L’équipe mobile au pied du lit - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

SOINS PALLIATIFS

CARRIÈRE

PARCOURS

SANDRA MIGNOT  

Exercer en équipe mobile de soins palliatifs exige diplomatie, empathie, pédagogie. Les IDE qui ont fait ce choix affichent un réel bien-être dans leur fonction. Découverte d’un engagement de plus en plus indispensable au système de santé.

Infirmier en équipe mobile de soins palliatifs, c’est génial ! On a tout du métier, mais sans les inconvénients », résume Idriss Farota Romejko, IDE en équipe mobile de soins palliatifs depuis sept ans. Et cet ancien conseiller en assurances reconverti dans le soin de préciser sa pensée : « Je n’ai pas de prise de poste à 6 h 00 du matin, ni le rythme horaire parfois usant des services et je ne travaille pas le week-end. Quand je vois le patient, je peux prendre le temps de l’écouter et surtout, j’interviens vraiment lorsqu’on a besoin de moi. C’est extrêmement gratifiant. »

Nées à la fin des années 80, les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) ont été conçues pour inciter à la diffusion de la démarche palliative dans tous les services de l’hôpital qui peuvent être concernés par des pathologies non curables. Elles sont censées intervenir plus tôt au cours de la maladie que les unités de soins palliatifs. Pluriprofessionnelles, elles réunissent généralement au moins un médecin et une infirmière, auxquels peuvent être adjoints psychologues, travailleurs sociaux, aide-soignante, secrétaire, voire un cadre de santé. Chaque équipe est rattachée à un hôpital – public ou à but non lucratif – et intervient cinq jours par semaine, en horaires de jour. En 2015, la France comptait 424 EMSP(1).

L’ENVIE DE S’INVESTIR

Travailler en EMSP, c’est évidemment faire le choix du soin palliatif. Beaucoup sont motivés très tôt, souvent dès la formation en Ifsi ou dans leur première prise de poste, à partir de leur observation d’un accompagnement insuffisant ou inadapté. « Quand j’ai commencé à travailler, j’étais en gériatrie où j’ai rencontré beaucoup de patients en fin de vie, explique Aude Suire, infirmière coordinatrice à l’EMSP de la Maison de santé Marie-Galène à Bordeaux (33). J’ai observé des soins qui me paraissaient disproportionnés : pourquoi faire un lavement à quelqu’un qui n’a plus que quelques instants à vivre ou imposer une toilette complète à une personne en phase agonique et très douloureuse ? » Pour d’autres, c’est la comparaison entre le pire et le meilleur qui a été la clé : « Après avoir été heurtée par la manière dont on laissait mourir les gens dans des services non spécialisés à l’hôpital, j’ai effectué un autre stage à La Maison, à Gardanne (13), se souvient Sabrina Lehoezic. Là, j’ai découvert l’idéal : passer du temps auprès des patients, sans courir ; il y a aussi une vraie attention à la qualité de vie au travail des professionnels… »

À Marseille (13), Yvon Bois a surtout été marqué par le décès de sa propre mère, qui n’a pas bénéficié d’un accompagnement en soins palliatifs. « Aujourd’hui, pour chaque prise en charge, je continue de me demander comment j’aimerais que mes proches soient accompagnés. » Coordinateur de l’EMSP du Centre gérontologique départemental de Marseille, il ne se déplace que dans les Ehpad et gère quelque 300 situations par an. « Nous intervenons à la demande. Chaque matin, en fonction des sollicitations reçues, je prépare des binômes médecin/ infirmier ou infirmier/psychologue, je constitue les dossiers pour que tous aient un maximum d’informations, et je préviens équipes et familles que nous allons passer. Comme je connais bien les correspondants, j’arrive à savoir très vite ce qui est urgent et ce qui ne l’est pas. » En fonction du nombre de demandes à traiter, l’infirmier coordinateur se déplace, lui aussi, en intervention d’évaluation.

DÉMARCHE D’ÉVALUATION

Idriss Farota Romejko, a, lui, pris le parti de passer dans les services de son établissement tous les jours. La configuration est différente puisqu’il n’intervient que sur un site du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon à Paris, établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic), et qu’il appartient à une toute petite équipe composée uniquement d’un médecin et d’un infirmier. « Je suis favorable à ce que nous occupions le terrain, cela permet de se faire connaître des équipes et même de susciter le besoin. » L’IDE consulte donc chaque jour les entrées dans les services, via le logiciel de transmissions, passe auprès des patients qu’il a déjà rencontrés, s’enquiert des besoins des équipes.

À Besançon (25), en revanche, où l’équipe intervient dans et hors l’établissement dans un rayon de 40 km, tant dans des établissements de soins que dans des établissements médico-sociaux (voire par échange téléphonique auprès de médecins généralistes), les actions réalisées sont élaborées sur mesure avec chaque établissement demandeur. « Certains établissements veulent faire avancer une démarche institutionnelle, alors nous évaluons les besoins et les attentes des équipes, puis nous proposons des formations, une analyse des situations, évoque Marie-Paule Renoir, cadre de santé de l’EMSP du CHU Minjoz. Avec d’autres, on sera sur une intervention plus ponctuelle, uniquement en cas de crise. Dans les CHU, on peut assister une fois par semaine aux transmissions orales… » Un mode de fonctionnement qui explique la présence d’une cadre à temps plein sur l’EMSP pour gérer les relations et la préparation des conventions signées avec chaque établissement.

ACCOMPAGNER LES SOIGNANTS

« Mais notre première mission c’est le soutien des équipes soignantes », poursuit Idriss Farota Romejko. Les médecins des EMSP ne font ainsi pas de prescription et les infirmiers ne réalisent pas de soins. « Même s’il faut bien sûr savoir donner un coup de main si une équipe le nécessite, poursuit l’IDE. Mais nous sommes là pour accompagner l’équipe dans une situation, rappeler les possibilités de prise en charge antalgique, proposer des options thérapeutiques, travailler sur les représentations des soignants. Par exemple, on explique qu’un patient qui bénéficie de soins palliatifs ne va pas nécessairement mourir tout de suite, que la morphine ne rend pas accro… » Au-delà de la recommandation ponctuelle, l’objectif est d’amener les équipes à prendre conscience de la nécessité d’une prise en charge globale et holistique. « Il s’agit de répondre aux besoins du patient, à ses inquiétudes, bien que l’IDE du service ait le nez dans le guidon, ajoute Idriss Farota Romejko. La douleur, le traitement médicamenteux, tout ça c’est juste une excuse, un moyen pour entrer en relation avec le patient et l’accompagner dans un statut si difficile à intégrer. » Ce que confirme Marie-Paule Renoir : « Nous avons de moins en moins de demandes pour des douleurs et sommes de plus en plus sollicités sur des questionnements éthiques, de type jusqu’où aller dans le soin, comment parler au patient, etc. » Sur le long terme, il s’agit donc de sensibiliser les équipes, de les amener à se questionner sur leurs prises en soin. « Il y a un vrai travail pédagogique à faire, observe Marie-Cécile Oliveira-Clément, IDE au sein de l’EMSP de Besançon. Il faut avancer au rythme de chaque équipe, trouver la bonne façon de l’aborder. »

DE LA DIPLOMATIE…

Un peu comme avec le patient finalement : « Lors de l’entretien d’évaluation, nous nous intéressons vraiment à la personne, et non à son affection, insiste Aude Suire. On cherche comment évoquer les choses sans heurter, ni activer de mécanisme de défense, on marche pas à pas avec eux. » Quitte à recommencer autant de fois que nécessaire. « Et il faut avoir une très bonne résistance à la frustration, reconnaît Aude Suire. Les équipes sont libres d’adhérer ou non à nos recommandations. Parfois, on est rappelé sur une situation et on constate que nos précédents conseils n’ont pas été appliqués. » Il faut alors faire preuve de diplomatie, réexpliquer, autrement, tenter de convaincre… « Ce qui ne marche pas à un moment fonctionnera peut-être à un autre moment », résume, philosophe, Idriss Farota-Romejko.

Au-delà de l’évaluation, les infirmières des EMSP ont également en charge la coordination des retours à domicile. Elles gèrent les échanges avec les réseaux de soins palliatifs à domicile, les services d’HAD, les professionnels de santé libéraux, les pharmaciens…, rencontrent les familles. « Et on a parfois des projets de vie sur des années qu’il faut penser », résume Chantal Bonnefoy, qui exerce à l’EMSP de Besançon, ainsi qu’à l’equipe régionale ressource de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP). Elles ont également une mission de recherche, même s’il n’est pas toujours facile de trouver du temps pour tout faire. Et nombre d’entre elles interviennent en établissements de formation (Ifsi, Ifas, écoles de puériculture).

ET DE LA MATURITÉ

Des fonctions variées, mais qui nécessitent une certaine maturité. « C’est pourquoi je ne recommanderais pas à une infirmière fraichement diplômée d’accéder directement à ce type de poste, observe Aude Suire. Il faut de la maturité et du temps pour accepter que le soin ne soit pas mis en œuvre pour guérir, mais seulement pour faire en sorte d’améliorer le confort et la qualité de vie pour ce temps qui reste. » Outre la maturité, les qualités d’un bonne infirmière d’EMSP résident dans le goût du contact humain et la capacité à communiquer. « J’ai redécouvert ce plaisir là, avec les patients comme avec les collègues », constate Aude Suire.

Pourtant, côté communication, la fonction peut aussi comporter un léger inconvénient : la difficulté à partager sur son métier dans son entourage personnel. « Lorsque je me présente à quelqu’un que je rencontre, j’ai droit à deux réactions qui sont aussi agaçantes l’une que l’autre, explique Aude Suire. Soit les gens me portent aux nues en me disant que c’est formidable ce que je fais, soit ils trouvent cela horrible. » La jeune femme a réglé le problème en se présentant simplement comme infirmière. « Mais pour celles qui exercent auprès d’enfants, cela bouleverse encore davantage l’interlocuteur », observe Marie-Cécile Oliveira Clément. C’est le cas de sa collègue Chantal Bonnefoy qui intervient aussi en ERRSPP (lire encadré p. 57) : « Mais je suis préparée à répondre qu’alors que notre EMSP traite quelque 1 000 situations chez l’adulte par an, les soins palliatifs pédiatriques ne concernent qu’une cinquantaine d’enfants. Une fois qu’on sait que cela fait peur, on s’y attend et on apprend à dédramatiser. »

ÉVOLUTION DE CARRIÈRE

Sur le plan de la rémunération, dans la fonction publique, le poste d’infirmière en équipe mobile n’autorise aucune rémunération spécifique, même pour celles gratifiées du titre de coordinateur. « En ce qui me concerne, cela a traduit une volonté de l’ARS d’affirmer la primauté du rôle infirmier, mais c’est tout, explique Yvon Bois. Habituellement, ce sont les médecins qui sont coordinateurs des EMSP. » Idriss Farota Romejko a, lui, réussi à négocier un statut de cadre et le salaire correspondant. Mais il exerce dans le secteur privé à but non lucratif. « J’ai négocié mon statut, car je me suis formé, je suis à présent titulaire d’un master, je coordonne des parcours de soin, je communique dans des congrès, je publie, explique cet IDE. Et puis j’estime que négocier sa rémunération c’est également se battre pour le statut de l’infirmier en général. »

Quant aux perspectives d’évolution, elles sont extrêmement variables selon les personnes. Les postes de cadres à temps plein en équipe mobile sont rares. Marie-Paule Renoir, qui chapeaute l’EMSP de Besançon depuis 2012, pense même être la seule à remplir une telle fonction. Pour celles et ceux qui veulent évoluer vers ce type de statut, il faudra donc le plus souvent changer de service. « Moi, j’envisage une fonction de coordinatrice en Ehpad, réfléchit ainsi Aude Suire. Histoire d’y diffuser davantage la pratique palliative. » Mais de nombreuses infirmières d’EMSP n’imaginent pas s’éloigner du terrain. Même si elles ont fait le deuil du soin technique, elles ne se montrent pas prêtes à abandonner la transversalité de leur fonction. « Je me verrais plutôt m’engager davantage dans la formation et le soutien aux équipes, mais pour cela, je dois continuer à me nourrir du terrain », remarque pour sa part Idriss Farota-Romejko. Enfin, un autre débouché pour ceux qui ne craignent pas de quitter leur statut hospitalier réside dans la possibilité de partir travailler dans un réseau de soins palliatifs. « Les qualités et compétences sont les mêmes, conclut Nathalie Thouary, infirmière coordinatrice du réseau 92 Nord. Il faut simplement faire preuve d’une capacité d’adaptation encore plus développée, car entrer dans l’intimité du domicile, c’est encore une autre distance à trouver. »

1- Source : SAE (Statistique annuelles des établissements de santé)/Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques).

PÉDIATRIE

De l’hôpital au domicile

→ Mises en place en 2010, 22 équipes ressources régionales en soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) couvrent actuellement l’ensemble du territoire national. Pluridisciplinaires, elles interviennent auprès des équipes pédiatriques afin de diffuser la culture palliative, mais également auprès des équipes de soins palliatifs afin de les sensibiliser aux spécificités pédiatriques des soins palliatifs : adaptation à l’âge de l’enfant, insertion dans un projet social – « parce que les enfants sont dans la vie jusqu’au bout ». Elles peuvent se déplacer dans un établissement de soins ou dans un établissement médico-social, mais aussi à domicile. « Nous proposons de la formation, des debriefing, des visites conjointes à domicile et nous organisons des séjours familiaux de répit sur 5 jours, résume Sabrina Lohezic, infirmière à l’ERRSPP d’Île-de-France (Paliped). En région parisienne, nous sommes un peu en troisième ligne, auprès des équipes mobiles, alors que les équipes de province vont davantage au chevet du patient. »

L’équipe peut également apporter un soutien aux équipes enseignantes et intervenir dans des classes pour évoquer le décès d’un petit camarade où même pendant les traitements pour expliquer les absences, les pertes de cheveux, la fragilité… « Il s’agit d’éviter que des difficultés se cristallisent autour de la mort d’un enfant, explique l’infirmière. Et préparer les enfants à vivre ces situations pour qu’ils subissent un moins gros traumatisme. »

FORMATION

Le DU, un incontournable

→ Un DU Soins palliatifs est souvent imposé au recrutement. « C’est une formation incontournable, surtout lorsqu’elle associe les professionnels que l’on rencontre habituellement dans les équipes (médecins, infirmières…) », résume Brigitte Hérisson, infirmière clinicienne en soins palliatifs à l’hôpital Paul Brousse (AP-HP), tout juste retraitée. Ce DU existe dans 47 universités françaises et permet de constituer un savoir général sur les soins palliatifs, mais aussi d’aborder les enjeux éthiques. Il est possible de compléter ce diplôme par une année de DIU (dans 28 universités françaises) pour approfondir les connaissances acquises. Un recrutement sans DU est aussi possible selon l’expérience préalable.

→ Le master de recherche clinique en médecine palliative (soins, éthique et maladies graves) proposé par les universités Paris-Descartes, Besançon et Tours est ouvert aux paramédicaux. En deuxième année, l’option clinique comporte une unité d’enseignement consacrée aux soins palliatifs et une autre réservée à la pédagogie.

→ Le master en sciences cliniques et soins paramédicaux dispensé par l’université de Saint-Quentin en Yvelines/ CH Sainte-Anne permet également une spécialisation en douleurs et soins palliatifs en M2. Généralement entamés par des professionnels exerçant déjà en milieu de soins palliatifs, « ils permettent aussi une évolution dans la fonction vers la coordination de plusieurs équipes mobiles », observe Brigitte Hérisson.

SOURCES UTILES

→ Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.

www.sfap.org

→ Fédération des équipes ressources régionales en soins palliatifs pédiatriques. Leurs prochaines rencontres annuelles se tiennent les 12 et 13 octobre, à Lyon.

www.ferrspp.fr

→ Le congrès international francophone de soins palliatifs, organisé par la Fédération internationale de soins palliatifs, aura lieu du 16 au 18 novembre 2017 à Genève.

www.federationfisp.org

→ Les droits de patients – Pratiques infirmières et réflexions éthiques lors de situations palliatives, Collège nationale des acteurs en soins infirmiers, Éd. Lamarre, 2016.