RETROUVER LE PLAISIR DE MANGER - L'Infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017

 

DÉNUTRITION EN EHPAD

ACTUALITÉS

FOCUS

Lisette Gries  

Pour lutter contre la dénutrition des personnes âgées, notamment en Ehpad, une formation et une certification Afnor ont été mises en place, il y a un an, à Amiens. Petit à petit, les soignants adoptent les bons gestes et les transmettent à leurs collègues.

Dans le cadre d’audits et d’évaluations qu’elle a menés dans des Ehpad, Annie Rodier, consultante pour le cabinet TLC, basé à Amiens (Somme), a rencontré des situations affolantes. « Certaines personnes ne reçoivent pas de repas le soir pour éviter une « fausse route » à une heure où les infirmières ont fini leur journée. D’autres sont quasiment toujours oubliées lors des distributions de bouteilles d’eau… Les cas de ce genre ne sont pas si rares », alerte-t-elle. Elle relève de nombreux dysfonctionnements entourant les prises alimentaires des résidents qui, dénutris, voient leur état de santé se dégrader plus vite.

Bien souvent, les repas présentés, notamment sous forme mixée, re butent les patients. « Pour gagner du temps, on mélange entrée, plat, dessert et médicaments en une seule purée, s’indigne Annie Rodier. Il me semblait essentiel de sensibiliser le personnel aux enjeux d’une nutrition adaptée aux personnes âgées. »

Elle a donc élaboré, en partenariat avec l’Association française de normalisation (Afnor), une formation spécifique de vingt-huit heures(1), pouvant déboucher sur une certification « référent nutrition »(2).

Les spécificités des personnes âgées

L’accent est mis sur la physiopathologie des personnes âgées, ainsi que sur les mécanismes et risques de la dénutrition. « Il est important de comprendre les réactions physiologiques : pourquoi les patients âgés ne ressentent plus la soif, pourquoi ils ont plus souvent besoin d’uriner, pourquoi le manque de protéines augmente le risque de chute », souligne Annie Rodier. Présentation des repas, aménagement de salles à manger agréables, ergothérapie… les modules incluent également des notions réglementaires et les systèmes d’alerte institutionnels.

Proposée en interne et en externe, cette formation a vu le jour en septembre 2016. Un an plus tard, 22 personnes ont obtenu leur certification par l’Afnor. « À l’issue de la formation, ou au plus tard dans les trois ans, il est possible de passer un examen certifiant, sous forme de QCM », précise Séverine Micheau, responsable du pôle certification des personnes de l’Afnor. Les candidats doivent justifier de deux ans d’expérience en Ehpad, en gériatrie ou en soins à domicile auprès des personnes âgées. « Un tiers des personnes qui suivent la formation ne passent pas l’examen », souligne Annie Rodier. Et ce, pour des raisons financières, logistiques, voire par peur de l’examen. La certification est délivrée pour trois ans et est renouvelable sur justificatifs.

Plaisir et besoins conciliés

Au sein du pôle gériatrie du CH de Saint-Quentin (02), neuf soignants, IDE et AS, ont été certifiés à l’automne 2016, afin qu’il y ait un référent par étage. « Je regarde, à la fin des repas, ce qui n’a pas été mangé et je cherche pourquoi », témoigne Sabine Petiteaux, aide-soignante en médecine gériatrique. En début de semaine, les familles sont sollicitées pour donner des indications sur les goûts de leur parent âgé. « Ils ont plus d’appétit quand on leur propose ce qu’ils aiment », ajoute l’aide-soignante. « On peut aussi faire des adaptations en attendant le passage de la diététicienne, complète Isabelle David, IDE en soins de suite et de réadaptation. On peut enrichir les repas afin qu’ils correspondent aux besoins des patients, pour éviter de leur donner trop de compléments alimentaires ou leur proposer des repas fractionnés pour répartir les prises dans la journée. »

À chacun ses petits plats

Servir des textures adaptées, mais avec une différenciation des goûts et des couleurs, est un autre moyen de faire retrouver le plaisir de manger. « Nous avons des patients pour qui l’utilisation des couverts est devenue compliquée. Nous leur proposons alors des repas entièrement composés de petites tartelettes et de mini-cakes, qu’ils peuvent manger avec les doigts », souligne Cathy Jazdonczyk, cadre de santé.

Investies dans leur rôle de référentes nutrition, les soignantes échangent avec les familles afin de leur transmettre quelques notions de base, qui pourront servir à domicile. Des groupes de travail sont également mis en place pour sensibiliser les personnels des maisons de retraite implantées aux alentours. « Avec ce programme, nous voulons agir pour la dignité des personnes âgées. La question suscite un intérêt grandissant et l’on ne peut que s’en réjouir », conclut Séverine Micheau.

1 - La formation et la certification sont payantes. Elles peuvent entrer dans le plan de formation annuel de l’employeur, mais pas être prises en charge dans le cadre du compte personnel de formation (CPF).

2 - D’autres formations du même genre existent en France, mais elles ne sont pas assorties d’une certification.