« Éduquer l’ado sur le sommeil va permettre de dédramatiser » - L'Infirmière Magazine n° 387 du 01/11/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 387 du 01/11/2017

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

Marie Fuks  

Le manque de sommeil chez les adolescents génère des troubles et une perte de chance justifiant une prise en charge médicale et psycho-éducative. Explications du Dr Flora Bat-Pitault, spécialiste des perturbations du sommeil et pédopsychiatre au CHU de Marseille.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quels sont les troubles du sommeil chez l’adolescent ?

DR FLORA BAT-PITAULT : Le trouble principal est le retard de phase du sommeil qui, au-delà des prédispositions génétiques individuelles, apparaît comme une exagération du recul physiologique de l’heure d’endormissement et de réveil, avec pour conséquence une dette chronique de sommeil chez les adolescents qui se lèvent tôt pour aller à l’école. C’est le motif de consultation prépondérant des jeunes aujourd’hui. L’adolescent peut également présenter une véritable insomnie aiguë ou chronique, ou débuter une narcolepsie, avec ou sans cataplexie.

L’I. M. : Comment se manifeste le retard de phase du sommeil ?

F. B. : Physiologiquement, les adolescents ont une heure de coucher et de lever plus tardive que les adultes. Toutefois, 10 à 15 % d’entre eux, en général hyper-connectés, se couchent encore plus tard, après 1 h du matin, car la lumière des écrans inhibe la sécrétion de mélatonine (hormone du sommeil) et retarde l’endormissement de deux heures après l’arrêt de l’utilisation. Pour respecter ses besoins, l’adolescent qui s’endort à 1 h, devrait dormir jusqu’à 10 h du matin, mais doit se lever à 7 ou 8 h pour aller au collège ou au lycée. Il en résulte une dette cumulée de sommeil que les ados n’arrivent pas à récupérer totalement le week-end. Ce retard de phase, via la dette de sommeil induite, a des conséquences cognitives (altération de la mémoire et de l’attention), engendre des difficultés d’apprentissage, une baisse des performances scolaires, une somnolence à risque (au niveau de la conduite, notamment) et favorise le surpoids et l’obésité.

L’I. M. : Ces effets sont-ils réversibles ?

F. B. : Oui, grâce à une prise en charge adaptée, consistant à recaler le rythme du sommeil par le lever en ayant recourt à la chronothérapie et à la luminothérapie. On fixe une heure de lever fonctionnelle pour l’école que l’adolescent doit appliquer tous les jours, y compris le week-end, quelle que soit l’heure du coucher. Progressivement, le besoin de sommeil augmentera le soir et l’ado s’endormira plus tôt, ce qui permet d’avancer graduellement l’heure du coucher et de recaler le sommeil. Ensuite, il est possible d’adjoindre de la luminothérapie pour aider l’adolescent à se réveiller le matin. Cela consiste à l’exposer à beaucoup de lumière naturelle lorsque c’est possible ou à une lampe de luminothérapie (plus de 10 000 lux) pendant vingt à trente minutes, au moment du petit déjeuner. La luminothérapie arrête le sommeil en inhibant la production de mélatonine plus tôt le matin, ce qui, à distance, permettra de recaler la sécrétion vespérale de mélatonine sur une heure moins tardive.

L’I. M. : Et les traitements médicamenteux ?

F. B. : Dans les cas les plus difficiles, il est possible d’associer à ces traitements la prescription d’une cure de trois semaines à un mois de mélatonine. Administrée le soir, elle peut aider à la reprise d’un rythme veille-sommeil plus adapté, même s’il est possible de s’en dispenser en observant très bien la chronothérapie et la luminothérapie. Lorsqu’on ne parvient pas à recaler des retards de phase malgré une prise en charge optimale, il est important de retenir que c’est souvent parce que l’adolescent présente des troubles psychologiques en lien avec la scolarité (refus scolaire anxieux) et que le sommeil devient un refuge. D’autres comorbidités psychiatriques, comme les troubles anxieux ou dépressifs, peuvent aussi être en cause. Ils doivent être traités prioritairement avant la mise en place du traitement du retard de phase.

L’I. M. : Que préconisez-vous pour le traitement de l’insomnie chez l’adolescent ?

F. B. : Partant du principe que les hypnotiques sont à éviter chez l’adolescent, il est préférable de l’éduquer sur son sommeil, ce qui peut permettre de dédramatiser et de ne pas installer des troubles à long terme. En cas d’insomnie aiguë, il est possible de proposer des méthodes de relaxation ou de méditation spécifiquement conçues pour les adolescents(1). Elles peuvent aider à mettre à distance les ruminations et pensées anxieuses qui entravent l’endormissement. Dans le cas des insomnies chroniques, les thérapies cognitives et comportementales centrées sur l’insomnie et pratiquées en groupe ou individuellement, à raison de six à huit séances en moyenne, donnent de bons résultats.

L’I. M. : Et pour la narcolepsie ?

F. B. : Cette pathologie du sommeil, caractérisée par une hypersomnie très invalidante plus ou moins associée à des chutes de tonus partielles ou totales, se soigne par un traitement psychostimulant tel que le Modiodal, associé à des mesures d’hygiène du sommeil et des adaptations scolaires mises en place dans le cadre d’un Programme d’accueil personnalisé élaboré avec le médecin et l’IDE scolaire. Il est important de repérer et de traiter précocement ces troubles car le retard de diagnostic (environ dix ans) entraîne une stigmatisation de ces jeunes alors qu’ils sont malades et une perte de chance en termes d’insertion socio-professionnelle.

1 - Respirez : la méditation pour les parents et les ados de 12 à 19 ans, Éline Snel, Les Arènes, 2015.