Les robots de sept lieues | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 383 du 01/06/2017

 

ONCOPÉDIATRIE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Anne-Gaëlle Moulun  

Vivre une vie de famille tout en étant placé en chambre stérile… Impossible, dites-vous ? Et pourtant ! À Lyon, l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique teste depuis septembre 2016 des robots de téléprésence. Manœuvrés à distance par les patients, ils leur permettent de rester en contact avec leur entourage et de rompre l’isolement.

Pour pénétrer dans l’unité protégée de l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (IHOPe) de Lyon, il faut nettoyer ses mains, mais aussi son matériel. L’appareil photo n’échappe pas à une petite désinfection ! Objectif : laisser entrer le moins possible de germes à l’intérieur de ce service, où sont hospitalisés des enfants et des adolescents en isolement. C’est le cas de Joris, 18 ans, que l’on aperçoit derrière la vitre de sa chambre. En dehors de l’équipe soignante, seuls ses parents – en blouse, masque et gants – sont autorisés à y pénétrer. Hospitalisé pour une tumeur au cerveau, l’adolescent est en déficit immunitaire et doit être maintenu dans un environnement protégé avec des flux et traitements de l’air (porte fermée et nombre de visites restreint). Seules deux personnes sont autorisées à entrer simultanément dans la chambre – il s’agit bien souvent des parents. Si Joris n’en est pas à sa première hospitalisation, c’est son tout premier séjour dans cette unité protégée. L’isolement dure de quatre à douze semaines parfois, ce qui peut être excessivement long et éprouvant pour ces jeunes patients. Et ce, même si l’un des parents dort régulièrement sur place. Le service teste donc, depuis septembre 2016, des robots de téléprésence, placés à domicile, au sein des familles.

Baptisé Victory in Innovation for Kids-electronic (VIK-e), ce projet – financé par l’Appel, l’Association philanthropique de parents d’enfants atteints de leucémie ou autres cancers, elle-même financée par le laboratoire Bristol-Myers Squibb (voir encadré p. 28) – prévoit de mettre trois robots à la disposition des jeunes patients qui en ont le plus besoin. Sélectionné par l’équipe soignante, Joris, en isolement pendant un mois, a pu en bénéficier. « Pour nous soignants, le robot ne pose pas de problèmes. Car généralement, les jeunes patients cessent leurs activités quand nous entrons pour des soins », explique une infirmière. Ce jour-là, l’adolescent est en trop mauvaise forme pour nous rencontrer. Sa maman, Fabienne, nous invite à venir à son domicile quelques jours plus tard à quelques dizaines de kilomètres de Lyon.

Conversation à distance

Dans le salon familial où sont regroupés l’un des deux frères de Joris et leur grand-mère, le robot est sagement en train de charger sur sa base. Joris étant passionné d’astronomie, il a choisi le robot surnommé Hubble, du nom du télescope spatial. « Il suffit d’allumer le robot et ensuite, Joris pourra le piloter à distance et nous voir à travers la webcam », explique Fabienne. Joignant le geste à la parole, elle nous en fait la démonstration. Le visage de Joris apparaît immédiatement à l’écran. Il se précipite aussitôt jusqu’à la chaise de sa grand-mère en pilotant le robot. « Bonjour mamie, ça va ? » « Oui ça va mon grand, c’est génial de te voir ! » Une conversation tout ce qu’il y a de plus banale… bien qu’ils soient à plusieurs dizaines de kilomètres l’un de l’autre ! « Je suis très proche de mes trois petits-fils et le fait de ne pas pouvoir voir Joris pendant plusieurs semaines me pesait beaucoup, confie la vieille dame. Le robot est un vrai soulagement pour moi ! » Un avis que partage Joris qui peut ainsi mieux supporter l’isolement (voir encadré p. 29). « J’ai deux frères, de 21 et 16 ans, qui ne peuvent pas me rendre visite, car seuls mes parents sont autorisés à entrer dans la chambre, témoigne-t-il. Grâce au robot, je peux les voir et leur parler, comme à mes oncles, mes tantes et mes grands-parents. Du coup, je me sens moins seul. » Tout en naviguant dans la maison, il se dirige vers la chambre de son frère et note, un tantinet agacé, que celui-ci lui a « emprunté » sa guitare. Et préfère retourner dans la cuisine regarder sa mère préparer un gratin de pâtes.

L’été dernier, grâce au directeur d’Awabot – la société qui commercialise les robots –, qui a en « embarqué » un dans ses valises, Joris a pu participer virtuellement aux Jeux Olympiques de Rio et assister à une interview du perchiste, Renaud Lavillenie. « J’ai aussi vu Laurent Blanc [l’ancien entraîneur du PSG, NDLR] et je me suis baladé dans les couloirs du stade olympique. En plus, une touche de l’ordinateur nous permet de circuler rapidement dans les lignes droites ! »

Sur le même mode, il a aussi pu assister au festival Lumière, à Lyon – un festival dédié au cinéma –, grâce à un membre du personnel de l’hôpital qui s’était muni du robot. « J’y ai rencontré Lambert Wilson, qui a discuté un peu avec moi. C’était super ! », raconte le jeune homme.

Préserver la vie sociale

Si du côté des patients et des famille, la présence du robot a été appéciée, le bilan des soignants est, lui aussi, plutôt positif. « C’était l’une de nos appréhensions, mais globalement, ils ne voient que du positif et la présence du robot n’a pas gêné les soins. Et le fait d’augmenter les interactions avec l’univers familial est bénéfique également. Pour les familles, cela permet de mieux visualiser l’environnement dans lequel se trouve l’enfant et pour ce dernier, cela lui permet d’appréhender et de vivre un peu moins péniblement la séparation », explique le Dr Perinne Marec-Bérard, pédiatre et oncologue à l’IHOPe. Depuis, Joris a quitté l’unité protégée de l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique. Mais quelque part, même dans les moments les plus difficiles, il n’a jamais été tout à fait seul…

COMMUNICATION

Un fil vers l’extérieur

« L’isolement dure entre quatre à douze semaines parfois, explique le Dr Perinne Marec-Bérard, pédiatre et oncologue à l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (IHOPe) de Lyon. C’est long et difficile pour les enfants, car ils sont seuls dans une chambre. Et même si nous leur apportons de quoi se divertir – télé, connexion Internet, vélo pour faire de l’exercice –, les journées restent très longues, rythmées par les soins et une forte présence médicale. » Pour le médecin, « l’enjeu principal de cette expérimentation est de ne pas rompre la vie sociale. Quand les jeunes patients sont hospitalisés sur des périodes longues, nous essayons de faire le maximum pour la préserver. Mais quand ils sont en isolement, la coupure est parfois difficile à réparer ». Même s’il est encore trop tôt pour une évaluation, « les premières impressions sont positives, malgré les appréhensions du début », estime-t-elle, tant du côté des patients et de leur famille que des soignants. « Augmenter les interactions familiales rend moins difficile la séparation. » Et ces robots de téléprésence pourraient également être très utiles une fois les jeunes sortis de l’hôpital. Car tous ne peuvent pas rependre le chemin de l’école. « Dans certains traitements de la leucémie par exemple, l’école est contre-indiquée, précise le médecin. Alors si on arrive à montrer qu’il y a un vrai bénéfice à la maison, le déploiement de tels robots dans les établissements scolaires aura un réel intérêt. Tout l’enjeu sera alors de savoir s’ils peuvent acquérir un robot à 3 000 €… »

Nul doute que la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a déjà investi le sujet dans le cadre de l’expérimentation du « robot lycéen », saura les épauler. Sandrine Chaix, conseillère régionale déléguée au handicap, a annoncé qu’il est prévu de déployer une quinzaine de robots sur l’ensemble de la région, avec l’objectif de mettre à disposition un robot par département.

ASSOCIATION

Des parents très impliqués

C’est l’Appel – l’Association philanthropique de parents d’enfants atteints de leucémie ou autre cancers- qui finance les robots, avec le soutien du laboratoire Bristol-Myers Squibb. Ce dernier a ainsi contribué à l’achat des robots, qui coûtent environ 3 000 € pièce. L’idée de mettre à disposition un robot au domicile de l’enfant a fait son chemin. Pour Rose Fromont, présidente de l’Appel, cette démarche est essentielle, car si « les enfants guérissent grâce aux progrès de la médecine, leur guérison passe aussi par un bon moral. Un enfant qui conserve son lien social et familial va avoir envie de se battre ». « Nous sommes là pour apporter les meilleurs soins médicaux aux enfants, mais aussi pour leur permettre de vivre aussi normalement que possible », conclut le Pr Yves Bertrand, pédiatre, hématologue et administrateur de l’Institut d’hématologie et d’oncologie pédiatrique de Lyon.

ENTRETIEN

« Quelques heures d’ennui en moins »

En quoi le robot t’a-t-il été utile ?

Généralement, je me servais du robot le matin pour voir mes parents, quand ils n’étaient pas à l’hôpital, et le soir, quand ils se retrouvaient à la maison avec mes frères. Très maniable, je le pilotais via un ordinateur et me déplaçais en utilisant les flèches du clavier. Grâce au robot, je suis également resté en contact avec mes oncles et tantes, mes grands-parents qui, comme mes frères, n’étaient pas autorisés à me rendre visite à l’hôpital.

T’a-t-il aidé à gérer tes difficultés au quotidien ?

Le plus dur à supporter, c’était la douleur, mais aussi le fait d’être loin de tout le monde, isolé. Ce robot m’a permis de passer quelques heures d’ennui en moins et m’a apporté la compagnie de mes proches quand j’en avais besoin. Contrairement à un portable, le robot m’a permis de « vivre » les événements comme si on y était.

Que penses-tu qu’il t’ait apporté ?

Le robot m’a permis de sortir de ma chambre virtuellement. C’est un moyen formidable pour communiquer avec sa famille à distance, car, avec lui, on peut se déplacer. Ce qui n’est pas le cas avec FaceTime, par exemple, ou avec une webcam.