôpital se rabat sur la facturation des chambres particulières. Le désengagement de l’État, c’est le patient qui le paie », déplore Sarah Desnier, infirmière et représentante CGT au CH de Niort, qui mène un combat contre la facturation abusive en psychiatrie, où le confort, qui plus est, n’a rien d’une évidence. Un point de vigilance important, également soulevé par les associations représentatives des usagers (lire p. 23). De plus en plus payants, également, les parkings des hôpitaux. Une politique qui n’apparaît pas franchement « hospitalière ». Ainsi, depuis le mois de novembre, les patients du CHU de Toulouse stationnant sur le site de Purpan doivent s’acquitter, après une première heure gratuite, de 1,80 € pour la durée de leur séjour, tandis que les visiteurs payent 3,20 € pour cinq heures de stationnement, et crescendo au-delà. À Pau, le projet de tarification du stationnement a dû être abandonné face aux résistances(6). Pour Xavier Pavie, le coût n’est cependant pas un écueil. « Les clients sont prêts à payer pour obtenir ces services. La question est de savoir quels services on développe pour quelle cible. Il faut segmenter. C’est le choix que font un grand nombre d’hôpitaux dans le monde. » Une perspective disruptive - pour employer un terme à la mode - s’agissant de l’avenir de l’hôpital public généraliste.

Ces évolutions ne doivent pas faire oublier que l’hôpital reste confronté à la précarité et à la vulnérabilité. L’accueil des plus pauvres, qui est resté durant des siècles attaché à la mission de l’hôpital, n’a pas disparu du paysage. Les services d’urgences (lire p. 25) sont en première ligne pour appréhender les réalités sociales.

1 - Selon un sondage « Patients, comme vous avez changé ! », réalisé par Odoxa avec Unicancer et Sham en 2017, le premier critère de recommandation d’un établissement est le traitement au plan humain (43 %), suivi de l’efficacité de la prise en charge (38 %) et des services hors soins médicaux (9 %).

2 - Abonnement Netflix ou Deezer avec un mois offert, par exemple, coiffure en chambre, etc.

3 - Parmi lesquels, l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, les Hospices civils de Lyon, les CHU de Nantes, Reims, Nice, etc.

4 - Voir la rubrique Initiative de L’Infirmière magazine n° 366.

5 - À titre indicatif, cela va de la livraison d’un journal à 80 centimes à la séance d’une heure de réflexologie à près de 70 €, prix équivalents à ceux appliqués hors hôpital.

6 - Une pétition à l’initiative de la CGT a récolté 10 000 signatures.

VIRAGE AMBULATOIRE

Une halte par l’hôtel hospitalier

Onze chambres, des espaces communs chaleureux (salle à manger, cuisine équipée, coin télévision), wifi : la maison hospitalière du CHU de Nantes, installée sur le site de l’Hôtel-Dieu, s’affranchit des codes. Gérée par une association, elle accueille depuis septembre 2016 des patients et/ou leurs accompagnants venus - souvent de loin - pour une consultation, des soins ambulatoires, ou en pré et post hospitalisation. Une solution d’hébergement confortable et moins onéreuse que l’hôtellerie privée (de 25 à 60 € la nuitée). « C’est une démarche d’accompagnement du virage ambulatoire : les patients et leurs proches n’ont ainsi pas à rentrer à l’hôpital pour le temps où ils n’ont pas à y être, explique Paul-Antoine Lehur, chirurgien qui a participé à sa conception. Ce lieu permet une meilleure préparation psychologique du patient avant son intervention. Il passe la nuit d’avant, souvent stressante, dans un cadre agréable et calme. » Le CHRU de Lille a été précurseur, ouvrant une structure similaire dès 2009. Une expérimentation nationale vient d’être lancée pour trois ans. Les candidatures de 41 établissements (dont le CHU nantais) ont été retenues.