Parcours sans épine pour les Roses - L'Infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 388 du 01/12/2017

 

RALLYE SOLIDAIRE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Véronique Bury  

Du 11 au 22 octobre, le Trophée Roses des sables, rallye-raid 100 % féminin, a traversé le désert sud-marocain. Cette année, seize infirmières ont pris le départ de cette 17e édition, dont quatre équipages 100 % IDE, qui composaient la « Team Santé Solidarité ». Un défi sportif et humanitaire, chargé en émotions.

Laisse glisser… Laisse glisser ! Laisse glisser ! » Une main sur la portière, vitre baissée, tête sortie, Christel Kapera tente de guider sa co-équipière, Claire Villenave, tout en jaugeant la pente de sable doré qui se présente sous ses yeux. C’est la dernière grosse dune à dévaler en 4x4 avant de franchir la ligne d’arrivée de la 5e étape, celle des dunes, la plus redoutée et la plus coriace de cette 17e édition du Trophée Roses des sables, qui se déroule chaque année dans la région du Tafilalet, au sud-est du Maroc, là où se lovent les magnifiques dunes de Merzouga. En voyant l’arche bleue de la ligne d’arrivée, au loin, un « waouh » empli d’émotions s’échappe soudain de l’habitacle de la voiture n° 220. Les deux infirmières libérales des Landes, « les Road’N Roses », relâchent enfin la pression. Elles s’en sont sorties sans casse et sans s’être ensablées une seule fois. Une prouesse pour ces novices des rallyes-raids dans le désert. Les jours précédents, leurs consœurs de la « Team Santé Solidarité », Nathalie Runigo et Sandrine Vingerder, infirmières elles aussi à Rochefort (Charente-Maritime) et Cholet (Maine-et-Loire), s’étaient embourbées à plusieurs reprises, dont une fois dans une pente en dévers occasionnant le « tankage » de six autres véhicules derrière elles. « On en a pleuré toutes les larmes de notre corps… Mais on a eu de la chance ! À chaque fois, d’autres Roses (comprenez d’autres participantes) sont venues pelleter avec nous et nous ont aidées à nous désensabler », raconte finalement, sourire aux lèvres, Sandrine Vingerder, pilote de cet équipage n° 3, « Les Filles des Dunes ». Preuve, en tout cas, que la solidarité mise en avant par les organisateurs fait bel et bien partie de l’ADN de ce rallye-raid 100 % féminin, qui privilégie l’orientation et l’endurance à la vitesse et au chrono, la camaraderie entre filles à l’esprit de compétition.

Dans cette course d’orientation en six étapes, les concurrentes doivent suivre les indications d’un road-book pour aller d’un point A à un point B tout en s’orientant avec une boussole. Ce n’est donc pas l’équipage qui arrive en tête qui gagne, mais celui qui a réalisé le tracé le plus proche du parcours proposé par l’organisateur. Pourquoi ? « Tout simplement parce qu’on a toujours cherché à rendre ce rallye accessible à toutes les femmes », explique Jean-Jacques Rey, le chef d’orchestre de cet événement créé en 2001 par sa fille, Géraldine.

Solidarité en amont et sur la ligne de départ

Chaque année, 80 % des participantes sont de véritables novices sur la ligne de départ. Sur les huit infirmières qui composent la « Team Santé Solidarité » cette année, une seule avait déjà vu les dunes de Merzouga. « Mais ce n’était pas au volant d’un 4x4 ! », souligne d’un sourire Charlotte Geindre, infirmière anesthésiste de 30 ans, venue en mai dernier pour effectuer une semaine d’action humanitaire au sein de l’hôpital d’Errachidia. Cette fois-ci pourtant, c’est bel et bien au volant d’un vieux Discovery, au côté de sa collègue et amie du CHU de Clermont-Ferrand, Fantine Ruat, que la jeune femme a décidé de revenir, boostée par « le défi sportif » et « l’envie de faire quelque chose qui change de l’ordinaire ». Mais participer au Trophée Roses des sables ne s’improvise pas. Entre les frais d’inscription et de suivi (7 500 €), la location ou l’achat du véhicule et la formation au pilotage, le budget est conséquent et peut rapidement grimper au-delà des 14 000 €. Les concurrentes mettent donc souvent un an, voire deux, pour se préparer et récolter les fonds nécessaires.

« Il faut monter une association, organiser des événements et trouver des partenaires », décrivent Nelly Grosse et Charlène Cron, les « Tac Tic Roses » de l’équipage n° 8. Comme la plupart des participantes, les deux jeunes femmes n’ont pas hésité à mettre à contribution leurs amis, leurs familles, mais aussi leurs collègues de l’Ehpad de Savigny-sur-Braye (Loir-et-Cher) où elles travaillent. « La plupart ont participé aux manifestations (repas, sorties, loto) que l’on a organisées tout au long de l’année et certaines nous ont même aidées à vendre notre calendrier, ainsi que les boucles d’oreilles que l’on avait confectionnées », raconte Charlène Cron. Même solidarité du côté de la team Les Filles des Dunes, qui ont compté sur la participation de leurs anciennes collègues de pédiatrie de l’hôpital de Rochefort pour la confection des kits d’hygiène qu’elles ont ramenés aux enfants, mais aussi sur certaines de leurs patientes, qui n’ont pas hésité à fabriquer des couvertures en laine et des doudous pour venir grossir les cartons de dons.

Un engagement qui a également surpris Claire Villenave et Christel Kapera. En plus d’être soutenues par Orion Santé, le centre de formation des infirmières, les filles des « Road’N Roses » ont en effet vu bon nombre de leurs patients et amis mettre la main au portefeuille. « On a eu la chance d’avoir pas mal de patients qui se sont impliqués, à coups de 50, 100, voire parfois 200 € », racontent-elles, étonnées et reconnaissantes. Quant à Charlotte Geindre et Fantine Ruat, si elles ont pu compter sur le soutien de leurs collègues du CHU de Clermont-Ferrand, elles ont aussi pu bénéficier de la totale adhésion de leur directeur. Lequel a même décidé de financer leur formation de pilotage de trois jours. « Ils étaient contents de nous aider et de mettre en avant des infirmières dans un contexte positif », expliquent les deux amies, qui ont décidé de renvoyer l’ascenseur en montant parallèlement un projet avec les enfants du service pédiatrique du CHU « pour les faire voyager à travers notre périple ».

« Apporter son petit caillou »

Il faut dire que ce rallye est aussi une course solidaire pour laquelle les participantes s’engagent à récolter un certain nombre de dons : 10 kg de denrées alimentaires au minimum pour la Croix-Rouge, recueillies au village départ à Biarritz, et 50 kg de matériel divers (vêtements, jouets, produits de puériculture, matériel médical) pour l’association Enfants du désert, qui œuvre depuis 2005 dans le Sud-Est marocain. C’est d’ailleurs « pour ce volet humanitaire que l’on a décidé de se lancer », reconnaît Sandrine Vingerder, qui avait envie de marquer d’une pierre blanche l’année de ses 40 ans, en s’engageant auprès de plusieurs associations. « Ce n’est peut-être pas grand-chose mais on apporte notre petit caillou et cela donne un sens à notre action », confirment aussi Charlotte Geindre et Fantine Ruat, tout en déchargeant leurs cartons de dons dans la cour de l’école du village d’Haroun, ce samedi 14 octobre, jour de la première étape officielle du rallye. C’est là-bas, en effet, au cœur de ce petit village typique du désert marocain, que six infirmières de la « Team Santé Solidarité » ont rendez-vous avec une trentaine de gamins pour une action d’hygiène et de prévention. L’idée ? Expliquer, à l’aide de posters et de grandes photos illustrées, les bienfaits d’un brossage régulier des dents. Leur montrer comment s’y prendre et les amener progressivement à se lancer au lavabo de la cour de l’école, grâce aux kits d’hygiène (brosse à dents, dentifrice, savon) que les infirmières ont minutieusement confectionnés en amont. « C’est fou de réaliser que, sur la trentaine d’enfants, un seul est capable d’expliquer comment on se lave les dents », s’étonne Nelly Grosse, après avoir effectué la démonstration au milieu des enfants. « Maintenant, il faut espérer qu’il y aura un suivi derrière(1), lâche Christel Kapera. Car, sur le coup, c’est peut-être ludique mais s’il n’y a pas de suivi, est-ce que cela marche vraiment ? »

« Les Filles des Dunes », elles, savent déjà que leur action ne sera pas vaine. En plus d’avoir réalisé la même intervention de prévention dans le village voisin de Sifa, elles ont pu concrétiser une initiative grâce à leur acharnement à grossir leur cagnotte avant le départ. « En décembre 2016, on avait déjà réussi à boucler notre budget, raconte Nathalie Runigo. Comme on avait envie d’en faire davantage, on a contacté l’association Enfants du désert afin de savoir ce que l’on pouvait faire de plus que la récolte des dons. » Avec 6 500 € supplémentaires, elles ont ainsi réussi à financer la rénovation des murs d’une garderie à Sifa. « On est fières d’avoir réussi à le faire pour eux… Alors, forcément, cette journée restera le moment fort de notre rallye. »

Du rire, du sport et des larmes

Mais il ne sera pas le seul de ce périple de plus de 5 000 km, dont 1 040,7 km sur les pistes du désert. Car c’est bel et bien au volant de leur engin que ces infirmières ont repoussé, une semaine durant, leurs propres limites. En roulant dans ce désert avec pour seuls moyens de navigation une boussole et un road-book. Loin des routes asphaltées. Parfois même sans la moindre piste devant elles, sans savoir où poser leurs quatre roues face à la surface qui se présentait à elles. Là, de la caillasse, là, du sable, là, une dune, là, un oued (lit de rivière)… et puis, parfois, un trou un peu trop profond, une bosse avec de l’herbe à chameau, une pente un peu plus raide. Et c’est l’angoisse qui monte. L’envie de faire demi-tour ou de se lancer ? D’oser une coupe pour gagner quelques mètres et quelques places au classement ? « Je ne m’attendais pas à ce que cela soit si dur », reconnaît, après coup, Charlène Cron, la sportive des « Tac Tic Roses ».

« C’est très intense et on se surprend beaucoup, notamment au niveau de l’endurance », confie aussi Claire Villenave, avant d’avouer avoir craqué une fois. Comme Charlotte Geindre, à la nuit tombée, lors de l’étape marathon. La dernière, celle où les concurrentes doivent dormir dans le désert, sans le cocon du bivouac de l’organisation. Une crise de larmes. « La fatigue, le stress de savoir que l’on doit se poser là, au milieu de nulle part… » Finalement, un feu de camp plus tard, elles en rient avec d’autres Roses. Elles savent déjà. « On en sort grandies », assure Charlène Cron. Plus fortes peut-être. Le lendemain, en tout cas, les larmes de fatigue et de stress ont résolument laissé place aux larmes de joie. Sur la ligne d’arrivée, la dernière. L’émotion était palpable. Intense. Belle. « On l’a fait », lâchent-elles, un grand sourire sur le visage. Forcément, follement heureuses d’avoir été au bout de cette incroyable aventure humaine et solidaire.

1- L’association Enfants du désert assure effectuer un suivi régulier, au minimum une fois par an, dès lors qu’une première intervention de prévention a été effectuée dans une école ou une garderie par leurs bénévoles ou, cette fois-ci, par la Team Santé Solidarité.

ENGAGEMENT

IDE sur la ligne de départ

La « Team Santé Solidarité », créée cette année par l’organisation du Trophée Roses des sables, est née d’un constat. Celui de voir les infirmières de plus en plus nombreuses parmi les participantes de ce rallye 100 % féminin. « Depuis quelques années, c’est la profession la plus représentée. Cela nous a donné envie de les impliquer dans nos actions solidaires en créant cette team, composée des quatre équipages 100 % infirmiers de cette édition », explique Élodie Pasquiou, membre de l’organisation. Pour Géraldine Rey, la créatrice de l’événement, croiser autant d’infirmières sur cette course n’est pas étonnant. « On partage les mêmes valeurs : l’action, le partage, la solidarité, l’entraide. Ça a beaucoup de sens et cela ne m’étonne pas de les voir de plus en nombreuses. Quand on fait le choix de devenir infirmière, on sait que cela ne va pas être facile, c’est beaucoup de don de soi. Je suis très admirative de leur engagement. »

EN CHIFFRES

5 000 km parcourus, soit le montant en euros du don reversé par l’organisateur aux associations Le cancer du sein parlons-en et Le club des petits déjeuners.

245 participantes en 124 équipages, dont 16 SSV, 2 quads, 1 moto.

10 personnels de santé, dont 4 urgentistes de la Croix-Rouge, 1 IDE, 2 médecins et 3 ostéopathes mobilisés.