Le soin de loin, si proche - L'Infirmière Magazine n° 387 du 01/11/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 387 du 01/11/2017

 

TÉLÉMÉDECINE

CARRIÈRE

PARCOURS

aurélie vion  

En plein essor, la télémédecine fait désormais partie du quotidien de nombreux infirmiers et bouleverse les organisations et les relations avec les patients ou les autres professionnels de santé. Avec un point noir : la reconnaissance des compétences et la rémunération.

Gériatrie, diabète, plaies chroniques, hypertension artérielle, insuffisance cardiaque, dialyse… La télémédecine se développe à vitesse grand V dans beaucoup de disciplines. Présentée comme un moyen de lutter contre les déserts médicaux et d’assurer une meilleure accessibilité des soins à tous, cette nouvelle façon d’exercer à distance concerne en premier lieu les médecins (lire p. 58), mais aussi les infirmiers.

Des IDE référents télémédecine font leur apparition à l’hôpital, des Idel utilisent également les nouvelles technologies pour réaliser des prises en charge à distance, des soignants exerçant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont recours à des caméras ou des chariots de télémédecine…

Dresser un portrait-robot de l’IDE de télémédecine est délicat, tant les expériences sont diverses. « Je dirais qu’il y a deux grandes missions de l’IDE en la matière, explique Lydie Canipel, ancienne infirmière devenue secrétaire générale de la Société française de télémédecine (SFTM). Il y a, d’un côté, l’infirmière qui va préparer et assister à une télé-consultation. Cela suppose, en amont, un gros travail de préparation et d’accompagnement ; elle va être l’interface entre le médecin et le malade et va recevoir, en direct, les consignes, ce qui change d’une consultation traditionnelle. D’autre part, il y a les infirmières de télémédecine qui travaillent au sein de plateformes destinées au suivi de pathologies chroniques. Ces dernières vont assurer un télésuivi à distance et vont, par exemple, contacter les patients lorsque des indicateurs passent au rouge, grâce à des relevés en temps réel effectués par des objets connectés. »

UN RÔLE DE COORDINATION

Avec la télémédecine, l’infirmier acquiert une nouvelle place : celle de coordination entre les professionnels de santé (médecin généraliste et expert médical). « Ce qui change, ce sont les organisations, pas les métiers. La télémédecine ne modifie rien à l’exercice infirmier », insiste Lydie Canipel. Certes, une IDE de télémédecine réalise moins d’actes techniques mais elle sera davantage dans la prévention, l’éducation (au sens large), l’accompagnement, l’écoute… Autant de savoir-faire qui rentrent parfaitement dans le référentiel de compétences des IDE. Autre vérité : une IDE de télémédecine (surtout vrai pour celles qui exercent sur des plateformes) devra faire le deuil du face-à-face. Mais cela ne veut pas dire pour autant que l’apparition des nouvelles technologies entre le professionnel de santé et le malade déshumanise les soins. « Ceux qui l’exercent estiment qu’au contraire, cela les rapproche beaucoup des patients, l’écoute y est plus forte. Cela renforce aussi la cohésion d’équipe car il y a davantage d’échanges autour des dossiers des patients », assure la secrétaire générale de la SFTM.

Idel en Haute-Garonne, Daniel Jollivet témoigne : « Je pensais qu’avec mes lunettes connectées, les résidents de l’Ehpad auprès de qui j’interviens allaient être un peu sur leurs gardes ou ne pas comprendre, surtout pour cette génération qui n’a pas grandi avec les technologies d’aujourd’hui. Bien au contraire, les résidents sont ravis, ils me remercient. Ils apprécient de ne pas avoir recours à une ambulance et de ne pas se déplacer. Ils voient le médecin sur l’écran et échangent avec lui. » Depuis le mois de mai 2017, cet infirmier libéral pratique la télémédecine en binôme, avec un angiologue, pour la prise en charge des plaies chroniques chez les personnes âgées, auprès d’une petite dizaine d’Ehpad. Cet Idel, titulaire d’un DU plaies et cicatrisation, a choisi la technologie des lunettes connectées pour avoir les mains libres, ce qui est bien pratique pour réaliser les soins. Daniel Jollivet aime la télémédecine pour les contacts qu’elle fait naître avec l’équipe soignante des Ehpad : « Les IDE sont souvent débordées, elles manquent de considération. Le fait que je vienne sur place et prenne du temps avec elles pour leur expliquer pourquoi telle plaie a évolué de telle manière leur redonne un peu de baume au cœur, je crois. Nos échanges peuvent être considérés comme des minis formations », estime-t-il.

UNE MONTÉE EN COMPÉTENCE

Avec la télémédecine, les IDE semblent réellement gagner en compétence. C’est du moins un avis partagé par le Dr Marie Costes, coordinatrice médicale du projet TéléFigar, développé en Bretagne. Né en 2014, TéléFigar associe six établissements partenaires (un centre régional de gériatrie, plusieurs centres hospitaliers et le CHU de Rennes) dans le but de réaliser des téléconsultations complexes en gériatrie, ainsi que des téléconsultations et télé-expertise en dermatologie, plaies et escarres, plaies diabétiques et vasculaires. « Les infirmières sont devenues les interlocutrices privilégiées pour la télémédecine. Elles doivent développer de nouvelles compétences puisque leur rôle est d’assurer la programmation des téléconsultations, veiller sur l’organisation administrative et animer la coordination entre tous les acteurs », assure le Dr Marie Costes.

IDE référente de télémédecine au CH de Janzé (l’un des établissements partenaires de TéléFigar), Séverine Barbier explique sa mission : « Quand un rendez-vous de télémédecine est programmé, je m’assure du consentement du patient, je prépare le dossier avec les traitements en cours, les antécédents, les derniers bilans biologiques, les scanners… Il m’arrive aussi de prendre en photo des plaies, je mesure leur profondeur et leur diamètre. » Côtoyer de près des médecins spécialistes constitue selon elle un véritable atout : « C’est extrêmement enrichissant, on apprend sans cesse de nouvelles choses. Le fait que je sois présente aux côtés des personnes âgées apporte de la pertinence à l’échange et permet à la consultation d’aller plus loin. »

Choisir l’infirmier comme référent pour la télémédecine n’est pas dû au hasard, souligne Marc Tison, cadre supérieur de santé au CH de Janzé : « Dans un univers généraliste comme le nôtre, il nous a paru essentiel que ce rôle soit assumé par les infirmières et non par les aides-soignantes, par exemple, car il faut être à l’aise avec un grand nombre de pathologies : les plaies, le diabète, les démences type Alzheimer… Il ne s’agit pas simplement de maîtriser des outils. La formation initiale d’infirmier est importante. La pratique de la télémédecine est dans la continuité du travail de l’infirmière. »

UN TREMPLIN POUR ÉVOLUER

Au centre hospitalier Jacques-Cœur de Bourges, Marie Fleurier est, elle aussi, infirmière référente de télémédecine. Elle assure une double mission : depuis septembre 2015, elle accompagne les patients pour les téléconsultations dans le cadre de suivi de transplantations hépatiques, en lien avec le CHU de Tours. En parallèle, elle est chargée de mission en télémédecine, un rôle qui l’amène à collaborer avec des services extrêmement variés de son établissement hospitalier. « Avec la télémédecine, le numérique est au cœur de la pratique mais je reste infirmière avant tout », souligne l’IDE, qui apprécie les perspectives d’évolution de carrière que lui a offert la télémédecine. « J’ai acquis des compétences en transplantation que je n’aurais pas pu développer sans la télémédecine au sein de mon établissement – qui ne la pratique pas. J’ai développé d’autres savoir-faire pour mon rôle de chargée de mission, c’est très enrichissant », indique Marie Fleurier, qui a appris « sur le tas ». Au démarrage, l’IDE a suivi une première formation avec le groupement de coopération sanitaire TéléSanté centre et la Société française de télémédecine. Elle vient de passer le DIU télémédecine (lire ci-dessous) dans le but d’acquérir des connaissances plus poussées sur la conduite de projet.

Au sein de ce DIU, elle a côtoyé Bertrand Liziard, un infirmier exerçant à la fois comme Idel et IDE en soins intensifs, dans un centre de lutte contre le cancer, l’Institut Bergonié à Bordeaux. Avec un médecin anesthésiste, il porte un projet de télémédecine innovant autour de la gestion de la douleur mais ne souhaite pas entrer dans les détails tant que le brevet n’est pas déposé. « La télémédecine constitue une pratique nouvelle et passionnante, se réjouit l’IDE. À mon sens, l’exercice infirmier en télémédecine suppose trois compétences : l’éducation thérapeutique du patient, le management de projet et l’expertise dans le domaine en question, que ce soit la douleur ou les plaies chroniques par exemple », détaille Bertrand Liziard.

MANQUE DE RECONNAISSANCE

Si les perspectives offertes par la télémédecine semblent prometteuses et nombreuses, reste un gros problème : leur valorisation et la rémunération qui va avec. « Les programmes de télémédecine et le financement dépendent énormément des agences régionales de santé. Certaines ARS vont consacrer des moyens sur une période donnée dans le cadre d’expérimentations », indique Stephan Haaz, directeur général adjoint du Club des acteurs des télésanté (Catel). Bien souvent, c’est le système D qui prédomine. Au CH de Bourges, le poste de chargée de mission de télémédecine de Marie Fleurier est subventionné par l’ARS, qui le reconduit d’année en année. L’infirmière ne perçoit aucune prime spéciale, elle touche le minimum de son échelon et perçoit même un salaire inférieur à celui qu’elle touchait auparavant, quand elle travaillait en réanimation, car elle ne travaille plus la nuit et le week-end. Au CH de Janzé, le temps infirmier correspondant au programme TéléFigar (une journée par semaine) n’est pas budgété, il est imputé sur le budget de l’établissement. En Haute-Garonne, Daniel Jollivet, après avoir débuté de manière bénévole, est parvenu à faire rétribuer ses interventions en passant des conventions avec les Ehpad. Le médecin angiologue avec qui il travaille est contraint de poursuivre son action gracieusement, faute de cadre juridique approprié. « Nous sommes aux prémisses de la télémédecine, nous y croyons ! Nous avons déposé un dossier auprès de l’ARS pour faire bouger les lignes et obtenir une reconnaissance », confie l’IDEL.

LE PIÈGE DE LA GRATUITÉ

En Franche-Comté, son homologue, Nicolas Schinkel, est plus amer. La télémédecine, il y croyait lui aussi. Il n’a compté ni son temps ni son énergie pour s’investir dans une expérimentation lancée en 2009, destinée à assurer le suivi des plaies chroniques à distance. L’ARS, le CHU de Besançon et un industriel étaient investis dans ce programme. Lui et trois autres Idel (un par département franc-comtois) étaient équipés de tablettes destinées à prendre des clichés de plaies complexes et à les envoyer sur une messagerie sécurisée à un dermatologue du CH de Besançon, avec copie au médecin traitant. « Cette expérience a été très enrichissante, on considérait alors que c’était une révolution. Les personnes âgées étaient enthousiastes, elles étaient heureuses d’éviter un aller-retour à l’hôpital pour consulter un spécialiste. Les gains sont nombreux : cela évite des coûts, du stress, cela évite aussi d’encombrer inutilement l’hôpital. Et surtout, cela permet de guérir plus vite », observe Nicolas Schinkel. Par son expérience, l’Idel, membre du bureau de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) et ancien chargé de mission Télésanté à l’URPS Infirmiers, est convaincu que la télémédecine contribue à valoriser la profession infirmière : « On gagne en crédibilité. On nous parle de désertification médicale mais les Idel couvrent très bien le territoire, nous sommes encore une des rares professions à aller au domicile des patients mais nous sommes seuls. Être en contact direct avec un spécialiste est rassurant. » Le hic ? L’absence de rémunération pour ces actes. « Cela a été gratuit des deux côtés, pour nous les Idel ainsi que pour le dermatologue de l’hôpital, qui le faisait en plus de son travail habituel. Le fait que cela n’ait pas coûté d’argent n’est pas bon, cela veut dire que la télémédecine n’a pas de valeur. Je crois encore à la télémédecine et au rôle des Idel. Encore faut-il que l’on nous donne une place et une rémunération pour ces actes. Il ne faut pas nous faire croire au miroir aux alouettes. »

FORMATION

Un DIU désormais national

→ Créé en 2014 à l’initiative de l’université de Bordeaux, avec le soutien de la Société française de télémédecine et l’association Agir pour la télémédecine, le diplôme universitaire « Une approche globale de la télémédecine » a pris une dimension inter-universitaire depuis deux ans. Les établissements de Besançon, Caen, Montpellier, Nantes et Lille (université catholique de Lille et université de Lille 2) ont en effet rejoint cette formation. Au programme :six modules (la moitié en présentiel et l’autre en e-learning) qui permettent d’aborder le cadre juridique de la télémédecine, d’en comprendre les aspects techniques et d’étudier des retours d’expériences.

→ Ouvert aux médecins, IDE, Idel et professions paramédicales, le DIU constitue un appui dans l’aide à la construction d’un projet de télémédecine, que ce soit au sein d’un établissement de santé ou en activité libérale.

« La formation me semble très intéressante pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans un projet de télémédecine », estime Bertrand Liziard, IDE à l’Institut Bergonié, à Bordeaux, qui a passé le DIU en binôme avec un médecin anesthésiste avec qui il partage un projet autour de la gestion de la douleur chronique. « Nous avons pu présenter notre idée, qui a reçu un accueil très favorable de la part du jury lors de l’oral. C’est très encourageant. Je suis très satisfait du contenu de la formation, il y a de bons intervenants mais cela demande beaucoup de motivation compte tenu de l’investissement important requis. »

www.formations-telemedecine.org

LÉGISLATION

Des actes médicaux

→ La télémédecine ne désigne pas des outils mais bien des actes médicaux. La définition remonte à la loi Hôpital, patients, santé, territoire (HPST) de 2009 et son décret d’application de 2010. Cette « forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication » (art. L. 6316-1 du code de santé publique), recouvre cinq types de prise en charge : la téléconsultation (consultation à distance), la télé-expertise (avis à distance sur la base d’informations médicales), la télésurveillance (surveillance et interprétation de paramètres médicaux), la télé-assistance (assistance à distance d’un autre professionnel de santé) et la régulation médicale (premier diagnostic par téléphone assuré par le Samu ou centre 15).

→ La réalisation de ces cinq actes relèvent donc en priorité de médecins, même si les infirmiers ont parfois un grand rôle à jouer, en particulier pour l’accompagnement des télé-consultations ou la prise en charge et le suivi des patients atteints d’affections de longue durée (ALD).

Sources utiles

→ Société française de télémédecine : www.sf-telemed.org

→ L’association Agir pour la télémédecine : www.agir-telemedecine.org

→ Le Club des acteurs de la télésanté : www.catel-group.com