Le harcèlement moral - L'Infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 386 du 01/10/2017

 

CARRIÈRE

GUIDE

ANNABELLE ALIX  

Puni par la législation, le harcèlement moral altère les conditions de travail et parfois la santé des salariés et agents. Le point sur ce fléau aux formes variées et sur les recours pour s’en sortir.

Insidieux, difficile à prouver, le harcèlement moral est une infraction grave et fréquente en entreprise. Elle peut toucher tout le monde. « La plupart des victimes qui viennent me voir sont des femmes, mais j’ai déjà rencontré un médecin victime de harcèlement moral de la part d’une secrétaire », note Me Renaud de Laubier, avocat en droit médical et des professionnels de santé à Marseille. Le code pénal le décrit comme « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés, ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Mille et une formes

• Le harceleur, qui est-il ? Ce peut être l’employeur lui-même, mais pas nécessairement. « Lorsque deux infirmières ne s’apprécient pas, la situation peut tourner au harcèlement moral si l’une des deux prend de l’emprise sur l’autre », explique Me de Laubier. L’auteur des faits peut être extérieur à l’entreprise, du moment qu’il exerce son autorité pour le compte de l’employeur. Sinon, le lien hiérarchique entre harceleur et victime n’est même pas obligatoire. En droit pénal, il s’agit simplement d’une circonstance aggravante. Elle fait passer de deux à trois ans la peine d’emprisonnement encourue, et fait grimper l’amende de 30 000 à 45 000 €.

• La nature du harcèlement diffère d’une situation à l’autre. Me de Laubier développe : « Ce peut être un retard de la victime à son poste chaque matin car on lui pique systématiquement son badge ou sa clé. Un supérieur qui placardise ou qui refuse systématiquement les congés demandés. Une petite tape dans le dos et une blague sexiste… Mais les cas les plus fréquents sont le dénigrement et les remarques désobligeantes. »

Des actes répétés

• Le harcèlement moral nécessite des agissements répétés. Un acte isolé peut être une faute, mais ne peut être qualifié de harcèlement. Les faits doivent dégrader les conditions de travail au point de porter atteinte aux droits, à la dignité, à la santé ou à la carrière de la victime. Or la dignité est une notion toute subjective. De même, la santé d’un sujet sensible aura tendance à s’altérer plus rapidement que celle de quelqu’un de plus résistant. « Une moquerie sera d’autant moins acceptable qu’elle met en cause un handicap », souligne l’avocat. Le harcèlement moral s’apprécie donc au cas par cas. « Il faut tenir compte de cette subjectivité », insiste-t-il. L’auteur des faits se rend coupable de harcèlement lorsqu’il persiste à adopter un comportement nuisible à la victime.

• À noter : un mode de management peut être considéré comme du harcèlement moral - ignorer tel salarié en particulier, ne pas lui donner d’instructions, le mettre à l’écart, etc. Et ce, même si l’origine de ce comportement provient de la sphère intime et privée (ex. : rupture amoureuse).

Du harcèlement aux mesures discriminatoires

• D’une situation de harcèlement moral, découle parfois des discriminations. Parce qu’il a subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral, tel salarié ne sera pas promu. Tel stagiaire ne sera pas embauché. Quant à ce collègue qui a relaté des faits de harcèlement moral pour aider une victime, il se verra refuser la formation demandée.

Ces mesures de discrimination peuvent concerner la rémunération, la formation, le reclassement, l’affectation, la qualification, la promotion professionnelle, la mutation ou encore le renouvellement de contrat. Dans tous les cas, elles sont interdites par le code du travail, comme par la loi régissant les droits et devoirs des fonctionnaires.

Le code du travail punit ces discriminations d’un an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende (en cas d’action devant les Prud’hommes). Au pénal, l’auteur des faits encourt trois ans d’emprisonnement et 45 000 €.

Protection obligatoire

• Quand une situation de harcèlement moral se présente, l’employeur tient sa part de responsabilité car la prévention du harcèlement moral entre dans ses attributions. Il doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour protéger les salariés de ce danger, comme pour tout autre risque professionnel (exposition aux substances toxiques, etc.).

Information, formation des supérieurs à la gestion des conflits ou au management, tous les moyens sont permis. Les dispositions pénales qui concernent le harcèlement moral doivent être affichées dans l’entreprise et figurer au règlement intérieur.

• Lorsqu’il est informé d’un cas de harcèlement, l’employeur diligente une enquête dans les plus brefs délais et prend les mesures de protection adéquates. Il peut sanctionner le harceleur dans les deux mois qui suivent (à moins qu’une action pénale soit engagée, ce qui suspend le délai jusqu’au verdict). Dans le public, le déclenchement de la protection fonctionnelle est de rigueur.

« L’obligation de sécurité de l’employeur n’est plus considérée comme une obligation de résultat par les tribunaux », tempère Me de Laubier. Si l’employeur a satisfait à son devoir de prévention et qu’il a immédiatement pris des mesures pour faire cesser le harcèlement, il pourra donc s’exonérer de sa responsabilité. « Mais les juges vérifient cela de près, ajoute l’avocat. Dans le public, par exemple, si l’employeur avait possibilité d’affecter le harceleur loin de la victime mais qu’il ne l’a pas fait, il a commis une faute condamnable. Même chose, dans le privé, si le licenciement était le seul moyen d’éloigner l’auteur de sa victime et qu’il s’en est abstenu. »

Agir en justice

• « Si l’employeur traîne des pieds pour agir, l’infirmier peut lui rappeler son obligation et les risques qu’il encourt en laissant la situation perdurer », suggère Me de Laubier. Par ailleurs, il est impératif de conserver la trace de la date de la plainte à l’employeur via une lettre envoyée en recommandé avec AR, ou au moins, par un e-mail daté et imprimé. « Dans le public, l’absence de réponse ou d’action de l’employeur dans les deux mois équivaut à un refus d’agir, qui est contestable par recours gracieux ou contentieux, reprend l’avocat. Dans le privé, ce sera la preuve d’un signalement. L’employeur qui n’a pas pris les mesures utiles depuis cette date est fautif ». Le salarié peut alerter le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou son syndicat.

• Lorsque la situation ne se résout pas en interne, une action en justice est nécessaire. L’action pénale doit être réservée aux cas les plus évidents. Devant le conseil des Prud’hommes (privé) ou le tribunal administratif (public), il faudra fournir les preuves du harcèlement moral (Lire interview). Pour échapper à la condamnation, l’auteur des faits devra prouver que les actes allégués sont motivés par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Le cas échéant, le salarié pourra obtenir la nullité de son licenciement, de sa rupture conventionnelle ou la requalification de sa démission en licenciement s’il prouve le lien entre le harcèlement et la rupture de son contrat. Avec, à la clé, des dommages et intérêts, une indemnité égale à six mois de salaire en plus des indemnités habituelles de licenciement, le paiement des salaires qui auraient été perçus et éventuellement, une indemnité compensatrice de préavis.

Modèle de lettre

Objet : signalement de propos et d’attitudes de dénigrements de la part de (préciser) (à envoyer en recommandé avec AR)

Je, soussigné(e) (prénom nom), salarié(e) de l’entreprise (nom) au poste de (préciser), dans le service (préciser), vous informe que je subis régulièrement (indiquer avec précision les pressions, remarques, propos, chantages, etc.) de la part de (prénom nom et poste occupé par la personne qui vous harcèle).

Je vous remercie d’intervenir au plus vite, conformément à l’article L 4121-2 du code du travail, afin de faire cesser ces troubles qui dégradent mes conditions de travail et portent atteinte à ma dignité et à ma santé.

Sans réponse ou action concrète de votre part, je m’en remettrai au tribunal compétent, ces comportements étant condamnés par (privé : les articles L1153-1, L1152-2 du code du travail / public : l’art.6 quinquiès de la loi 83-634 du 13 juillet 1983, et l’article 222-33 du code pénal).

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.

Signature

SAVOIR PLUS

→ Art. 222-33-2 du code pénal sur le harcèlement moral.

→ Art. L1152-1, L1152-2 du code du travail, art.6 quinquiès de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, surla discrimination liée au harcèlement.

→ Art. L1152-4, L4121-1 et L4121-2 du code du travail sur l’obligation de prévention de l’employeur.

→ Art.L1152-5 du code du travail sur le risque de sanction disciplinaire en cas de harcèlement moral.

→ Art. L1152-6 du code du travail sur la procédure de médiation.

→ Art. L1154-1 du code du travail (privé) et l’arrêt CE, section du contentieux, 11 juillet 2011, N°321225 (public) sur le régime de la preuve.

INTERVIEW

RENAUD DE LAUBIER AVOCAT EN DROIT MÉDICAL ET DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ À MARSEILLE

Lorsqu’on est victime de harcèlement moral, quand faut-il commencer à rassembler des preuves ?

• Dès le début ! Lorsqu’une victime se décide à agir et qu’elle vient me voir, elle est souvent déjà à bout, alors qu’il va lui falloir du temps et de l’énergie pour constituer des preuves. Il ne faut pas attendre d’en arriver là pour agir ! Quelle que soit la première action envisagée - plainte à l’employeur, appel aux syndicats, etc. -, il est important de pouvoir appuyer ses dires par des preuves. Aussi, dès que les conditions de travail s’altèrent, il convient de rassembler les e-mails et autres certificats médicaux qui pourraient servir de preuves.

Ensuite, si la situation perdure, la victime peut demander une attestation à son médecin ou à son psychiatre indiquant par exemple que ses insomnies ou la prise d’anxiolytiques sont dues à la dégradation de ses conditions de travail. Les témoignages et attestations d’autres salariés permettent de faire la somme de tous les comportements vus et rapportés, appuyant ainsi leur caractère répétitif. Les témoins de bonne foi sont protégés par la loi, contre d’éventuelles mesures de discrimination qui seraient prises à leur encontre pour avoir témoigné. Ils ne pourront pas non plus être inquiétés pour diffamation, dans le cas où la qualification de harcèlement moral ne serait pas retenue.

Quid de l’arrêt de travail pour harcèlement moral ?

• Dans le public, pour que la procédure indemnitaire puisse être engagée, le médecin du travail doit reconnaître que l’arrêt de travail est imputable au service. C’est parfois compliqué, étant donné qu’il est payé par l’établissement… Et là encore, il faut parvenir à rassembler des preuves, des témoignages écrits. Moins les témoins sont proches de la victime, plus ils auront de valeur !

La procédure de médiation ou de conciliation amiable est-elle une solution envisageable ?

• Elle est prévue par les textes, mais en pratique elle aboutit généralement à un constat d’échec écrit noir sur blanc. Je ne la suggère que pour les petites plaintes entre collègues, à la limite.

PROPOS RECUEILLIS PAR A. A.