LES LIBÉRAUX SE LIBÈRENT - L'Infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017

 

NOUVELLE ORGANISATION

ACTUALITÉS

À LA UNE

Françoise Vlaemÿnck  

Forte de huit syndicats, la Fédération française des praticiens de santé (FFPS) veut s’affranchir de la tutelle médicale et peser dans la rénovation du système de santé.

La rumeur courait depuis des semaines. Le 13 septembre, les principaux syndicats des professions libérales paramédicales, Fédération nationale des infirmiers (FNI) en tête, ont quitté les rangs du Centre national des professionnels de santé?(CNPS) pour créer, à huit organisations(1), la Fédération française des praticiens de santé (FFPS) – à ne pas confondre avec la Fédération des praticiens de santé (FPS). Une sécession qui résonne comme un coup de tonnerre au sein du CNPS et relève du coup de force du côté des « rebelles ». Dans leur ligne de mire, la mainmise du corps médical sur le CNPS et son « immobilisme », alors que le système de santé et son organisation doivent faire face à des enjeux et des bouleversements sans précédents, plaident-ils.

Dans un contexte de tension organisationnelle et économique, les paramédicaux comptent avancer leurs pions et leurs propositions. Une démarche qui en dit long sur la vision divergente, et définitivement inconciliable, qui incubait depuis quelques années déjà au sein de cette instance de référence pour les libéraux, désormais amputée d’une part importante de ses effectifs. Du côté de la FFPS, le ton est d’ailleurs donné puisqu’elle entend « défendre les intérêts transversaux des syndicats qui la composent et des professionnels qu’ils représentent ». La première de ses priorités sera ainsi d’obtenir du législateur le remplacement des termes “auxiliaires médicaux” par “praticiens de santé” dans le code de la santé publique, le code de la Sécurité sociale et la nomenclature générale des actes professionnels.

« Les médecins se moquent de nous »

Une démarche que regrette François Blanchecotte, président depuis février du CNPS, qui explique « avoir hérité de la situation » : « J’ai toujours considéré l’ensemble de mes confrères comme des praticiens de santé, se défend-il. Mon élection à la tête du CNPS prouve d’ailleurs que les choses bougent puisque, en tant que biologiste, je fais partie des professions médicales qui travaillent sur prescription. » Mais, pour Élisabeth Maylié, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil), qui n’était pas membre du CNPS, demeurer plus longtemps dans le giron du centre, « c’était, pour les paramédicaux, rester sous la tutelle des médecins, toujours décisionnaires ». Et d’ajouter : « Nous voulons être reconnus comme des professionnels de santé à part entière, que notre rôle soit également reconnu, puisse véritablement s’exercer et être valorisé, en permettant notamment aux patients d’avoir un accès direct à nos professions. Aujourd’hui, ce rôle est totalement nié. Si l’on veut défendre nos valeurs, il est nécessaire que l’on se regroupe entre professions intéressées et pas qu’on se fédère avec des médecins, qui se moquent totalement de nous. D’ailleurs, ils ne soutiennent aucune de nos revendications. Désormais, nous les porterons nous-mêmes ! » Avec près de quelque 222 000 professionnels paramédicaux en exercice libéral ou mixte, contre 205 000 membres du corps médical, le poids de la FFPS risque de compter. Plus incisif, François Blanchecotte estime « qu’on peut toujours dire qu’on représente l’ensemble de sa profession, mais syndicalement, que représente chacun ? Les biologistes sont syndiqués à 70 %, je ne suis pas sûr que ce soit, par exemple, le cas des infirmières libérales… » Pour le médecin, le CNPS « était le lieu idéal » pour permettre aux professionnels paramédicaux, notamment aux infirmières, « de revendiquer leur autonomie par rapport aux médecins. Aujourd’hui, le problème est de savoir comment on défend la pratique libérale et nos valeurs auprès des tutelles, car si c’est pour jouer du billard à trois bandes avec elles, cela n’a aucun intérêt. » Visiblement, ses arguments n’ont pas su convaincre…

Parler d’égal à égal

Pour sa part, Philippe Tisserand, président de la FNI et élu à la tête de la toute nouvelle fédération, ne croit pas que « c’est en laissant pourrir des situations qu’on avance. Notre démarche vise à recentrer les professions d’auxiliaires médicaux, futurs praticiens de santé, autour de valeurs communes et affirmer leur volonté d’émancipation pour, demain, aborder les coopérations interprofessionnelles dans une vision neuve et ainsi, nouer le dialogue avec un corps mé?dical, lui aussi rénové. Nous voulons parler d’égal à égal. Il ne peut pas y avoir d’un côté les acteurs, et de l’autre, les figurants que nous serions. » Avec le recul, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 et la loi de santé promue en 2015 par Marisol Touraine montrent que favoriser et renforcer les coopérations et collaborations interprofessionnelles, ainsi que la coordination sur le mode du transfert de tâches, a abouti à un résultat inverse de celui escompté.

« Ces lois n’ont fait qu’opposer les professionnels et fait naître des crispations qui n’existaient pas auparavant entre les professions », déclare Philippe Tisserand. Manque de coordination autour du patient, déserts médicaux de plus en plus nombreux en zone rurale comme en ville, refus des médecins d’accepter toute régulation d’installation alors que des professions paramédicales libérales, en plus d’assurer la permanence des soins, y ont été contraintes… la coupe est pleine pour les paramédicaux.

« En mars, les sénateurs ont conclu, tous partis confondus, que pour une meilleure organisation et coordination de notre système de santé, il était nécessaire que les paramédicaux aient plus de compétences et que, dans ce contexte, les médecins devaient déléguer certaines de leurs compétences, et non des tâches. Il ne s’agit pas de les exclure de la prise en charge des patients, mais il faut rompre cette verticalité par laquelle le médecin prescrit et décide de tout », rappelle Daniel Paguessorhaye, président de la Fédération nationale des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs. L’Ordre des kinésithérapeutes mène actuellement campagne pour décloisonner l’offre de santé autour du patient, sous le slogan « Osons l’accès direct ».

Contacté, l’Ordre des infirmiers n’a pas souhaité commenter la création de la FFPS et ses revendications. Du côté du Sniil(2), l’initiative laisse Catherine Kirnidis, sa présidente, dubitative : « Quand on prône l’activité pluriprofessionnelle, on peut s’étonner de ne pas associer les professions médicales ! S’il s’agit de proposer un autre cadre de coopération, on peut se demander comment cela va s’articuler avec les professions de santé médicales de ville. Si les aspirations des paramédicaux sont légitimes, la méthode de la FFPS pose plus de questions qu’elle n’en résout. »

Les libéraux paramédicaux ne sont pas les seuls à jouer le jeu du regroupement syndical pour élargir leur base et opérer une convergence des luttes. C’est le cas de la Coordination nationale infirmière qui, depuis 2014, ouvre ses rangs à tous les paramédicaux. Nathalie Depoire, sa présidente, juge donc positif le choix de la pluriprofessionnalité faite par la FFPS : « Pour aller plus loin, les paramédicaux ont besoin de travailler ensemble. On a des problématiques communes et on voit bien, par exemple, que sur l’organisation du schéma de santé, il sera important de se regrouper pour être constructif. Cela ne veut pas dire qu’on oublie les revendications de chaque profession mais ça ne doit pas être un obstacle à une réflexion commune centrée sur la prise en charge du patient. »

Le risque de l’ubérisation

Et dans ce domaine, il y a des urgences, déclare Philippe Tisserand. « Les paramédicaux doivent s’impliquer dans la fluidification du parcours ville-hôpital, le retour à domicile, la prise en charge précoce ou les dispositifs qui permettent aux établissements de vite trouver des praticiens de santé capables d’assurer la continuité des soins. » Et d’ajouter : « Tous ces chantiers sont à ouvrir dans un temps où émerge le risque d’une marchandisation de la santé, voire son ubérisation. Des plateformes de prestataires sont déjà très actives et chaque mois, des start up , adossées à des groupes financiers, émergent. Ces nouveaux acteurs risquent de capter ces marchés avec la crainte, comme cela est arrivé pour les taxis, que les professionnels soient obligés de payer pour y accéder et que s’instaure ainsi une filiarisation marchande de la sortie d’hôpital. Dans ce contexte, il est de notre responsabilité d’affirmer un nouveau mode de coopération interprofessionnelle afin de construire un modèle de prise en charge partagé. » Il y a urgence, en effet…

1- Les huit organisations : FNI, Convergence infirmière, Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil), Fédération française des masseurskinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), Union nationale des syndicats de masseurskinésithérapeutes libéraux (UNSMKL), Fédération nationale des orthophonistes (FNO), Syndicat national autonome des orthoptistes (Snao) et Fédération nationale des podologues (FNP).

2- Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux.

VERBATIM

« Capter les Ibodes éloignées des syndicats »

« On n’exclut pas de travailler avec les autres syndicats, mais le Snibo répond à une demande forte et ancienne des Ibode de posséder une instance qui défende les spécificités de notre spécialité, comme l’ont les infirmières anesthésistes et les puéricultrices, et plus encore à un moment où se joue la définition de nos actes exclusifs et la réingénierie de la formation. […]

Notre démarche n’est pas d’attirer à nous des Ibode déjà syndiquées mais de capter celles qui sont éloignées des syndicats parce qu’elles ne s’y retrouvent pas. Ce qui était mon cas… »

KATIA BARROY

PRÉSIDENTE DU SNIBO (SYNDICAT NATIONAL DES INFIRMIERS DE BLOC OPÉRATOIRE)